Il y a tout juste un an, Anael Aubry avait consacré un article sur le phénomène Jakob Ingebrigtsen (Que penser du phénomène Jakob Ingebrigtsen ?).
A son sujet les observateurs de la chose athlétique se scindaient entre 2 groupes : les enthousiastes et les suspicieux. Notre objectif avait été de tenter de trouver un maximum d’éléments permettant à chacun de se faire son idée, avec des arguments plus pointus que la simple vision des résultats des courses (évolutions chronométriques, éléments d’entraînement, analyse de courses, contexte familial, etc.).
Il y a quelques semaines un nouvel article de nature scientifique a été publié avec pour objet les 3 frères Ingebritsen. Celui-ci a été écrit par Leif I Tjelta, sport scientist reconnu pour son travail depuis de nombreuses années auprès des skieurs de fond et biathlètes Norvégiens.
L’article intitulé : « Trois frères norvégiens champions d’Europe du 1500 mètres : quel est le secret ? » a été publié dans l’International Sports Science & Coaching.
Leif I Tjelta assure le suivi des 3 frères depuis le début de sa collaboration avec le plus âgé, Henrik, depuis 2010. Leif I Tjelta nous avait déjà permis d’en savoir un peu plus sur la philosophie d’entraînement de leur coach et père, Gjert, avec notamment le contenu de l’année d’entraînement de 2012 d’Henrik, conclue par un titre européen sur cross long et 1500 m outdoor et une 5ème place olympique à Londres sur 1500m.
Voici la traduction intégrale par A. Aubry avec la collaboration de JC Vollmer.
Un norvégien de 17 ans (ndlr : dans sa 18 ème année) gagnant le 1500 m et le 5000 m lors des championnats d’Europe d’athlétisme en août 2018 à Berlin était à la fois inattendu et sensationnel. Un intérêt très fort s’est fait jour dans la presse internationale autour du fait que ces 2 grands frères ont aux aussi été champion d’Europe du 1500 m précédemment et sont au plus haut niveau international dans les courses de demi-fond. Alors quel est le secret derrière l’entraînement et le développement athlétique de ces trois frères ?
La performance en demi-fond est influencée par de multiples facteurs physiologiques, tels que la consommation maximale d’oxygène (VO2max), l’utilisation de l’absorption maximale d’O2, l’économie de course, la vitesse associée au seuil anaérobie, celle associée à VO2max (VMA), la puissance anaérobie, la force musculaire et les capacités neuromusculaires.
Le comment développer ces facteurs physiologiques et la performance fait l’objet de nombreuses discussions. Est également largement débattu la question de savoir si les succès à long terme des sportifs d’élite peuvent être prédites à partir des performances dans les compétitions de jeunes mais aussi dans quelle dimension les gènes ou encore l’environnement jouent le rôle central dans le développement des talents.
Pour Simonton, le talent émerge d’un processus multidisciplinaire, multiplicative et dynamique et opère dans un système complexe au-delà du débat sur la question environnementale et du genre. Simonton a basé son analyse du talent ou du don sur un modèle mathématique qui explique le développement du talent. Différents facteurs de pertinence du modèle sont pondérés et incluent des dispositions génétiques (ex : capacité d’endurance) environnementales (social et familial) et contraintes de développement (structure de l’entraînement et programme des compétitions)
Cependant, dans quelle mesure un don particulier est actionné en lien avec le patrimoine génétique émergeant et du développement épigénétique est cependant beaucoup plus prodigieux que ne l’indiquent la plupart des définitions du dictionnaire.
Johnson et ses collaborateurs ont proposé un modèle à quatre facteurs expliquant le développement d’un sportif élite basée sur une étude incluant 8 nageurs d’élite et 11 nageurs de haut niveau, s’appuyant sur des données fournies par les entraineurs et les parents.
Selon leur modèle à 4 facteurs, le talent est défini par :
1) les prédispositions physiques et psychologiques qui interagissent avec
2) une charge de travail élevée et appropriée
3) un environnement favorable et
4) des stratégies d’adaptation facilitantes.
Le modèle à quatre facteurs est en adéquation avec les facteurs que Mallett et Harrahan ont associé à des athlètes d’élite, qui ont été considérés comme très motivés par des objectifs personnels réussis, disposant d’une grande confiance en eux-mêmes et ayant placé l’athlétisme au centre de leur vie.
