Record sur marathon : jusqu’où pourra-t-on aller ? Et comment ?

La course au record du monde et à l’espéré sub-2h marqueté par la célèbre marque à la virgule aura au moins eu le mérite d’égayer la curiosité des suiveurs sur les possibles stratégies d’amélioration des performances sur marathon restant à explorer. L’article qui va suivre pourra parfois sembler bien loin de l’essence de ce sport : un short, un maillot, une paire de chaussures et que le meilleur gagne ! Mais, comme toujours avec la science il faudra savoir être curieux, prendre du recul et s’approprier ce qui pourra être utile à chacun.

Il y a quelques jours, Eliud Kipchoge a annoncé une nouvelle tentative de passage sous les 2h sur marathon. Lors du Breaking 2 h en 2017, il avait échoué de peu, terminant à 2h 00. 25 secondes, avec un dernier quart de course « compliqué ». Depuis il s’est incontestablement imposé comme Monsieur marathon, perpétuant son invincibilité et sa légende : victoire à Berlin sous la pluie (2 :03.32), à Londres sous la chaleur (2 :04.17) après un départ canon (13min48), record du monde explosé à Berlin (2 :01.39, -78sec) et enfin une 5ème victoire à Londres avec un record de l’épreuve atomisé (2 :02.37).

Kipchoge semble au paroxysme de son état physique et mental, avec une connaissance de cette course, de sa gestion et de sa préparation plus grande que jamais.

Quelques jours avant cette annonce, Wouter Hoogkamer, le sport scientist référence reconnue sur le marathon a réalisé une étude de projections sur le sujet qui vient alimenter le débat.

Le marathon virtuel. Au-delà des effets d’annonce sur les équipements révolutionnaires ou boissons miracles, il ne faut pas oublier qu’aux dires des athlètes qui ont eu la chance de croiser Kipchoge dans ses camps d’entraînement, qu’il fait preuve d’un professionnalisme hors du commun (entraînement, nutrition, récupération). Mais nous savons également, qu’il a su se nourrir de ses différentes rencontres dans la préparation de ce projet (composition des boissons d’efforts, stratégies d’hydratation, drafting, matériel).

 

Prêtons donc une oreille attentive aux travaux de ces experts.

 

Dans un article – Moins de 2h au Marathon ? Théoriquement envisageable ! – qui remonte bientôt après de 2 ans , en amont de la tentative breaking2, nous mettions en avant des travaux déjà réalisés par Wouter Hoogkamer et ses collaborateurs qui montraient que le passage sous les 2h était « théoriquement » envisageable. Les leviers étaient nombreux. Ceux qu’on a vu lors de la tentative ont été entre autres : la technicité des chaussures, le drafting, un tracé intelligent et un dénivelé négatif autorisé. Sur le papier c’est réalisable. La tentative de Monza a montré que ce n’était pas aussi simple car  2 des 3 athlètes Nike, Lelisa Désista et Zersenay Tadese lâchèrent en cours de route. Kipchoge lui-même a commencé à être en difficulté  en fin de course.

La science ne peut donc pas tout . Il semble néanmoins que cette course n’a été qu’une étape pour le faire, encore progresser,  dans l’entraînement, l’approche psychologique et la préparation et la gestion de ses courses. Il y a quelques semaines, il pulvérisait le record du difficile marathon de Londres en abaissant sa propre marque sans jamais semblant souffrir et en accélérant encore après le 35ème ! Et, il semble que des éléments soient encore à améliorer sur ces marathons « officiels » avec adversaires…si la finalité ne devait être que le chrono final et pas uniquement la victoire.

 

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Pour l’entraînement, il semble qu’il n’y ait pas grand-chose à lui apprendre. Cet athlète ayant été d’une régularité métronomique pendant 10 ans sur la piste (champion du monde du 5000m en 2003 déjà, 9 saisons sur 10 sous les 13min au 5000m), comme il l’est maintenant sur marathon (une seule défaite en 13 marathons de très haut-niveau, une 2ème place à Berlin en 2013 pour son second marathon et face à Wilson Kip sang Kiprotich qui à cette occasion faisait tomber le record du roi Haile Gebrselassie).

