6h30 au pied du Trocadéro, le dimanche 12 avril 2015.
Alors que les derniers fêtards se dirigent encore vers les bouches de métro, un bien étrange spectacle se met en place. A l’arrière d’un semi-remorque, une dizaine de personnes s’affairent et déchargent des palettes de bananes, d’oranges et des milliers de petites bouteilles d’eau. Aucun marché n’est pourtant prévu ce matin là, et un couple de touristes qui guettent le lever de soleil sur la capitale s’approche, intrigué par ce déchargement incongru. « Vous préparez un pique-nique géant? » demandent-ils dans un sourire. « C’est pour le marathon de Paris », répond Evelyne, « Bienvenue au 29ème kilomètre! »
Evelyne, c’est plus d’une dizaine de marathons à Paris en tant que responsable de ce poste de ravitaillement. Autant dire que cette échéance, c’est presque devenue une habitude pour elle. « Les consignes changent un peu chaque année pour l’installation mais dans l’ensemble, on est comme chez nous ici. Et heureusement parce que sinon il nous faudrait la journée pour tout mettre en place! » explique-t-elle dans un sourire.
7h00 marque l’arrivée des premiers bénévoles, pas toujours réveillés mais rapidement mis dans l’ambiance par Evelyne. Il n’y a pas de temps à perdre, car si les premiers coureurs n’arriveront pas avant 10h15, tout doit être prêt pour 8h45, heure du départ de la course. Le ballet des tables se met donc en route. Il faut en installer près de 100 mètres, sur toute la longueur de la place, pour satisfaire les 41 000 coureurs au départ.
Les hommes s’attellent donc à la tache alors que les femmes et les jeunes se lancent dans un autre tache d’envergure, couper les tonnes d’orange et des bananes qui redonneront un coup de boost aux participants.
Les bouteilles d’eau succèdent aux fruits. Chacun les débouche pendant près d’une demi-heure avant de les disposer sur les tables, à perte de vue.
Pendant ce temps, un peu plus en amont sur la place, juste à la sortie des quais de Seine, les bénévoles de la Protection Civile de Paris se mettent, eux aussi, au travail. Il faut installer la tente de premiers secours et les tabourets qui accueilleront dans quelques heures les coureurs fourbus pour un massage parfois salvateur.
« Tout le monde à son poste, et enfilez bien vos tee-shirts pour la télé! »
8h30, tout est en place et chacun reçoit son tee-shirt aux couleurs du Marathon de Paris. « C’est mon quatorzième » raconte Patrice, tout sourire. « Je n’ai loupé qu’une seule édition depuis l’an 2000, et je ne compte pas m’arrêter là » poursuit-il. Un enthousiasme partagé par ses collègues d’un jour, qu’il connait depuis longtemps pour certains. Ici, on se retrouve chaque année entre amis.
« On est bénévoles sur plein d’autres courses pendant la saison » explique encore Patrice. « C’est vraiment sympa de voir tous ces sourires, et puis, aujourd’hui, on sera au soleil donc c’est un beau dimanche assuré! » ajoute Marc.
Une voiture de la direction de course déboule à ce moment là sur la place, avec dans son coffre les gourdes de ravitaillement des coureurs et coureuses élites. Vite, six nouvelles tables sont mises en place et on dispose sur chacune d’elle huit petits bidons seulement. Chacun est soigneusement étiqueté avec parfois des signes distinctifs (couleur, ruban, plumes) pour aider les coureurs à mettre la main sur leur bidon.
« C’est parti sur les Champs! » crie Evelyne, « tout le monde à son poste, et enfilez bien vos tee-shirts pour la télé! » rappelle-t-elle aux retardataires. L’attente commence, chacun peaufinant la disposition des bouteilles devant lui pour les distribuer au mieux le moment venu.
9h30, les spectateurs sur les quais s’agitent et deux motos de la Gendarmerie surgissent, sirènes hurlantes. « Quoi? Ils sont déjà là? C’est pas possible! » s’exclame Marie, bénévole pour la première fois. « Non non, ne t’inquiète pas » lui répond Marc,son mari. « C’est les handisports, ils vont vachement plus vite. » Le duo de tête traverse en effet la place en quelques secondes, sans même un regard pour les bouteilles d’eau sagement alignées, et continue sa course folle sur les quais, lancé à près de 30 km/h.