L’objectif de l’étude de Tjelta a été d’analyser le développement des performances et la structuration de l’entraînement des 3 frères lors de l’adolescence, et d’examiner dans quelle ampleur la structure d’entraînement et le soutien familial ont pu être décisifs dans leur développement.
Les sujets.
HI (Henrik) : champion d’Europe du 1500 m en 2012, il a fini second lors des championnats d’Europe en 2014 et troisième en 2016 alors que son frère Filip a gagné. Aux championnats d’Europe de 2018, il a terminé 4 -ème du 1500 m et deuxième du 5000 m. En 2012, il a terminé 5 -ème du 1500 m des Jeux olympiques. Il a également été champion d’Europe des moins de 23 ans en cross-country en 2012 et champion d’Europe des moins de 23 ans sur 5000 m. En 2018, il a été le meilleur européen sur 5000 m avec un chrono de 13 :16.97. En 2019 il a terminé 3 -ème du 3000 m aux championnats d’Europe indoor. Son palmarès comporte 7 médailles en salle et 4 médailles sur piste au niveau européen.
FI(Filip) : champion d’Europe sur 1500 m en 2016 et 3 -ème lors des championnats du monde à Londres en 2017. En décembre 2018, il est devenu champion d’Europe de cross -country. Au bilan européen il est classé 1er sur 1500 m en 2018 et figure au troisième rang au niveau mondial.
JI (Jakob) : champion d’Europe 2018 sur 1500 m et 5000 m. Il est 5 fois champion d’Europe chez les moins de 20 ans (juniors), 3 fois en cross et 2 fois sur piste. Il a terminé deuxième sur 1500 m et troisième sur 5000 m lors des championnats du monde juniors en2018. Au bilan européen 2018 sur 1500 m il est classé 2ème et figure au 4ème rang au classement mondial. Champion d’Europe indoor sur 3000 m et vice-champion sur 1500 m. A l’heure où cet article est rédigé ( fin juillet 2019 ) il détient le record du monde en salle des moins de 20 ans sur 1500 m (3 :36.02) et le record d’Europe sur piste (3 :30.16 ). En courant le 5000 m en 13 :02.03 le 20 juillet à Londres il a également un nouveau record d’Europe des moins de 20 ans sur la distance.
Tableau des meilleures performances des 3 frères :
800m | 1500m | Mile | 3000m | 5000m | |
Henrik | 1:48.09 | 3:31.46 | 3:50.72 | 7:36.85 | 13:15.38 |
Filip | 1:47.79 | 3:30.01 | 3 :49.60 | 7 :49.70 | 13:11.75 |
Jakob | 1:49.40 | 3:30.16 | 3 :51.30 | 8 :00.01* | 13:02.03 |
*Jakob n’a pas couru de 3000m en extérieur en 2018 et 2019
Données relatives à l’entraînement
La fréquence des séances d’entraînement (sessions hebdomadaires) et le kilométrage moyen (km hebdomadaires) ont été enregistrés à partir de leurs carnets d’entraînements. Les charges d’entraînement ont ensuite été quantifiés en termes d’intensité d’après les zones d’intensité présentées dans le tableau 2. Leur père et coach (GI) a réalisé durant toute leur carrière des enregistrements de fréquence cardiaque lors de chaque séance de course et effectué des prises de lactatémie sanguine (en utilisant le Lactate Pro 1de 2010 à 2015) et le lactate Pro 2 (depuis 2015) lors de chaque entraînement de type intervalle. L’auteur de l’article a observé ces coureurs aussi bien à l’entraînement qu’en compétition pendant les 7 dernières années.
Zone d’intensité | Type d’entraînement | Lactatémie (mmol/L) | FC en % de la FC max | Adaptations physiologiques visées |
1 | Course continue de facile à modérée | 0.7-2.0 | 62-82 | Récupération et augmentation de l’économie de course |
2 | Entraînement au seuil | 2.0-4.0 | 82-92 | Augmentation du seuil anaérobie et de la VO2max |
3 | Entraînement aérobie par intervalles | 4.0-8.0 | 92-97 | Augmentation de la VO2max |
4 | Entraînement anaérobie, majoritairement autour des allures 800-1500m | >8.0 | >97 | Augmentation de la capacités anaérobie |
5 | Sprint | Augmentation de la vitesse |
Tableau 2 : la méthode des 5 zones d’intensité (Zones d’intensité, vitesse de course et type d’entraînement, lactate sanguin durant l’exercice, Fréquence cardiaque en % de FC max et les effets physiologiques présumés.