Pour les chaussures, Nike semble s’en charger. Entre communication et avancées technologiques réelles – La Nike Zoom Vaporfly 4% fait-elle courir plus vite ? Analyse ! le sujet semble un vrai enjeu. Pour ce qui est de l’hydratation et la nutrition, de la même façon, il est de notoriété publique que son staff s’est emparé de la question avec un apport hydrique (12 ravitaillements à Berlin en 2018) et glucidique important (en associant différentes sources de sucres) visant à contrecarrer les effets délétères de la déshydratation et de l’appauvrissement des réserves glucidiques, que l’on sait depuis très longtemps être des freins à la performance d’endurance.

 

S’il est Impossible dans les grands marathons historiques à confrontation directe et aux primes alléchantes de jouer sur le tracé et le vent, en respectant les règles IAAF, il n’en est pas de même sur ces tentatives isolées comme Breaking2 et Ineo qui sont avant tout des coups marketing et pour Kipchoge l’occasion d’être le premier à réussir un exploit chronométrique historique. Mais, lui-même le reconnait, la vraie course c’est avec un dossard, face à des adversaires et en respectant les règles.

Mais, lors de ses derniers marathons, Kipchoge a tout bonnement cassés les codes. Habituellement, lors des grands marathons comme Berlin ou Londres, les lièvres s’échinaient jusqu’au 30ème, voire même parfois 35ème km, avant que les grands champions ne s’expliquent. L’an passé à Berlin, Eliud était venu avec ses 2 lièvres personnels, leur fixant une allure démentielle (passage en 61.06 au semi, 72.24 au 25ème soit les bases de 2:02.13) .Cette tactique a eu pour effet d’éliminer dès le début de course  des concurrents aussi référencés que Amos Kipruto (60.24 au semi de Göteborg en 2017 ; 10sec de retard au 5ème, 29sec au 15ème), Wilson Kipsang (deux fois vainqueur à Londres et une fois à Berlin, ancien recordman du monde (2013 donc, en 2:03.23) ; 11sec au 10ème, 22sec au 15ème) ou encore Zersenay Tadese (tombeur de  imbattable Kenenissa Bekele aux mondiaux de cross 2007, cinq fois champion du monde du semi et officieux recordman du monde en 58.23 ; 55sec de retard au 5ème).

A partir des données chronométriques recueillies par le professeur Sean Hartnett nous avions pu analyser sa stratégie de course.

La moyenne par km est de 2 :53.3 jusqu’au 42ème kilomètre. L’écart -type de 2,54 secondes ce qui est tout simplement extraordinaire en termes de régularité d’allure dans une épreuve de 42 km outdoor avec des virages, le dénivelé même s’il est très léger à Berlin, le vent, les à-coups des lièvres lors des relais et des ravitaillements.

Les kilomètres les plus rapides (en dehors du premier qui est toujours plus rapide dans le processus de placement et d’organisation des lièvres) ont été le 32ème et le 41ème en 2.48 alors que le plus lent a été couru en 2.57 (36ème km).

Certes, il se retrouve seul, au 25ème mais il est sur les bonnes allures (pas de départ trop rapide). Sans adversaires à contrôler ou de lièvres mal réglés. On peut d’ailleurs noter que les fractions de course avec lièvres sont moins efficaces que lorsqu’il se retrouve seul. Les perdre tôt dans la course s’était peut-être avéré être un avantage.

Le tout avec des conditions climatiques parfaites et une forme physique identique sinon meilleure que lors des tentatives précédentes. Nous vous invitons à relire notre analyse détaillée de Berlin 2018 – Le record du monde d’Eliud Kipchoge.  Pour l’auteur et Jean-Claude Vollmer co-auteur de l’article, la chute du record du monde n’a pas été une surprise, même si le temps final a quand même été inférieur à ce que nous pensions que Kipchoge était capable de réaliser car le record a été battu de 1 minute et 28 secondes soit un gain de 1,19 %, ce qui est une progression énorme. A titre de comparaison, 1,19 % ce serait retrancher 18,77 secondes au record du monde de Bekele sur 10 000 m et le porter à 25 :58.76.

 

Quels sont les derniers leviers de progression ?