Les spectateurs se massent le long des barrières qui ceinturent la place et c’est finalement à 10h12 que les hommes de tête surgissent à leur tour. Ils sont sept à frôler en trombe les tables de ravitaillement, attrapant à la volée leurs bidons.
Les coureurs en 2h30 et 3h se succèdent ensuite à un rythme régulier avant que le gros du peloton ne submerge le ravitaillement. Il est midi et « c’est maintenant que ça devient sportif pour nous aussi » rigole Marc.
Le flot de coureurs est ininterrompu et la place de Varsovie se transforme en vaste champ de bataille, chacun essayant de saisir une bouteille d’eau sans perdre de temps. Les bénévoles tendent leurs bras au maximum au-dessus des tables; certains vont même jusqu’à se mettre à genoux sur celles-ci pour atteindre les coureurs les plus éloignés. Les bouteilles se renversent, volent dans tous les sens et avec la chaleur qui monte, se vident autant sur les têtes que dans les bouches. Julie, 15 ans et une bouteille d’eau dans chaque main, donne de la voix. « Courage, courage ! Une bouteille d’eau pour bien vous hydrater! » Certains coureurs font un petit sourire et lâchent un « merci » alors que d’autres s’énervent, cherchant une bouteille avec un bouchon. « C’est toujours comme ça! Quand les bouteilles sont fermées, certains ne sont pas contents, et quand on les ouvre ils les veulent fermées pour les garder… », glisse-t-elle amusée.
« Je vais peut être finir grâce à vous. Merci d’être là! »
Il est 13h et quelques dizaines de mètres plus loin, les secouristes peinent à suivre le rythme. Malgré la vingtaine de tabourets à disposition, la file d’attente s’allonge pour bénéficier d’un massage indispensable pour certains. « On masse ici, on s’hydrate là-bas et on gagne au fond! », crie Jean-Paul qui oriente les coureurs vers les tabourets disponibles.
Les tubes de crème mentholée se vident à vitesse grand V sur les cuisses et les mollets des coureurs fourbus. Un vrai bonheur pour Laura qui s’effondre sur un tabouret. « J’avais pas vu les massages l’année dernière, et je n’avais pas vu l’arrivée non plus » explique-t-elle au secouriste qui s’active sur sa cuisse droite. « Aujourd’hui, je vais peut être finir grâce à vous. Merci d’être là! » lui dit-elle en repartant.
Les heures passent et les coureurs se font moins nombreux. Aux pieds des tables de ravitaillement, les bouteilles vides s’entassent. La place de Varsovie s’est transformée en immense flaque d’eau parsemée de peaux de bananes et d’oranges. Les foulées se font moins légères et les coureurs sont de plus en plus nombreux à marcher, prenant garde à ne pas glisser sur les pavés.
Seule la sono installée face aux bénévoles ne se fatigue pas, donnant l’occasion à certains d’esquisser un petit pas de danse avant de s’élancer à l’assaut des 13 kilomètres qu’ils doivent encore parcourir.
C’est à 15h, que les derniers coureurs découvrent le Trocadéro. Une grande partie des tables ont disparu, et les bénévoles s’affairent déjà au rangement. Il faut trier les déchets et ramasser les bouteilles qui jonchent le sol, « malgré toutes les poubelles qu’on avait mis » déplore Evelyne.
Il est maintenant temps de se partager les denrées restantes pour la centaine de bénévoles qui se sont relayés tout au long de la journée. « C’est la tradition » explique Evelyne, « comme ça chacun repart avec un petit quelque chose et on ne jette rien. »
Un pack d’eau sous le bras et un régime de bananes dans l’autre main, chacun s’éloigne donc pour profiter de la fin cette après-midi ensoleillée. « Encore une année sans problème » pour Evelyne, fatiguée mais heureuse.
Rendez vous l’année prochaine? « Bien sur! On finit par s’y attacher à nos petits coureurs… », conclut-elle dans un grand sourire.
La place se vide et les touristes reprennent leurs droits, avant un retour de la horde prévu pour le 3 avril 2016.
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