Le support familial
La méthode utilisée pour savoir dans quelle mesure ces trois frères ont bénéficié comme aide et avantage du support familial a été l’observation et des conversations menées avec ces 3 tris coureurs et leurs parents.
Résultats
Evolution des performances
L’évolution chronométrique des 3 frères durant les différentes tranches d’âge sont présentés dans le tableau 3 (sur 800 m) et le tableau 4 (sur 1500m)
Age | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 |
Henrik | — | 2:04.56 | 1:58.89 | 1:54.63 | 1:52.51 | 1:51.34 |
Filip | — | — | — | — | 1:56.74 | 1:50.80 |
Jakob* | 2:04.09 (2) | 2:05.02 | 1:52.60 (1) | 1:51.07 (1) | 1:49.40 (1) | 1:48.63 (1) |
Age | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 |
Henrik | 4:30.36 | 4:22.48 | 4:04.16 (9) | 3:54.08 (4) | 3:50.63 (4) | 3:44.53 (2) |
Filip | — | — | 4:14.68 | 4:08.67 | — | 3:51.70 |
Jakob | 4 :21.90(1) | 4:15.87 (1) | 4:05.49 (1) | 3:48.37 (1) | 3:42.44 (1) | 3:39.92 (1) |
() : le numéro entre parenthèses correspond au classement dans la hiérarchie des meilleurs temps norvégiens de la classe d’âge.
Développement de leur entraînement.
Volume d’entraînement.
Henrik. De 10 à 14 ans, il a joué au football. De 13 à 17 ans, il a participé à des compétitions de ski de fond pendant la saison hivernale et à des compétitions de demi-fond pendant l’été. En 2008, à l’âge de 17 ans, il est devenu champion de Norvège junior de ski de fond. Pendant la saison hivernale, à l’âge de 17 ans, sa charge d’entraînement moyenne variait d’une semaine à l’autre en fonction de l’ampleur de son entraînement de ski de fond. Les séances d’entraînement en ski de fond étaient généralement plus longues que les séances de course à pied. Au cours d’une « semaine type de course » de février à début mars, il courait en moyenne 111 km. De 17 à 21 ans, il a progressivement augmenté sa charge d’entraînement hebdomadaire totale, passant d’une moyenne de 100-110 km par semaine à une moyenne de 156 km par semaine. Son volume moyen d’entraînement hebdomadaire durant la période de préparation hivernale (novembre à mars) pour les saisons 2018 et 2019 a été de 150-160 km par semaine.
Filip. A partir de 10 ans, il a pratiqué conjointement le football, participé à des compétitions de ski de fond et des entraînements d’athlétisme, sans prendre part aux compétitions à l’inverse des deux autres sports. À partir de 17 ans, il s’est de plus en plus centré sur la course à pied. Son volume d’entraînement hebdomadaire a alors progressivement augmenté passant de 70-80 km/semaine à 17 ans, à 120-130 km/semaine à 20 ans. Le volume d’entraînement moyen pendant la période de préparation (novembre à mars) lors des deux dernières saisons (2018-2019) a été de 150–160 km/semaine.
Jakob. Il a commencé à s’entraîner dans le même club d’athlétisme que ses frères aînés, dès l’âge de 7 ans (Henrik a alors 17 ans et Filip 14 ans). Il participe aux compétitions dans les différentes disciplines de l’athlétisme (sprint, haies et sauts). A l’âge de 7 ans, il court le 60m en 10.63. Parallèlement il participe à des compétitions de ski de fond, au niveau régional jusqu’à l’âge de 12 ans. À 10 ans, il boucle une course de 8,2 km dans un parc en 29 :56 et possède une VO2max mesurée légèrement au-dessus de 70 ml/kg/min. Il a 12 ans lorsque Henrik devient champion d’Europe du 1500 m en 2012. C’est à ce moment-là qu’il exprime l’ambition de vouloir lui aussi devenir champion d’Europe un jour et déclare : « Depuis cet instant, je me suis entraîné et j’ai vécu comme un athlète élite ». À l’âge de 12 ans, il s’entraîne quotidiennement. Il a progressivement augmenté son volume d’entraînement et le nombre de séances par semaine, année après année. À l’âge de 17- 18 ans, au cours de la période de préparation précédant la saison 2018, il a couru en moyenne 130-140 km par semaine, avec 13 à 14 séances hebdomadaires. Le volume d’entraînement pour la période de préparation à la saison 2019 est passé à 150/160 km/semaine, le même volume que ses grands frères.
