Lepape-info : Loury, racontez-nous comment cette aventure a vu le jour
Loury Lag : Tout est né lors du Marathon des Sables 2021 où j’ai rencontré Mathieu Blanchard. Nous étions en plein désert sous 50°C et nous nous sommes dit que nous avions envie de frais (rire) on s’est retrouvé quelques mois plus tard au Canada sous – 40°C. Comme le disait Mathieu sous la tente du bivouac en plein désert on écoutait les aventures polaires de Loury, cela nous a donné envie et on s’est projeté.
J’avais été rapatrié du Canada (en pleine expédition) deux ans plus tôt à cause du Covid, ce projet d’expédition était l’occasion de faire mes retrouvailles avec le Canada et pour Mathieu de réaliser sa première aventure dans le froid extrême. Il y avait une sorte de passage de témoin entre Mathieu qui m’a fait découvert le trail dans les montagnes d’Andorre avant de m’emmener sur le marathon des Sables, l’UTMB et moi qui allait lui faire vivre une aventure dans le froid, dans mon univers.
Loury Lag : « Ils ont vu que j’étais un peu sauvage, ils m’ont surnommé « Meikan » (le loup) et Mathieu a eu le droit au surnom « Atik » (le caribou), un animal sacré pour les Innus, très important qui permet de manger, de fabriquer des outils, de se réchauffer. Il y avait beaucoup de respect et cela a lancé le concept de notre aventure. »
Lepape-info : Que retenez-vous de plus fort dans cette aventure ?
L.L : La rencontre avec la nation innue (peuple autochtone du Québec et du Labrador). Avant de partir sur l’Œil du Québec, nous sommes allés à la rencontre de cette nation qui préserve la culture innue et ses traditions sur le territoire Canadien avec ses techniques ancestrales. C’était un très beau moment, très marquant qui m’a beaucoup plu. Avant d’être acceptés puis de leur parler de Uapapunan, ce choix de nom pour notre expédition, nous avons échangé, ils nous ont expliqué en quoi consistait ce fameux œil et ils ont validé notre choix, tout s’est merveilleusement passé, c’était fou.
Lepape-info : Une nation innue accueillante qui vous a même donné des surnoms
L.L : Oui ils ont vu que j’étais un peu sauvage, ils m’ont surnommé « Meikan » (le loup) et Mathieu a eu le droit au surnom « Atik » (le caribou), un animal sacré pour les Innus, très important qui permet de manger, de fabriquer des outils, de se réchauffer. Il y avait beaucoup de respect et cela a lancé le concept de notre aventure. On est restés près d’une semaine avec eux avant de partir vers la station Uapishka.
Loury Lag : « Appréhender les expéditions dans le froid c’est très technique, j’ai transmis énormément de choses à Mathieu, mes combines, mes astuces que j’ai mis 10 années à apprendre. Ce que je lui ai donné en 10 jours, c’était très intense. »
Lepape-info : Quel était l’objectif fixé avant le début de votre aventure ?
L.L : Le principe était de continuer le partage sur l’aventure naissante entre Mathieu et moi, des montagnes d’Andorre en voyageant à travers les courses puis en venant au Canada pour vivre un grand moment. On le voit dans le film, Mathieu le dit : « C’est fou la multitude d’informations que j’ai récolté en l’espace de 10 jours ! » Pas un moment l’esprit de compétition était présent, nous voulions sortir de l’univers de la course, vivre une aventure d’entraide à deux, chacun avait une partie du matériel de survie etc…
Lepape-info : Une aventure avec plusieurs paramètres à prendre en compte dont le froid extrême et votre matériel à transporter
L.L : Oui avec des températures parfois à – 42°C. L’idée de cette expédition était de partir en autonomie, d’avoir son propre matériel, sa nourriture, de dormir à même la glace et que Mathieu se rende compte ce que cela fait quand la température chute une fois la nuit venue lui qui a l’habitude de souffrir, d’être mis à l’épreuve à travers le sport. Il a découvert quelque chose de plus usant sur le fond, de plus éreintant mentalement alors que c’est un très grand sportif. Après cette expérience, il a terminé 2ème de l’UTMB, son meilleur classement sur l’épreuve, cet expérience a été très bonne pour lui physiquement. Le vrai apprentissage fut de trouver des solutions pour être efficace, réagir vite dans les situations extrêmes et cela lui a beaucoup plu. Appréhender les expéditions dans le froid c’est très technique, j’ai transmis énormément de choses à Mathieu, mes combines, mes astuces que j’ai mis 10 années à apprendre. Ce que je lui ai donné en 10 jours, c’était très intense.
