Le chiffre est cité dans toutes les conversations, les dossiers, les articles : à la Fédération Française de Cyclisme, les femmes représentaient moins de 10 % de licenciées en 2014. Un chiffre étonnant, à l’heure où le running féminin explose, provoquant un déchaînement de créations d’épreuves et de concepts. Difficile de développer un haut niveau moteur pour la discipline, sans base pratiquante.
Certes le cyclisme a souffert de la masculinité particulière de son milieu. La compétition cycliste née avec le 20eme siècle, n’a proposé qu’en 1958 les premiers championnats du monde féminins. Et les Jeux Olympiques n’ont ouverts leurs portes aux femmes qu’en 1984.
Mais la France avait semble-t-il un temps d’avance. En fait, une star d’avance seulement. Pendant 30 ans, Jeannie Longo avec son palmarès long comme une étape de plat de début de tour, mais aussi par sa gouaille et les polémiques qu’elle a suscitées, aura occupé le terrain médiatique, masquant en fait, le reste du peloton féminin. De plus, l’éternelle Jeannie a surgit au cœur des années 80, à l’époque où le cyclisme restait un sport leader et faisait le match avec le football, au moins le temps du tour, en ces années où les affrontements, Hinault, Lemond, Fignon déchaînaient les foules. L’époque est différente, et même Paris-Roubaix n’a plus forcément les honneurs des ouvertures de flash sur les chaines d’information sportives.
Longo n’aura finalement jamais servie de locomotive. La chance du cyclisme féminin aujourd’hui, c’est d’en avoir une potentielle. Les rubriques sport des Journaux télévisés ont à nouveau évoqué les petites reines à l’occasion du titre de championne du monde sur route, obtenu par Pauline Ferrand Prévot en 2014 ou encore ses titres de championne du monde de cyclo-cross et VTT 2015. Plus branchée par la dynamique collective que son illustre aînée, elle a redonné au cyclisme féminin une tête d’affiche. Avec des résultats, une vraie personnalité et un joli minois, elle est devenue un atout du sport français, notamment dans les décomptes prévisionnels des médaillés possibles aux olympiades brésiliennes l’an prochain. Nike France ne s’y est pas trompée, en en faisant l’une de ses égéries, au même titre que la basketteuse Emilie Gomis.
Reste que toute locomotive qu’elle est, Pauline court sous les couleurs de la Rabo Liv, équipe hollandaise, dont la leader n’est autre que la star de la discipline, la néérlandaise Marianne Vos. Sur la quarantaine d’équipes professionnelles recensées par l’UCI, seul Poitou- Charentes Futuroscope 86 représente la France. Avec un budget de 470 000 euros, l’équipe aurait bien du mal à offrir à notre championne les conditions optimales d’un leadership efficace.
Un statut d’expatrié qui l’éloigne aussi des compétitions nationales. Après un lancement intéressant dans les années 80, le tour féminin a rendu l’âme en 2010. La course vedette est devenue la Route de France, disputée sur une petite semaine et cantonnée au nord-est du pays. Les organisateurs, les équipes, la fédération et une armée de bénévoles se donnent un mal de chien pour faire vivre cette grande épreuve. Les sponsors et les élus jouent le jeu, mais le public n’y est pas, les médias encore moins. Les cadors du peloton dont Ferrand Prévot privilégient de très loin, le giro d’Italia, la course vedette, courue en juillet et qui elle, bénéficie d’une heure de direct à la télévision italienne. Cette année, après sa seconde place en 2014, la française y a terminé sixième.
En France, les pouvoirs publics, via une commission sénatoriale dédiée, remuent sur cette question de la représentativité des femmes dans les médias, et la diffusion de sport y prend toute sa place. Derrière le trio de tête (Tennis, Athlétisme, Natation), d’autres disciplines ont fait leur petit trou, notamment le football, le basket et le hand, portés par les résultats de leurs sélections nationales.
Les choses commencent cependant à bouger un tout petit peu. Les championnats de France sur route féminins ont délivré des audiences satisfaisantes à France Télévision. Amaury Sport Organisation, l’organisateur du tour de France, a ré-entrouvert la porte en proposant, sur les Champs Elysées, le jour de l’arrivée de la grande boucle, la « Course by le Tour » que 23 chaînes internationales ont diffusé en direct.
Reste également à populariser la discipline dans les masses et à booster sa pratique. A l’heure où le running est devenu une mode entraînant derrière elle tout un lot d’annonceurs, de nouveaux médias, de réseaux sociaux et de concepts novateurs, sponsorisés voire organisées par des marques allant au-delà des simples équipementiers, le vélo peut-il suivre ce chemin et se développer ?
Il en a les atouts : le vélib, la VAE, le fixie lui ont donné une image urbaine et branchée qui ne demande qu’à être davantage exploitée. Son aspect déplacement écologique, le situe aussi bien dans son époque. Bien-sûr, les runs colorés et l’explosion des pratiquantes de course à pied connectées n’ont pas systématiquement occasionné des moissons de médailles pour le demi-fond français. Mais avec 10 % de licenciées, le cyclisme féminin traîne comme un boulet ce sous-effectif issu de son image macho. La fédération a lancé un vaste programme de changement de mentalité en intervenant directement à l’échelle des clubs et des dirigeants. La tâche est immense, le travail considérable, mais il est nécessaire. Puisse une médaille d’or de Pauline Ferrand Prévot l’an prochain à Rio, servir de déclencheur.