Fréquence des séances et distribution des intensités d’entraînement.
Tous les trois frères ont réalisé un programme d’entraînement avec un volume par intervalles hebdomadaire relativement élevé au seuil et dessus du seuil anaérobie (20 à 25% du volume hebdomadaire). Leur père et entraîneur, Gjert, souligne qu’à l’adolescence, l’objectif principal portait sur l’entraînement de type aérobie (zone 1 et 2). Le volume d’entraînement anaérobie intensif était très limité pendant leur adolescence. La majeure partie de l’entraînement par intervalles a été réalisée à des allures correspondant aux allures de course du 5 000m et du 10 000 comme entraînement au seuil (zone2).
À partir de 16-17 ans, ils se sont entrainés entre 10 et 14 séances par semaine. Au cours de la période de préparation menant aux saisons 2018 et 2019, les trois frères ont effectué entre 23 et 25% du volume hebdomadaire sous forme d’intervalles à une intensité égale ou supérieure au seuil anaérobie.
Les sessions du matin se basent sur des sorties de type continu ou des intervalles plus longs situés dans la zone 2. Selon Billat, Lepretre cette allure au seuil correspond à l’allure qu’un coureur d’élite peut tenir approximativement pendant 1heure, qui est proche de l’allure du semi -marathon. Les coureurs de la présente étude réalisent des répétitions sur des distances comprises entre 2000 et 3000m à cette allure. Toutefois, lorsqu’ils effectuent des répétitions sur des distances allant de 400 à 1000m, à une lactatémie ou des fréquences cardiaques qui se situent dans la zone 2, ils courent à des allures de course plus élevées qui correspondent à l’allure de course 5000-10 000m. Le volume d’une session en zone 2 est comprise entre 8 à 12 km de volume total.
En période pré-compétitive et pendant la saison compétitive, ils effectuent des sessions sur la piste aux allures de course, tandis que le volume d’entraînement au seuil anaérobie est inversement réduit. En plus de ces séances spécifiques de course, ils font également des exercices techniques, des sprints, du travail de bondissements sauts et de musculation générale pendant la période de préparation.
Durant la période pré- compétitive (avril-mai), la structure d’entraînement hebdomadaire se différencie davantage d’une semaine à l’autre que pendant la période de préparation. Certaines semaines, le nombre de séances en zone 2 est réduit en raison du nombre accru de séances en zone 3. Pendant la période de compétition, la structure d’entraînement et le nombre de séances en zone 2 (allures semi, 5000-10 000 m), zone 3 (3 000 m) et zone 4 (allures 800-1500m) diffère d’une semaine à l’autre en fonction de la nature des compétitions.
Soutien familial
Henrik, Filip et Jakob sont les 2ème, 3ème et 5ème frère d’une fratrie de sept enfants (6 frères et une sœur). Le frère aîné et le quatrième dans l’ordre ont également pratiqué l’athlétisme au niveau du club. Le quatrième est un jouer de football de niveau régional. Leur sœur 5 13ans lors de la rédaction de cet article) s’entraîne également pour les courses de demi-fond et fond. Elle est également coachée par le père et fait partie du même groupe que ses frères. Le plus jeune des frères a fait ses débuts en cross-country à l’âge de 5 ans, et leur mère participe à des courses populaires.
Les 3 frères déclarent que, dès leur plus tendre enfance, ils ont fortement été encouragés à avoir une activité sportive et compétitive de la part de leurs parents, tout particulièrement par leur père.
Henrik : « Lorsque nous étions à l’école primaire et que nous pratiquions le ski de fond pendant la saison hivernale et la course à pied pendant l’été, nous avons demandé à notre père la permission de faire des séances le matin, en plus des séances de l’après-midi. Nous avons été autorisés, mais notre père a dit que nous ne devrions pas le dire à nos professeurs, qui s’inquiéteraient et penseraient qu’il nous poussait trop loin ».
Filip : « Notre mère a également été une part extrêmement importante de notre équipe familiale. Elle avait toujours préparé le repas quand nous revenions de nos entraînements et lavé des milliers de kilos de vêtements d’entraînement au cours de ces années. Elle, nos frères et sœurs, nos femmes et petites amies nous accompagnent également lorsque nous nous allons à Saint Moritz pour nous entraîner en altitude l’été avant les championnats. Toute la famille était au stade et nous a soutenu aux mondiaux de Londres en 2017 et aux Championnats d’Europe à Berlin en 2018 ».