 

 

A Berlin, il s’est donc retrouvé seul à partir du 25ème, son dernier lièvre ayant lâché prise irrémédiablement. Il y a quelques semaines à Londres bis repetita mais cette fois-ci le peloton était resté plus dense en étant encore 9 à passer au semi en 61.37 (dont les lièvres Éric Kiptanui, Stephen Kiprop and Gideon Kipketer). Et là, Monsieur Marathon a placé un mile en 4.32 (2.49 au km, 21.30 km/h), plus de lièvres et un Mo Farah qui lâche prise (2 :05.39 au final). Kipchoge reste avec 3 valeureux coureurs Ethiopiens qui ne passeront aucun relais malgré ses demandes : Geremew (2 :02.55 devenant 2ème performeur tout temps), Wasihun (2 :03.16 nouveau 7ème performeur tout temps) et Kitata (2 :05.39). Kipchoge E. a encore une fois été capable d’un négative split impressionnant : 61.37, puis 61.00 tout en prenant en compte un relatif ralentissement du 30 au 35ème km (14.52, soit 2.59 au km), section la plus « lente » du marathon.

Avantages du drafting ?

Cela sera bien entendu dépendant du type de foulée de l’athlète et de sa capacité à se relâcher derrière un concurrent, mais il a été montré de nombreuses fois que protégé derrière un autre coureur il est possible de s’économiser. Ces travaux sur le drafting ne sont pas tout neufs, en effet dès 1924 Sargent travaillait sur le sujet. Avec du matériel un peu plus moderne, mais de cela il y a déjà 20 ans, Pugh (1971) a montré une possible réduction de 6% de la valeur de VO2 lorsque le coureur se déplaçait à 6 m/s (21,6 km/h). Mais, sur le terrain le gain serait sans doute plus faible, car il est très compliqué de courir de manière aussi proche les uns des autres que lors de leur expérimentation. Malgré ces réserves l’économie sera réelle et plus la vitesse sera élevée, plus le gain sera significatif, les résistances à l’avancement y étant plus importantes.

Kipchoge dispose maintenant du luxe de ne plus avoir besoin des lièvres de l’organisateur mais dispose des siens. A Londres : Éric Kiptanui (27.34 au 10km, 58.42 au semi), Stephen Kiprop (58.42 au semi) et Gideon Kipkemoi (58.42 au semi) ont fait le travail. Tous présentent de très solides références sur la route et s’entraînent au quotidien avec Kipchoge. Ils sont même rémunérés pour cela. Mais, les deux premiers n’ont jamais couru sur marathon, quand le dernier à une meilleure performance en 2 :05.51 à Tokyo. Pour eux l’objectif ne sera d’aider le plus longtemps possible leur patron.

Il peut donc fixer une allure de course qu’il est visiblement le seul à pouvoir maintenir un peu plus de 42 km. Et même de l’accélérer légèrement après le passage du semi. Par le passé, un temps de passage était fixé à des lièvres payés par l’organisateur et validé entre les champions et leurs managers. Le chrono et parfois le record du monde étaient dans la visée mais l’objectif premier était la première place et la prime correspondante au chrono final.

Aujourd’hui, Kipchoge qui est au summum (même s’il faudra surveiller l’évolution de Geremew 27 ans & Wasihun 26 ans à la vue ce qu’ils ont montré à Londres), impose à ses adversaires un rythme soutenu et des passages au semi rapides, mais ce qui est nouveau dans l’histoire du marathon c’est que les partitions soient aussi bien exécutées. Les variations d’allures n’existent pas jusqu’au semi-marathon. Et, même lorsqu’il prend la main, elles se feront, tel un rouleau compresseur, sans grand changement de vitesse, mais continues.

Les projections de temps à l’arrivée lors des différents temps de passage à Berlin en 2018 :

Tronçons Projection
5km 2 :01.37
10km 2 :02.27
15km 2 :02.45
20km 2 :02.14
Semi 2 :02.11
25km 2 :02.13
30km 2 :02.00
35km 2 :01.49
40km 2 :01.52
41km 2 :01.47
42km 2 :01.47
Temps final 2 :01.39

 

Alors quel futur pour le marathon ?  Bataille d’homme à homme ou course au chrono. Certes dernières Kipchoge est toujours sorti vainqueur des plateaux des grands marathons mais la scénarisation marketing et le mythe des 2 heures a véritablement fait tourner le marathon international vers la course au record.

