Demandez donc à des marathoniens à quoi ils pensent pendant leurs passages à vide. « A ma famille », « à mes amis », « à rien », « à la bêtise que j’ai faite de prendre le départ », « à mes séances d’entraînement sous la pluie et dans le froid », ou encore « à la bonne bière que je boirais après l’arrivée ». Autant de réponses qui dépendent de la nature de chacun. Tout est question de point de vue.
Demandez maintenant à ces mêmes coureurs quel est le mot d’ordre les dernières nuits avant leur épreuve. « Récupération », répondront-ils en chœur. La dernière ligne droite avant un marathon serait-donc synonyme de repos ? Pas si sûr. Là encore, tout est une question de point de vue.
Si on ne devient pas marathonien du jour au lendemain, on ne prépare pas non plus un événement qui présente 50 000 inscrits en claquant des doigts.
Vendredi 5 avril, 20 heures, place de la Bastille. Il est grand temps de débuter le traçage de la « ligne bleue », avec 24 heures de retard sur le planning initial, la faute à de mauvaises conditions météo la veille. Cette ligne, c’est un des symboles du marathon. Tracée pour la première fois à Melbourne lors des Jeux Olympiques 1956, souvent bleue – mais pas toujours -, elle matérialise le tracé sur les plus grandes épreuves du monde. « A l’origine, elle représentait le chemin le plus court pour boucler un marathon. Mais cela impose de la tracer à l’endroit exact où l’on mesure le parcours, soit à 30 cm du trottoir. Si l’on procédait ainsi, elle ne serait pas vraiment visible. Alors il faut surtout la considérer comme la trajectoire idéale des coureurs, notamment dans les virages », explique Jean-Marie Grall. Mesureur officiel auprès de la Fédération Internationale d’Athlétisme, il opère sur l’événement depuis une dizaine d’années et connaît le parcours sur le bout des pieds, pour l’arpenter à plusieurs reprises avant le jour J.
Dans quelques heures, on entendra des bruits de respirations et de foulées plus ou moins aériennes. On sentira l’odeur de l’effort. Mais à J moins 2, dans les rues de Paris, c’est une odeur de peinture qui se répand. Et ce sont les cliquetis des bombes que l’on secoue avant de pouvoir peindre la chaussée qui raisonnent. « 160 bombes pour 42.195 km », raconte Gérald, employé de la Maire de Paris. C’est lui qui conduit le véhicule chargé de tracer la ligne. Dans la remorque à l’arrière, deux de ses collègues se relaient pour actionner les pédales et changer les bombes de peinture.. C’est long (une progression de 5 km/h en moyenne), il fait froid, mais cette nuit-là a quelque chose de magique. Les regards interrogatifs des passants, les yeux remplis d’admiration de ceux et celles qui apprennent que l’on prépare le marathon, le cortège qui progresse sous escorte policière, alterne côtés gauche et droit de la chaussée, parfois à contresens : c’est un moment rare dans la vie parisienne. Qui bouscule les habitudes et irrite, parfois, des automobilistes désorientés.
A 6 heures du matin, l’opération est terminée, la jonction Place de la Bastille effectuée. A peine plus de 24 heures plus tard, certains la chercheront et tenteront de la suivre au plus près, d’autres ne la remarqueront pas, peu importe : hormis sur une portion de la rue de Rivoli laissée telle quelle par manque de temps, la ligne bleue de cette édition 2013 est tracée.La dernière nuit arrive. Coureurs et organisateurs se trouvent un point commun : c’est celle de toutes les angoisses. Une équipe de 46 personnes installe 3108 barrières, déroule des kilomètres de rubalise, et met en place les banderoles publicitaires. Peu avant 6 heures, premier tour de circuit. Dans la voiture : Jean-Marie Grall et Vincent Rambach, de la société 100 Limites en charge de la logistique pour les barrières et restrictions. Ils s’assurent que les bénévoles rejoignent leurs postes, que les ravitaillements prennent forme, qu’aucune barrière n’est à terre.
Petit à petit, les Champs Elysées, se « noircissent » de monde. Les 40 000 courageux du jour trépignent d’impatience dans leurs SAS. Il est 8h30. Un quart d’heure avant le coup de canon, la voiture de Jean-Marie Grall et Vincent Rambach part en éclaireur. Des retouches de rubalise. La bise à Sacha, fidèle gardienne d’un poste de ravitaillement. Un peu plus loin une intervention pour éloigner une barrière amovible mal rabattue et qui empiète sur la chaussée, en plein virage. Au Trocadéro, deux barrières sont rapatriées d’urgence pour éviter toute erreur de parcours. Puis tout juste le temps de déguster une huître en passant devant le stand des Bretons du marathon de Vannes au 37ème km. Il faut déjà rejoindre l’arrivée, un petit quart d’heure avant le vainqueur du jour (Peter Some, voir les résultats).
Pour les coureurs, la ligne d’arrivée est synonyme de délivrance. Mais dans les coulisses, pour beaucoup, la journée est encore longue. Il va falloir penser au nettoyage et au rangement. Un travail colossal. La récupération d’après course, c’est aussi une question de point de vue…
Les coulisses du Marathon de Paris 2013 en photos