Les 3 frères, dans une grande mesure, suivent le même processus d’entraînement. Jakob dit qu’il s’est entraîné avec Henrik et Filip à partir de ses 12 ans : « Les premières années, j’ai couru des intervalles plus courts et moins de répétitions que mes frères plus âgés. J’ai également couru moins de kilomètres sur les sorties longues. Quand, à l’âge de 16-17 ans, j’ai pu les suivre sur la plupart des séances d’intervalle, j’ai su que j’étais un coureur junior de niveau international. Durant l’hiver 2017-2018, en préparation de la saison 2018, j’ai senti que j’étais aussi fort qu’eux ».
Tous trois soulignent l’importance de l’entraînement en commun. Filip : « Nous sommes des concurrents, des frères et de bons amis. Nous nous poussons les uns et les autres lors de l’entraînement ».
Henrik : « En 2017, j’ai été blessé et j’ai dû subir une intervention chirurgicale. La reprise de l’entraînement pour la saison 2018 a été difficile. Lorsque j’ai pu suivre Filip et Jakob lors des séances de fractionné au printemps 2018, je savais que j’étais capable de me battre pour une médaille au Championnat d’Europe 2018. Ce fut un grand moment pour moi de terminer deuxième derrière mon frère sur 5000m à Berlin ».
Leur mère et leur père soulignent tous les deux que les trois frères ont toujours été extrêmement forts mentalement, qu’ils aiment la compétition et possèdent une très grande confiance en eux-mêmes. Ils ont toujours eu la capacité à se fixer des objectifs ambitieux mais réalistes et sont motivés par la réussite et les objectifs. Leur mère déclare : « Leur père leur a dit très tôt qu’il n’y avait pas de chemin facile vers le sommet. Ils ne prennent jamais de raccourcis, ils s’entraînent tous les jours. Même les jours de leur mariage, Henrik et Filip ont réalisé leurs séances d’entraînement ». Henrik et Filip ont raconté une anecdote de leurs compétitions de ski de fond, quand ils étaient jeunes, qui illustre bien cette attitude. Beaucoup de leurs concurrents avaient préparé leurs skis (avec l’aide de leurs pères) avec des phares très coûteux qui leur offrait une meilleure capacité de glisse que le fartage de ski ordinaire qu’eux utilisaient. Quand ils l’ont dit à leur père, il a déclaré : « Ne vous focaliser pas sur cela. Vous êtes beaucoup mieux entraîné qu’eux, vous les battrez de toute façon ».
Discussion
Formation athlétique
Comme le montrent les tableaux 3 et 4, les 3 frères ont connu une évolution de leurs performances chronométriques très différente pendant l’adolescence, qui ont suivi différents chemins vers le très haut niveau en course à pied.
Henrik figure parmi les 10 meilleurs performers sur 1500 m en Norvège dans les groupes d’âge 15, 16, 17 et 18 ans (désormais derrière Jakob). Pendant son enfance, il a pratiqué le football, le ski de fond et la course à pied. Quand il a couru le 1500m en 3.44.53 à l’âge de 18 ans, il réalisait donc le chrono le plus rapide jamais réalisé pour ce groupe d’âge en Norvège (Jakob est maintenant meilleur).
Filip, qui était le coureur de 1500m le plus rapide d’Europe en 2018 avec un temps de 3 :30.01 (meilleure performance européenne depuis les 3 :28.93 de Mo Farah en 2015), ne fait partie d’aucun top 10 Norvégien des 13-18 ans. Il a joué au football de 7 à 16 ans. À partir de 14 ans, il a participé sporadiquement à des compétitions de course à pied et à des compétitions de ski de fond. A 17 ans Il s’est totalement consacré à la course à pied. En 2012 (à l’âge de 19 ans), il devient champion de Norvège junior sur 1500m et senior en 2013.
Jakob a été le meilleur demi-fondeur norvégien dans tous les groupes d’âge à partir de 13 ans et a été considéré comme extrêmement talentueux dès son plus jeune âge. Comme ses frères aînés, il a également participé à des compétitions de ski de fond jusqu’à l’âge de 14 ans. Il ne jouait pas au football, mais à partir de 7 ans, il a participé à toutes sortes de compétitions dans les différentes disciplines de l’athlétisme, comme les sauts, le sprint, les haies et donc le demi-fond.