Histoire de lièvres

Les experts s’accordent à dire que l’une des possibilités les plus crédibles pour accomplir le futur grand exploit serait d’améliorer le « fonctionnement » des meneurs d’allure

1 er acte : Mr Marathon choisit les siens et impose un rythme qui soit le plus régulier possible. Dans tous les sports d’endurance, les records du monde ont été réalisés en s’approchant de ce type de stratégie.  

Ne serait-il pas possible de pousser le raisonnement plus loin dans le marathon ?

Pour cela il n’y aurait pas trente-six milles solutions, mais deux options.

La première, être en capacité de faire accepter à d’autres grands champions d’abandonner leur statut le temps d’une course et d’associer leur nom à l’histoire. Pas simple.

La seconde serait de revoir à nouveau les codes en demandant à Kipchoge de prendre part au travail collectif. Improbable en athlétisme où le champion attendra toujours que les lièvres s’écartent pour se mettre au travail. Par exemple lors d’un contre la montre par équipes en cyclisme au Tour de France des coureurs seront identifiés pour se sacrifier pour leurs leaders. Leur statut sous-entendra un niveau physique inférieur. Mais, leur staff essayera de planifier au mieux leurs relais pour en profiter le plus longtemps possible. Logique, s’ils « sautent » trop rapidement, les relais reviendront plus souvent sur les leaders qui s’épuiseraient alors plus rapidement. Mais contrairement au cyclisme où un nombre précis de coureurs doivent terminer sur marathon il n’y en qu’un.

Wouter Homogame a donc travaillé sur des modélisations théoriques incluant les meneurs d’allure. On reproche à la science d’être trop éloignée du terrain, ce sera encore plus le cas ici, puisque l’on parlera de prévisions mathématiques d’une performance que l’on sait pourtant multifactorielle.

Ne serait-ce que parce que la capacité à bénéficier de l’avantage du drafting sera différente d’un coureur à un autre. Alors si l’on ajoute le profil physiologique, l’économie de course, l’état de forme, les stratégies de ravitaillement et bien d’autres facteurs, il faudra évidemment amender ces prévisions. Il ne faut donc pas les lire et y croire à la lettre. Mais, elles auront le mérite de se faire une idée générale. Ensuite, il n’y a que le terrain qui peut apporter la réponse.

Les travaux de Hoogkamer se décomposent en deux études. Une première réalisée avant Berlin 2018 s’appuyant sur sa meilleure performance à l’époque. Et, une autre en prenant en compte le nouveau record du monde

Pour l’établissement de ses projections il prend en compte les différentes meilleures performances et records de Kipchoge en allant du 1500 m au marathon pour tenter d’établir son profil physiologique.

Par ailleurs, il va appliquer le modèle de vitesse critique de Véronique Billat. La vitesse critique correspond à une vitesse située au-dessus du seuil aérobie, que le marathonien sera en capacité de maintenir tout au long de l’épreuve sans baisse de régime.

Mais, la théorie de Billat et ses collaborateurs semble à revoir, puisque Jones and Vanhatalo ont montré sur un échantillon de 12 marathoniens de niveau élite qui ceux-ci maintenaient lors de leurs records une vitesse sur marathon inférieure à leur vitesse critique (93-100%). Il semble que l’augmentation du coût métabolique au cours de l’épreuve, soit un frein à son maintien. C’est pourquoi Hoogkamer introduit le concept de « vitesse durable ».  

Les coureurs choisis pour la modélisation sont ceux utilisés par Jones et Vanhatalo, qui avaient déjà établi leur profil physiologique. On a donc Eliud Kipchoge donc, mais également 3 anciens grands spécialistes de marathon, maintenant retirés :  Patrick Makau (2 :03.38, WR Berlin 11), Haile Gebreselassie (2 :03.59, WR Berlin 08) et Geoffrey Mutai (2 :04.15 Berlin 12) Certes, ces athlètes ont remisé les chaussures, mais utiliser leurs données pour établir une projection est sans aucun doute relativement transposable à des athlètes actuels.

