Il y a ceux et celles – la majorité – qui « ouvrent de grand yeux », « ne comprennent pas » et demandent : « Et tu fais ça sur combien de jours ? ». Et puis il y a cette minorité dont le regard pétille et s’illumine à l’idée de faire partie des 289 participants – pour la plupart tirés au sort – de l’édition 2015 de l’Isklar Norseman Xtreme Tri, en Norvège. Stéphanie Cayla est de ceux-là.
Le 1er août, elle prendra le départ de l’épreuve. Un cadeau d’anniversaire en retard, un mois après ses 43 ans. Une sorte de gâteau de fête hors norme que seuls les plus endurants et entraînés terminent. En moins de 13 heures pour les meilleurs. 3.8 kilomètres de natation en entrée, 180 kilomètres de vélo en plat de résistance et 42.2 kilomètres de course à pied pour le dessert. La cerise sur le gâteau ? Le « Norseman » est un Ironman catégorie extrême. Un plongeon depuis un ferry dans une eau à 13°C au milieu d’un fjord, cinq redoutables cols à franchir à vélo, 17 derniers kilomètres de course à pied en montée à 10% de moyenne pour une arrivée à 1 850 mètres d’altitude. Le tout sous une météo souvent capricieuse. Beaucoup n’y songeraient même pas.
« Ce truc-là m’a tout de suite parlé », tranche Stéphanie Cayla d’une voix douce et posée. Avec ses amis Karim et Marion de son club de Levallois Triathlon, ils ont rempli leur dossier d’inscription à l’automne 2014. Parce qu’on « n’a qu’une vie ». Les trois compères s’étaient dit que si l’un d’eux était tiré au sort, les deux autres lui serviraient d’assistance sur le parcours. C’est l’une des spécificités du Norseman : le candidat au précieux tee-shirt noir de finisher est accompagné, assisté, pour les ravitaillements, la logistique, et le soutien moral.
C’est donc à Stéphanie que la chance a souri. Elle a appris son tirage au sort mi-novembre, dans la voiture en allant participer aux 16 km de la « Sans Raison » dans les Yvelines. « Gloups, lâche-t-elle timidement. Je n’en avais pas beaucoup parlé à mon mari ». Dans la foulée de cette nouvelle, elle a participé – et gagné – le Raid Amazones au Cambodge, avec ses copines Marie et Marion. Jusqu’à la fin d’année, elle a réfléchi, « notamment en termes d’organisation », à la possibilité de relever ce challenge. Ce « projet personnel » à l’objectif très humble : « Me prouver que j’en suis capable ».
Finalement, celle qui travaille dans une agence immobilière, est maman de trois garçons de 10, 14 et 15 ans, et n’a découvert le triathlon que trois ans plus tôt, s’est lancée dans ce « truc énorme ». « Je me suis dit que je n’y arriverais pas toute seule », explique Stéphanie Cayla. Elle a donc sollicité un entraîneur, Frédéric Hurlin, qui a accompagné un participant sur l’édition 2014 du Norseman. La triathlète continue de participer aux séances et courses de son club auquel elle est très attachée, mais elle reçoit par ailleurs chaque semaine un plan de son coach. « Psychologiquement, c’est plus confortable, je sais ce que j’ai à faire ». Depuis, elle a notamment intégré des « séances techniques de vélo ». Elle effectue environ cinq entraînements par semaine, a « sacrifié » ses matinées des samedis et dimanches pour les sorties longues. Reconnaît avoir « la chance d’avoir une certaine liberté d’organisation au travail » qui lui permet de s’entraîner « en fin de journée pour ne pas rentrer trop tard à la maison » et s’occuper « de l’intendance ».
A ceux et celles qui s’inquièteraient de sa santé, elle répond avec sérénité : « Je suivie par un médecin. J’ai un plan d’entraînement qui monte en puissance jusqu’au jour J, pour éviter le surentrainement. J’ai l’impression de faire les choses correctement. Ce qui me pose le plus de problème c’est la récupération ». Pas trop le temps de souffler dans cette vie active et de famille. Mais cela fait partie du jeu. De cette plongée dans l’inconnue qui suscite autant la « peur » que « l’envie ». De cette organisation millimétrée qui lui donne l’impression de « ne faire que ça ». Elle teste des ravitaillements à vélo, parce qu’il va falloir « être bons sur ce point ». Elle a modifié son alimentation, mange « plus de protéines », mais n’a pas non plus chamboulé tous les repères de sa tribu. « On ne peut pas supprimer les pommes de terre sautées », sourit-elle.
Ses terres d’origines de Savoie où elle a pratiqué la randonnée, couru dans la montagne, participé à des cross, mais aussi arpenté les parquets de basket étant ado, auraient probablement été plus appropriées pour se préparer au dénivelé du Norseman. Mais c’est en Ile de France, notamment dans la vallée de Chevreuse, qu’elle a beaucoup roulé. Elle a essentiellement nagé en piscine, loin de la fraîcheur attendue dans le fjord norvégien. Pourtant, elle confie : « La natation me faisait peur au début, c’est de moins en moins le cas ». En ce sens, le Triathlon de Deauville, début juin, sur lequel elle a terminé quatrième féminine, l’a rassurée. « L’eau était à 16°C. C’est vrai que ce n’est pas encore 13°C, mais bon… déjà, je n’ai pas eu froid ». C’était la première fois qu’elle terminait un triathlon longue distance. « C’était un test. Je suis contente de l’avoir passé. Et en même temps, il y a encore du boulot ! Il ne faut pas se relâcher ».
A moins de deux mois du grand jour, Stéphanie Cayla avoue avoir « l’impression que le temps passe trop vite ». Elle croise les doigts pour qu’il ne « fasse pas trop mauvais temps » le jour J. Et également pas « trop chaud avant » : « J’ai lu que ça faisait fondre le glacier et que l’eau serait alors plus froide ! ». Elle se voit d’ailleurs déjà « devant l’eau, dans le bateau ». S’imagine sauter. Pour elle, l’extrême est plus attrayant qu’effrayant. Le saut à l’élastique, le saut en tandem, elle a déjà fait. Et sur cet Ironman, c’est le côté « difficile » qui la motive. Avoir survécu à un AVC (accident vasculaire cérébral) en 2008 n’est probablement pas étranger à sa détermination. Après cet accident de la vie, elle s’était « remise à courir assez vite ». Pour se dire « je suis vivante, je suis comme avant ». Car au fond, Stéphanie Cayla n’a pas changé. A la question « il y a vingt ans, auriez-vous été tentée par le Norseman ? », elle répond dans un large sourire : « Je pense que oui. Quand j’étais ado, le Raid Gauloise – un raid multisports qui n’existe plus – me faisait rêver ». Pour « le côté non classique », « le dépassement de soi ».