Le développement athlétique de Filip et, dans une certaine mesure, de Henrik est conforme aux conclusions d’Anderson et Mayo, qui indiquent que de nombreux athlètes élite se sont spécialisés tardivement dans leurs sports, après avoir pratiqué diverses activités dans leur jeunesse. Jakob, en revanche, s’est concentré sur les courses de durée dès son plus jeune âge. Selon les conclusions d’un article de synthèse de Coutinhoet, il est prouvé qu’aussi bien une spécialisation précoce, qu’une pratique diversité d’autres activités peut amener à un développement de haut niveau. Bien que ces trois frères, au cours de leur enfance et de leur adolescence, aient suivi différentes voies de développement, ils présentent un point en commun : ils ont été actifs sportivement depuis leur plus jeune âge avec un volume élevé, particulièrement à partir de 16/17 ans.
Volume d’entraînement et distribution de l’intensité
Le volume moyen d’entraînement durant la période de préparation menant à la saison 2019 a été de 150 à 160 km par semaine, répartis sur 13 à 14 séances. Cela correspond aux volumes d’entraînement hebdomadaires et au nombre de séances effectuées par des athlète élite en demi-fond.
Durant la période de préparation (novembre-mars), ces 3 coureurs ont effectué 23% à 25% du volume total par le biais d’entraînements par intervalles à une intensité égale ou supérieure au seuil anaérobie (zone 2 – table 3). Mais, la large majorité de l’entraînement par intervalles a donc été réalisé sous la forme d’un entraînement compris entre les deux seuils (zone 2).
L’importante quantité d’entraînement réalisé en zone 2 va dans le sens des conclusions présentées dans un article très récent de Casado et collègues qui a décrit l’entraînement de de quelques des meilleurs coureurs de longue distance. Le volume élevé d’entraînement en zone 2 était fortement corrélé à leurs performances. La seule différence est que les coureurs de l’étude de Casado réalisaient la majorité de ces séances en zone 2 sous forme continue « tempo runs », alors que les coureurs de cette étude procèdent par intervalles.
Gjert, leur entraîneur et père, souligne l’importance de développer une bonne capacité aérobie pendant la période de préparation et de maintenir celle-ci durant toute la période précédant la compétition, mais également pendant la saison estivale. Avec plus d’entraînement en zone 3 (allure 3000m) et zone 4 (800-1500m) incorporé pendant la période précompétitive et compétitive, en accord avec les recommandations de D.E. Martin et P. Coe ;
La réduction du volume d’entraînement, comme conséquence de l’augmentation du volume entraînement à haute intensité en saison compétitive, particulièrement dans les semaines précédant les compétitions majeures, est en accord avec les recommandations de Shepley et collègues qui ont étudié les effets de trois différents affûtages avec des athlètes de demi-fond particulièrement entrainés. La distribution optimale des différentes intensités d’entraînement pour des athlètes d’endurance de très haut niveau peut être débattue. D’après Seiler et Tonnensen, une distribution avec 80 % de l’entraînement réalisé à faible intensité (en dessous du seuil anaérobie) et 20% de travail à intensité élevée (au et au-dessus du seuil anaérobie) donne d’excellents résultats à long terme. Les 23 % à 25 % d’entraînement à intensité élevée qu’on trouve ici chez les coureurs de cette étude dans la préparation de leur saison 2018 est légèrement au-dessus de cette recommandation. Selon leur entraîneur G. Ingebritsen, inclure avec succès un haut % de travail à haute intensité nécessite un contrôle très strict de chaque session d’entraînement
L’importance d’être une fratrie et le soutien familial
Les trois frères sont des compétiteurs et des partenaires d’entraînement qui apprennent les uns des autres et s’inspirent mutuellement. Ceci est en accord avec les conclusions de Taylor qui a regardé comment les frères et sœurs s’influençaient mutuellement dans le développement des talents. Même s’ils sont rivaux, les frères et sœurs coopèrent par le biais d’une communication physique et verbale, qui conduit au développement de compétences. Les trois soulignent également l’importance d’un soutien familial fort ce qui en accord avec le modèle mathématique du développement du talent de Simonton et le modèle à 4 facteurs de Johnson et col. Enfin, la façon dont leurs parents décrivent chez leurs fils leur grande confiance et leur capacité à se fixer des objectifs ambitieux mais réalistes et d’être motivés par la réussite et leurs objectifs est en phase avec les conclusions d’une étude menée par Mallet et Harrahan portant sur 5 athlètes femmes et cinq athlètes hommes australiens de très haut niveau.