Le calcul des prévisions s’appuie sur une stratégie où les athlètes se placent l’un derrière l’autre après le passage du semi, afin de bénéficier d’une résistance à l’air qui soit la plus minime possible. La durée des relais est issue d’anciennes études en soufflerie réalisées par Pugh qui ont montré que courir 1m derrière un autre coureur à 4,5 m/s peut abaisser la consommation d’O2 de 6,5%. Un marathonien d’élite courant à environ 5,7 m/s il serait essentiel de revoir ces données. Courir derrière un autre coureur peut également augmenter le risque de déshydratation, car il deviendra plus compliqué pour lui de dissiper la chaleur. Or, on sait aujourd’hui que la montée de la chaleur interne est l’un des facteurs limitants à la performance sur marathon.

Mais, partons sur les chiffres.

Les calculs de Hoogmaker ne prennent en compte que le second semi- marathon, partant du principe que les lièvres « habituels » s’écarteront au passage de la mi-course. Ses premiers calculs partent donc sur la base de l’ancien record de Kipchoge 2 :03.05, soit 1 :01.32 au semi.

Pour introduire son travail, il réalise ce type de projection avec deux coureurs de niveau égal et montrer ainsi qu’alterner les positions en tête équivaudrait à une consommation d’O2 équivalente à celle de la vitesse de l’ancien record du monde (5.72 m/s, 2 :02.57, Denis Kimetto) pour une vitesse de course bien supérieure (5.89 m/s, 21.2 km/h). Voici ce que donne les projections si ces deux athlètes maintiennent une vitesse de 5.89 m/s, avec soit la figure 1a avec une approche traditionnelle (un coureur mène jusqu’à épuisement), soit la figure 1b dans une stratégie coopérative.

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Concrètement, alterner la position en tête de course pourrait permettre d’après les projections de maintenir cette vitesse 12min et 41 secondes supplémentaires ! Ce qui correspond à 4,47 km. Impressionnant, mais toujours pas suffisant pour boucler l’ensemble du marathon à l’allure envisagée

Et en optimisant la durée des prises de relais. Le fait de s’aider pourrait donc faciliter la performance finale. Mais alors comment prendre les relais ? Le réflexe logique habituel est de prendre la tête lorsque c’est son tour. Mais cela sera coûteux en énergie. Dans ce marathon virtuel nous pourrions logiquement anticiper les relais. Pour limiter cette perte d’énergie, il faudrait comme en cyclisme que le coureur de tête se décale sur le côté et ralentisse pour se laisser redescendre. Mais, cette stratégie provoquerait une perte de 1m à chaque passage. Un ralentissement « d’environ » 5,9% (soit de 21,2 à 19,9 km/h) du coureur de tête permet à l’ancien leader d’encaisser métaboliquement au mieux le changement d’allure et de réaliser l’opération en environ 6sec. Les chercheurs ont réalisé différentes simulations sur des passages de relais allant de 12 sec à 180 sec. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la durée optimale visant à maximiser le maintien d’une vitesse de 5,89 m/s ne serait que de 42 sec. Ce qui ne serait pas si éloigné de ce que des cyclistes poursuiteurs internationaux réalisent lors de leurs passages de relais en moyenne toutes les 22 sec.

Avantage de coureurs supplémentaires. Pour comprendre les effets du nombre de compétiteurs participant à l’effort en coopérant, l’équipe de recherche à simuler des conditions avec 2, 3 et 4 marathoniens. Avec deux athlètes démontrant des caractéristiques similaires à Kipchoge, le coureur finira par épuiser toute son énergie à l’issue de 1 :40.10 de course, soit 34,712 km. Pour trois Kipchoge, l’épuisement des ressources sera évidemment allongé en raison des périodes où le coureur est abrité bien plus longues (84 sec). Alors le marathon pourrait être effectué en 2 :01.23. Enfin, une équipe associant Kipchoge à trois de ses clones pouvant boucler le marathon, amènerait une économie encore plus importante des ressources lié à un ratio durée passée en tête (42 sec) Vs dans la file protégée (126 sec) encore plus accentué. Cela sous-entend la possibilité d’augmenter la vitesse cible.    

