Nom : courses féminines. Principales caractéristiques : interdites aux hommes, courues (voire marchées) sur des formats plutôt courts et souvent avec une vocation humanitaire.
Derrière cette fiche d’identité plutôt sommaire, se cache un phénomène qui fait le bonheur des organisateurs de courses à pied (et à plus petite échelle de la fédération Française d’Athlétisme) et qui n’est pas sans intérêt sociologique. Les femmes, après s’être « battues » pour se faire une place dans les pelotons masculins notamment sur marathon (rappelons par exemple que le marathon de Boston, qui fêtera sa 117ème édition en 2013, n’accepte les femmes que depuis 1972) aiment donc aujourd’hui se retrouver entre elles. Paradoxal ?« Oui, mais, normal, répond le sociologue du sport Patrick Mignon. C’est le paradoxe de l’égalité, avec l’envie de se retrouver autour d’une identité collective ».
Parmi les atouts pointés du doigt par les adeptes de ce genre de rendez-vous : l’assurance de ne pas essuyer de remarques ou regards sexistes. « Dans un peloton mixte, où les hommes sont majoritaires, les femmes peuvent se sentir regardées et jugées pour des critères qui ne sont pas en rapport direct avec l’activité qu’elles font, par exemple leur physique. Cet aspect-là peut les déranger », explique Patrick Mignon. D’autant qu’elles ne viennent pas nécessairement dans un objectif de performance. « Les femmes qui ont déjà un esprit de compétition développé vont prendre la situation comme faisant partie de l’enjeu. Mais pour les autres, ce sera gênant ».
Un exemple illustre d’ailleurs l’approche particulière des femmes dans ce genre d’épreuves : la Bordelaise, qui proposait le 23 septembre dernier de courir, ou marcher (sur 4 ou 8 km) avec ou sans puce de chronométrage. « Dans notre communication, on disait que l’événement était réservé aux amatrices,explique Roxane Maury, directrice du Run Femina Tour. Mais ce n’était finalement pas vraiment le cas jusque-là, parce qu’il y avait obligatoirement une puce. Qui dit puce dit un nom et un prénom affichés dans un classement. Pour certaines femmes, c’était gênant. On a donc décidé de proposer le choix : avec puce ou sans puce, même si c’est complexe à organiser ».Au final : environ 4 participantes sur 10 ont préféré le système sans puce…
Entraide et solidarité
L’approche sociologique du phénomène amène aussi à regarder du côté des Etats-Unis, d’où que nous vient la notion de « care ». Elle caractérise en effet de nombreuses courses à pied féminines qui reversent souvent une partie (au moins) du prix du dossard à une association (précisons à ce titre que ce type d’action n’est pas réservé aux courses exclusivement féminines. Odyssea, par exemple, organisé au profit de la lutte contre le cancer du sein, ouvre ainsi ses pelotons aux hommes et aux enfants).
Le « care », c’est donc cette faculté de s’intéresser aux autres. « Les femmes ont généralement cette qualité, souligne Patrick Mignon. Elles ont développé cette notion de care qui les rend mobilisables pour des causes. Et un certains nombre de causes fonctionnent justement parce que les femmes les portent ».
Ce mot « care » si cher aux féministes américaines vient d’un pays « où la bataille est très forte chez les féministes entre les notions d’égalité et de différenciation », note Patrick Mignon. Un débat qui n’est pas sans rappeler celui qui entoure ces courses féminines…
Sport santé
Evénement le plus emblématique du phénomène en France, La Parisiennea enregistré cette année plus de 23 000 finisheuses (contre un peu moins de 11 000 en 2008, voir graphique ci-contre). Des femmes qui chaque année viennent donc de plus en plus en plus nombreuses s’approprier les abords du Champ de Mars et courir sur un parcours de 6 km. Un succès qui est bien évidemment celui de la course à pied dans son ensemble. « Un sport facile d’accès et que l’on peut reprendre à tout moment de la vie », comme le rappelle Michel Huertas, président de la commission nationale des courses hors stade à la Fédération Française d’Athlétisme.
Chaque année, de nombreuses « Parisiennes » découvrent, ou redécouvrent donc l’activité sportive. Et au fil des éditions, les organisateurs tentent de convertir cette démarche ponctuelle en nouvelle philosophie de vie, avec la volonté d’accompagner les femmes (notamment par des entraînements) tout au long de l’année dans une optique « sport/santé » ou « sport/bien-être ».
Des thématiques particulièrement en phase avec la problématique actuelle de santé publique. Ce qui fait dire à Patrick Mignon que le phénomène devrait continuer de s’amplifier. « Je ne vois pas vraiment de raison pour que cela s’arrête,lance-t-il. La thématique de sport santé prend de l’ampleur, et de plus en plus de femmes vont se mettre au sport. La course à pied devrait en profiter, car elle présente l’avantage de ne pas être en concurrence avec les autres sports. Lorsque vous jouez dans un club de foot par exemple, vous pouvez très bien participer à une course le dimanche. Alors que c’est plus compliqué de faire à la fois du foot et du basket…».
De là à imaginer, en France, des courses exclusivement féminines sur de plus longues distances, Patrick Mignon est plus sceptique : « La population féminine qui pratique la course à pied est inférieure à la population masculine. Les femmes ont généralement une vision plus douce de leur pratique, mais davantage sur la durée. Plus on augmente la distance, moins une épreuve féminine aura de chance de réunir une population suffisante pour exister ». D’autant que les chiffres actuels sont formels (voir graphique ci-contre) : la France a encore beaucoup de retard en matière de féminisation de ses pelotons sur marathon.
Les courses féminines sont là pour ça, répondront certains. Pour mettre le pied à l’étrier à des athlètes qui s’ignorent. « S’il n’y avait pas eu La Parisienne, je ne suis pas sûre que je me serais lancée à courir au sein d’un peloton mixte, reconnaît Nathalie, aujourd’hui marathonienne. Ce que j’aime dans les pelotons féminins, c’est la convivialité qui a un côté vraiment déstressant et met en confiance. Il n’y a que dans ces pelotons-là que l’on peut demander un Kleenex à sa voisine sans être mal à l’aise, demander où sont les toilettes, etc… Le dialogue est plus facile. Cette approche est vraiment utile, surtout quand on débute. Les pelotons mixtes ont eux l’avantage de mettre plus de pression et donc d’être plus stimulants ! Mais l’ambiance n’est pas la même… D’ailleurs là, entre nanas, il y a parfois une vraie rivalité ! »
Celles qui souhaitent débuter sur des pelotons uniquement féminins n’auront en tout cas que l’embarras du choix en 2013 : environ 100 courses féminines sont inscrites au calendrier, que ce soit sur route ou en nature.
1 réaction à cet article
REGNIER
il est vrai que pour commencer, c’est plus rassurant une course où il n’y a que des femmes. Je cours depuis 1993 et à cette époque nous n’étions pas encore nombreuses sur les courses surtout + de 10 kms et j’ai vu une femme se faire piétiner à un départ par des gars qui ralaient en + disant qu’elle n’avait qu’à se ranger !!! et à mes copines on a dit » vous feriez mieux de rester faire la soupe ou la vaisselle !!! » Je pense que ces remarques sexistes sont en régression et je trouve pour ma part que c’est mieux de courir ensemble . J’ai 70 ans bientôt et je me bats pour rester compétitive qd il y a encore bcp de messieurs de mon âge . Je prèfère les courses mixtes !