Lepape-info : Quelles étaient ces petites combines ?
L.L : Je lui ai par exemple expliqué qu’il fallait partir avec un clou quand tu tombes dans une couche de glace sous la neige, une couche un peu liquide et lorsque tu sors ton pied de l’eau glacée cela congèle immédiatement. Sans ce petit clou tu ne peux pas gratter et tu peux te retrouver à transporter 2 kilos en plus de glace sur ta chaussure. Au niveau de la nourriture, il fallait gérer 6 000 à 9 000 calories par jour, savoir comment ingérer autant de nourriture. Cela passe aussi par la gestion des couches de vêtements, de l’effort à savoir ne pas trop en faire et ne pas trop transpirer. Au niveau du matériel par exemple il faut penser à scotcher les arceaux de la tente pour qu’elle se déplie uniquement aux endroits que tu as décidé et aller plus vite dans le froid pour le montage et démontage.
Lepape-info : Qu’est ce que vous a appris Mathieu lors de cette aventure ?
L.L : Sur l’expédition polaire… rien (rires) c’était le but de l’opération car il m’a beaucoup appris dans les montagnes en Andorre, il m’a énormément donné lorsque j’ai commencé le trail, il m’a initié, il m’a fait faire 55 km et 6 000 m D+ en une journée. Il m’a emmené dans son univers de course, j’ai appris beaucoup de choses au sujet de l’optimisation du poids du matériel, de la gestion de l’effort mais dans son monde. Là nous étions dans mon monde, c’est un échange.
Lepape-info : À quoi ressemblait une journée type ?
L.L : On se réveillait souvent de froid, vers 5-6 heures du matin avant que le réveil ne sonne. C’était rude, glacé à l’intérieur de la tente avec des températures à – 20°C. On allumait le réchaud, on réchauffait la tente, on commencait à manger, on se préparait. Ensuite on partait sur les skis après avoir ingéré 2 000 / 2 500 calories en mangeant 7 barres (300 à 400 calories chacune). Dans la journée c’était 10-12 heures d’efforts constants pour faire 30-40 km selon les conditions météorologiques en tirant 70 à 100 km de chargement chacun avec notre pulka avec une dizaine de petites pauses de 3-4 minutes pour manger une barre rapidement. Le soir on remangeait nos 2 500 calories de repas lyophilisé avec du café que l’on avait fait fondre dans la journée, on regardait nos bobos, on se racontait des blagues et on s’endormait assez rapidement.
Lepape-info : Y’a t’il eu des moments très compliqués ?
L.L : Oui juste avant de partir, un guide local nous a expliqué qu’un orignal, une sorte de cerf dans la région, s’était fait déchiqueter par une meute de loups. Mathieu a pris un énorme coup de pression la veille du départ puisqu’on était pas armés à ce moment-là, le guide nous a prêté un fusil mais c’était très dangereux. Cela a crée un climat de tension les premières nuits. Ensuite Mathieu a pris un coup de froid terrible la 3ème ou 4ème nuit, il a mis très longtemps à se réchauffer, cela l’a touché moralement. Autre nuit délicate quand la glace a fissuré sous nous, Mathieu a appris ce que c’était de vivre avec la glace qui craque et qui te fatigue beaucoup psychologiquement, tu as peur de passer à travers la glace et de mourir noyé dans l’eau glacée.
Lepape-info : Avez-vous vécu l’aventure que vous souhaitiez ?
L.L : J’ai découvert Mathieu dans une aventure, une expérience en binôme, c’était les retrouvailles avec le Canada pour moi où j’ai renoué avec le milieu polaire après mon rapatriement quelques années plus tôt. C’était important aussi puisque je repars en Arctique au-delà de la latitude 70 en février pour réaliser une tentative de double record du monde. Cela m’a permis de me conforter, de m’entraîner, de solutionner ce qui n’allait pas et de trouver la force, la capacité pour me dire je suis prêt à repartir.