 

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Les simulations visant la vitesse maximale pouvant être tenues jusqu’à la fin du second semi-marathon indiquent une vitesse de 5,97 m/s (21.492 km/h), soit une performance finale de 2 :00.40 ! Mais, deux coureurs pourraient alors encore terminer ensemble, suggérant un départage au sprint.

Par curiosité, l’équipe avait voulu voir combien de coureurs présentant les caractéristiques de Kipchoge seraient nécessaires pour briser la barrière des 2h. Le résultat est sans appel : 8 coureurs seraient alors nécessaires pour terminer en 1 :59.55. Neuf à dix Kipchoge pourraient encore accélérer l’allure, mais celle-ci serait alors si importante, qu’il ne leur serait plus possible de récupérer, même à l’abri.

 

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La seule façon de faire encore mieux serait de courir le premier semi-marathon plus rapidement que les 1 :01.28 du marathon de Londres 2016. Pour rappel, lors des 2 :00.25 du Breaking2 de Monza, son équipe de « placers » était renouvelée tous les 2,4 km. Le temps final avait été 2min 40sec plus rapide que son record officiel de Londres réalisé un an plus tôt, mais toujours 40 sec supérieur à ces prévisions.

Comment se rapprocher de la réalité ?

Pour pousser leur travail encore plus loin, l’équipe américaine a voulu voir s’il serait envisageable de monter une équipe de 4 coureurs ayant déjà existé et de confronter leurs profils physiologiques au modèle mathématique, en espérant que ceux-ci puissent maintenir une vitesse suffisante avant d’épuiser leurs ressources énergétiques.

En montant un marathon « Playstation » avec Kipchoge, Makau, Gebrselassié et Mutai, les prévisions donneraient un maintien de 5,93 m/s (21,348 km/h) et un chrono final de 2 :00.48 !

De façon intéressante, en cherchant à maximiser les gains de la coopération en fonction des records personnels de chacun et de leur profil d’endurance, l’ordre et la durée des relais devrait être individualisés. Finalement, ce que chercherait à faire un directeur sportif d’équipe cycliste avant un contre la montre par équipes.   

 

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Kipchoge revoit encore les codes

 

Le 16 septembre 2018, Mr Marathon abaissait donc à nouveau le record du monde à Berlin en 2 :01.39, en passant 61.06 au semi, mais surtout donc, en finissant seul avec un négative split ahurissant de 60.33. Bookmaker a donc été  donc obligé de revoir ses travaux. Et il s’avéra qu’il pourrait toujours bénéficier de l’aide de ses trois pairs.

 

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Il part sur l’hypothèse d’un semi plus lent qu’à Berlin, au même rythme que pour leurs précédents travaux (61.28, Londres 16). Ce rythme était choisi pour faciliter la participation potentielle des trois autres athlètes au travail coopératif sur le second semi. L’inconvénient de ce choix, est que Kipchoge devra maintenir une vitesse plus élevée sur le second semi (5,95 m/s ; km/h) et devra passer plus de temps lors de ses passages en tête. Il sera donc protégé sur des périodes plus courtes qu’auparavant, mais cela aiderait ses équipiers d’un jour à profiterde son abri. Il terminerait donc seul comme le montre la figure et dans un chrono de 2:00.37, soit 1min et 2 sec plus vite que son actuel WR.

 

Alors combien faudrait -il de Kipchoge pour casser les 2h ?

 

Il est assez incroyable  de se dire qu’en se basant sur les 2:03.05 de Kipchoge à Londres en 2016, il lui faudrait 7 clones en plus de lui-même pour espérer rentrer dans l’histoire. Mais surtout, qu’en s’appuyant sur ses caractéristiques personnelles corrigées par son record du monde  de Berlin et en se basant sur une première moitié de course en 61.06, qu’il lui faudrait trois clones de Kipchoge pour réaliser 1:59.48 !

 

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Bien entendu ces travaux s’appuient sur des modèles mathématiques et le terrain est toujours Bien plus complexe que la science.

