Premièrement, tant que les tentatives se font sur des terrains différents (pente, distance, technicité…), on ne peut parler que de meilleure performance mondiale et non de record.
Restons humbles également car pour l’instant cette discipline reste très « confinée » et le nombre de tentatives faible. Pour autant, au regard des quelques expériences déjà vécues, on peut mettre en évidence des données objectives, c’est-à-dire communes aux différents athlètes, et des données subjectives propres à chacun.
Par exemple, si on examine le choix des parcours, jusqu’à présent tracés à proximité des lieux de vie des athlètes, ils présentent peu de similitudes entre eux.
Patrick Bohard a choisi une pente très forte (54%) sur une distance de 201 m, à l’aller comme au retour. A chaque ascension, il avalait 95.7 m de dénivelé positif. C’était le plus petit dénivelé mais aussi la plus forte pente. L’avantage est d’avoir une vitesse ascensionnelle élevée, jusqu’à 1450 m/h sur les premières ascensions. Le désavantage est d’avoir à fournir un niveau de force et une endurance de force élevés. Idem pour la descente : une telle pente exige de grandes qualités de descendeur au niveau technique et musculaire. Plus la pente est raide et moins la récupération est possible sur le temps de descente, ce qui va nécessairement nuire sur le long terme à la capacité à bien grimper. Quand on sait que Patrick a réalisé les dernières 2h30 sous la pluie, la piste herbeuse est devenue très glissante.
Aurélien Dunand-Pallaz a fait un autre choix. Un dénivelé plus important (212m) sur une distance plus longue (750m), soit une pente à 28%. Ainsi, il a privilégié la vitesse de progression sur la vitesse ascensionnelle. Dans ce cas, la descente est bien entendu facilitée, d’autant plus qu’Aurélien a choisi une variante pour diminuer la pente. Certes, c’est plus long en temps de parcourir 950 m que 750 m, mais les dégâts musculaires sont moindres. Ce choix peut être judicieux quand on examine l’explosion des valeurs sanguines telles que les CPK (Créatine PhosphoKinase) ou les Transaminases suite à la tentative de Patrick Bohard. Au final, Aurélien a réalisé 81 rotations pendant que Patrick en faisait 179. Sur les plans physiologique et psychologique, ces données sont à prendre en compte.
Pour autant, même si les choix de parcours étaient différents, il est étonnant de constater que les progressions en termes de D+ de Patrick et d’Aurélien ont été similaires pendant leur 24 heures d’effort, Aurélien conservant jusqu’au bout quelques dizaines de mètres d’avance. Sur le graphique représentant l’évolution de la vitesse ascensionnelle de Patrick, on remarque une baisse rapide puis régulière du temps de montée. La vitesse moyenne (1015 m/h) est calculée uniquement sur le temps cumulé de montée (16h53).
Vitesse ascensionnelle P. Bohard
Concernant la descente, on observe également une baisse, mais moins rapide. La meilleure descente est la 19ème, ce qui semble démontrer la volonté de bien récupérer sur cette partie. La vitesse de descente moyenne est de 2445 m/h (temps de descente 7h07), la vitesse la plus élevée est de 4150 m/h. Sur le graphique ci-dessous, les chutes de vitesse correspondent aux temps de ravitaillement.
Vitesse de descente en m/h. P. Bohard
Un pacing de 24 heures
Autre donnée intéressante, la vitesse moyenne réelle en km/h. Pour Patrick, elle semble dérisoire en raison de la forte pente, 3 km/h (de 4.5 à 2.1). Pour Aurélien, elle est de 5.74 km/h. Si ce pacing se rapproche de celui d’un ultra (baisse régulière jusqu’à mi-parcours puis maintien jusqu’à l’arrivée), il se rapproche encore plus de celui d’un 24 heures sur route. Aux championnats du monde 2019 à Albi, nous avions examiné le pacing d’Erik Clavery sur les 181 tours de circuit. Et le coefficient directeur de la droite de régression (-0.01) est exactement le même !! Ainsi, la durée de l’effort reste un paramètre majeur, comme l’avaient montré les travaux de Marlène Giandolini sur la fatigue en trail.
Pacing des 24 h de d+, identique aux 24h sur route
Pour conclure, on voit qu’un même niveau de performance a été atteint sur des parcours différents, ce qui permet difficilement de comparer les coureurs entre eux. L’idéal serait de voir un même coureur sur différents parcours, sur des durées moindres dans un premier temps. Mais cela reste intéressant car la stratégie dans le choix des parcours mets du piment dans cette aventure qui reste, il faut l’avouer, un peu éloignée du plaisir premier des traileurs à courir les grands espaces.