Loury Lag : « Le film est authentique, il est génial, très humain à la hauteur de ce que l’on a vécu. On voit les doutes, les difficultés de Mathieu, les moments difficiles, les partages avec les Innus. On voit aussi un peu le « off », comment on a construit cette expédition, tous les moments par lesquels nous sommes passés. »
Lepape-info : Les paysages étaient magnifiques
L.L : Oui très beaux, incroyables. On le voit dans le film on a eu droit à des aurores boréales, des tempêtes de neige, à certains moments on ne voyait pas à 50 m. C’était particulier au niveau des sensations, des émotions, c’était fou. On a fait aussi une rencontre insolite avec un gars qui avait vu mes stories de la préparation et qui est arrivé de France au moment où nous avons terminé. Ils nous a retrouvé à la station Uapishka. Nous avons inspiré ce garçon qui partait faire la même chose que nous, ce fut un peu plus laborieux pour lui, on lui avait donné nos conseils, il a pris du matériel, c’était sympa ce nouveau passage de témoin.
Lepape-info : Ce fut une aventure humaine, culturelle et extrême
L.L : Une aventure régie par le partage, les Innus nous ont beaucoup donné sur leurs traditions, leurs façons de faire, l’acceptation. Mathieu avait fait cela avant avec moi, je lui ai rendu à travers cette aventure et on l’a donné à quelqu’un d’autre. On a été très bien accueillis à la station Uapishka, ils nous ont beaucoup accompagnés, on a travaillé pour le Canada, le Québec, le gouvernement. Chacun a apporté sa compétence à l’autre ou aux autres. Mathieu était là pour beaucoup apprendre à travers moi, c’était vraiment bien.
Lepape-info : Vous avez vu le film UAPAPUNAN avant sa sortie, qu’en avez-vous pensé ?
L.L : Le film est authentique, il est génial, très humain à la hauteur de ce que l’on a vécu. On voit les doutes, les difficultés de Mathieu, les moments difficiles, les partages avec les Innus. On voit aussi un peu le « off », comment on a construit cette expédition, tous les moments par lesquels nous sommes passés. On a fait aussi une rétrospective de notre expérience, on nous voit dans les montagnes Espagnoles, dans le désert, à l’UTMB puis finalement au Canada, c’est assez complet. Le réalisateur Jérôme Binette a fait un super boulot avec ses équipes.
Lepape-info : Le film UAPAPUNAN sera diffusé en avant-première lors d’une tournée en France et au Canada
L.L : Une date, un lieu. La première sera à Paris au CGR les Lilas (20ème) le lundi 16 janvier, on fait la tournée en partenariat avec CGR. Le 17 ce sera à Bordeaux, le 18 à Toulouse, le 19 à Marseille, le 20 à Lyon et le 21 à Annecy. Ensuite deux jours de battement et direction le Canada où c’est déjà complet.
Loury Lag : « Je suis en Alaska début février pour réaliser un nouveau documentaire sur une tentative en solitaire de double record du monde en ski kite du passage du Nord-Ouest… Cette soif d’aventure m’anime encore et encore, c’est là que je me sens vivant. »
Lepape-info : Que retenez-vous de cette aventure ?
L.L : Cette histoire de partage est très importante, je me suis fait tout seul et j’ai pratiquement donné tout ce que j’ai acquis en 10 ans à Mathieu en 10 jours. Si j’ai l’opportunité de partager mes connaissances pour que les gens minimisent les risques je trouve cela très intéressant, je l’avais déjà fait dans mon livre « Horizons extrêmes » où je donnais des tutos pour éviter que les gens fassent des erreurs qui pourraient leur coûter la vie.
Lepape-info : Après la tournée pour la sortie du film, place à une nouvelle aventure
L.L : Je suis en Alaska début février pour réaliser un nouveau documentaire sur une tentative en solitaire de double record du monde en ski kite cette fois sur le passage du Nord-Ouest en partant de l’Océan Pacifique pour rejoindre l’Atlantique (3 500 km environ) en progressant sur la banquise qui est en fait l’Océan Arctique congelé à cette époque de l’année. Mike Horn l’a fait en 90 jours mais en ski nordique. Mon premier record du monde fut en 2019 en Islande lors de la traversée d’Est en Ouest du glacier Vatnajökull (8 300 km2). Cette soif d’aventure m’anime encore et encore, c’est là que je me sens vivant.
Le lien vers la billetterie pour les projections en France / Canada : https://linktr.ee/uapapunan