Ne sont pas pris en compte par exemple les dommages musculaires potentiellement plus importants en augmentant la vitesse de course. Par ailleurs de quelle façon les athlètes répondraient-ils réellement à ce type de stratégie à caractère intermittent, alors même que Kipchoge travaille au quotidien sa capacité à maintenir une vitesse qui soit la plus élevée, mais surtout la plus stable possible. Et, n’importe quel entraîneur ou athlète de haut-niveau sait que des coureurs à pied ne tireront pas tous le même avantage d’une course avec abri que ce soit d’un point de vue physiologique, musculaire et/ou mental. Malgré tout, il est toujours intéressant d’être curieux, surtout lorsque des travaux sont proposés avec autant de rigueur que ceux de Hoogmaker. D’ailleurs, il semble contre-intuitif que le champion qui devrait l’emporter puisse passer des relais plus importants que ses alliés d’un jour et surtout que ces derniers l’acceptent. Londres il y a quelques semaines en a été un parfait exemple. Il est certain que ses prévisions ne pourront jamais être vérifiées. Le meilleur exemple est qu’elles ont dû être revisitées entre Londres 2016 et Berlin 2018. Kipchoge ayant encore progressé dans son approche de l’événement. Le pourra-t-il encore ? Comment évolueront ses jeunes adversaires talentueux de Londres ?

Quitte à viser toujours plus haut, toujours plus vite, il sera  toujours plus intéressant d’assister à un marathon où les meilleurs acceptent de prendre le départ pour une course à la régulière  que le meilleur gagne, à la régulière, avec des relais de même durée après avoir été abandonnés par les lièvres au semi, qu’aux tentatives du type Breaking2 ou le projet Ineos qui dénaturent la discipline  et ne ressemblent plus guère à l’éthique de l’athlétisme mais plus à des exhibitions , certes physiques mais de jeux du cirque.

Enfin, une application toute pratique à son propre niveau : vos adversaires en course pourront devenir vos meilleurs alliés ou encore lorsque vous prenez le départ avec des collègues présentant un niveau proche du vôtre ,retenez qu’il  il sera plus utile de se relayer que de courir chacun de son côté.

 

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aubry_anael
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@AUBRYANAEL
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Anaël Aubry
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Anaël Aubry Sport Scientist

 

1 réaction à cet article

  1. Bonjour,
    un article réellement passionnant, avec une analyse rigoureuse des travaux scientifiques. Bravo pour votre expertise et votre pédagogie. Pour autant, je ne partage pas votre conclusion, un brin désenchantée.

    Vienne n’est pas un marathon majeur reconnu par l’IAAF. Nous le savons. C’est une démonstration, une exhibition si vous voulez (comme j’en ai vu en tennis, football, ou rugby professionnels), et alors ? Formidable coup de pub pour Nike? Au regard de ce que la firme investit en R&D, rien de plus légitime. Est-ce que cela dénature la discipline ? Pas plus ou moins que le marathon des sables ou celui de l’Antarctique ou encore de l’Everest. C’est juste différent d’une course IAAF. Autres choses qui ont en commun la distance : 42,195 km. En tant que physiologiste, toutes m’intéresse.

    La course d’EK à Vienne nous enseigne beaucoup de choses sur le marathon sur le plan humain, technique et organisationnelle (ou tactique de course). Ce qui s’est déroulé en 2h à Vienne valide vos hypothèses , et vous permet d’affirmer que votre idée de coopération durant la course (entre adversaires de même niveau) est (métaboliquement) plus profitable que de courir isolé. On y trouve donc quelque chose d’intéressant et transférable en course « reconnue » par l’IAAF.

    Enfin, selon moi, les vrais jeux du cirque ont plutôt été le marathon féminin des Championnats du Monde couru au milieu de la nuit à 32°C , 74% d’HR (*). Et pourtant là, on assistait à une vraie course IAAF. Le CIO a compris immédiatement l’absurdité de la course qatari et a délocalisé sur Sapporo les marathons des prochains JO de Tokyo.

    (*) https://theconversation.com/mondiaux-dathletisme-de-doha-quand-le-climat-ruine-les-performances-et-menace-les-athletes-124534

    Sportivement
    Laurent

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