C’est une histoire qui remonte à quelques mois. Une rencontre entre un coureur de Firminy (Loire) et un autre du Pays de Colmar Athlétisme (Haut-Rhin). L’un est déjà bien établi dans le monde de la course à pied (avec plusieurs titres de champion de France de course de Montagne); l’autre dispose d’un palmarès vide ou presque en course à pied mais affiche quelques lignes « intéressantes » en canicross avec ni plus ni moins qu’un titre de champion du Monde.
En 2012, lors de la convention Adidas qui se déroule en Alsace, l’Alsacien est invité à participer aux entraînements. Olivier Gui, manager du team, le repère et lui propose d’intégrer l’équipe. Mais 2012 est une année sans, avec une fracture de fatigue et beaucoup de questions. La rencontre n’a toujours pas eu lieu.
2013, sera donc la bonne année. Nous sommes en mars à Millau, Sébastien Spehler est au rassemblement tout comme Julien Rancon. Le début pour les deux hommes d’une association (Julien Rancon est devenu l’entraîneur de Sébastien Spehler) et d’un année riche en émotions.
Interview croisée des deux premiers champions de France de trail 2013.
Lepape-info : Sébastien, dans quel état d’esprit vous êtes-vous présenté au rassemblement de Millau ?
Sébastien Spehler : 2013 devait être une année test. Je voulais savoir si tout cela en valait la peine. Je revenais de blessure, je n’avais plus d’entraîneur et je me posais beaucoup de questions.
Lepape-info : Vous venez du Canicross avec de nombreux titres jusqu’à ce titre de champion du monde en novembre 2011, mais avez-vous fait de l’athlétisme ou de la course hors stade ?
Sébastien Spehler : J’ai tout fait. J’ai commencé par de l’athlétisme à 6 ans au club de Neuf Brisac avec du marteau, du javelot, du saut, je dois encore avoir quelques records d’ailleurs au club… Ensuite, j’ai fait toutes les distances sur piste. Je voulais toujours faire la distance la plus longue autorisée dans ma catégorie, je suis ainsi passé sur 10km dès cadet. Après ce fut l’armée pendant trois ans où j’étais maître-chien dans le 2e régiment du Genie et tout naturellement j’ai commencé à faire des compétitions. Je ne suis pas revenu à la course sur route car là où je vis il n’y a pas de piste et je ne peux pas m’entraîner spécifiquement. J’avoue aussi que j’aime courir en nature.
Lepape-info : Julien, vous ne connaissiez pas Sébastien avant la convention Adidas, qu’est-ce qui vous a poussé à le prendre sous votre « aile » ?
Julien Rancon : On a vraiment fait connaissance durant le stage, j’ai alors appris qu’il était sans entraîneur depuis un an. On a discuté et on s’est dit qu’on allait tenter l’expérience. J’entraîne déjà depuis quelques années puisque j’ai un groupe de 25 coureurs de tout niveau. C’est une activité qui me plaît.
Lepape-info : Quelle question aimeriez-vous poser à votre »élève » ?
Julien Rancon : Qu’est-ce qui t’a le plus surpris dans ma manière de fonctionner ?
Sébastien Spehler : La notion de plaisir. J’ai toujours aimé courir mais ces dernières années, je m’entraînais beaucoup. J’avais des résultats, bien sûr, mais au final j’ai eu cette blessure de fatigue au genou. Avec toi, je m’entraîne moins, j’ai plus de plaisir à l’entraînement et les résultats sont là.
« Julien a supprimé plus de la moitié des courses que j’avais prévues en 2013 ! »
Lepape-info : Julien, quelle est votre méthode pour suivre Sébastien alors que vous vous voyez très peu ?
Julien Rancon : C’est assez simple. Tout commence avec un questionnaire sur le quotidien du coureur. Sa famille, ses disponibilités, ses possibilités, ses terrains d’entraînement. Sébastien travaille dans un parc animalier de 9h à 16h30, je dois toujours en tenir compte, c’est important. Ensuite nous avons un fichier « google doc » que Sébastien doit remplir afin que je connaisse ses sensations et comment il vit les séances. Je ne fonctionne pas du tout au cardiofréquencemètre car je me suis aperçu que de nombreux athlètes en devenaient dépendants surtout en course, au point, parfois, de se limiter. Je préfère donc les sensations avec des fourchettes d’allure de course. Cela permet au coureur d’être autonome et d’apprendre à se gérer. Je crois que Sébastien aime bien ce système même s’il faut reconnaître que je n’ai pas beaucoup de remarques en dehors de « tout va bien ».
Sébastien Spehler : Mais c’est parce que tout va bien ! Et si je n’appelle pas souvent c’est parce que tout se passe bien. J’apprécie beaucoup cette méthode qui permet d’être zen à l’entraînement ce qui n’empêche pas de se donner au maximum ! Mais ce qui m’a vraiment surpris c’est lorsqu’il m’a demandé mon planning de courses et qu’il en a supprimé plus de la moitié !
Julien Rancon : Hé oui ! Beaucoup de coureurs ont tendance à vouloir trop en faire. Oui, les compétitions sont parfois un moyen de se tester en vue d’un objectif plus important mais il faut aussi savoir se préparer à l’entraînement, se mettre à l’abri et bien cibler. Le planning de la saison doit être cohérent. Il faut prendre le temps de bien faire les choses. Il est ainsi important de faire des cycles d’entraînement avec de la qualité, du volume, du développement musculaire… Si on multiplie les compétitions, on n’a pas le temps de travailler.
Lepape-info : Qu’est ce qui vous a le plus surpris l’un et l’autre ?
Julien Rancon : Son adhésion à tout ! Sébastien est un très bon élève. Tu lui dis, il fait et il sait te faire des retours mais c’est vrai que la plupart du temps, il me dit que tout va bien. Ensuite, j’espère qu’il va continuer à faire de superbes performances en courses. Et il a encore une grosse marge de progression notamment dans la gestion de course. Ce que je dois aussi travailler d’ailleurs car au niveau diététique il semblerait que j’aie des soucis au-delà d’un certain nombre d’heures d’effort, tout comme Sébastien qui, lui, fait comme un « burn out » alors que moi ça se traduit par des problèmes gastriques.
Lepape-info : Il est temps de tirer un bilan de 2013, comment jugez-vous votre saison ?
Julien Rancon : J’avoue que je suis plutôt satisfait même si j’ai un peu de regrets sur les championnats du monde (de trail). Ce fut ma moins bonne course et j’ai un peu de mal à me satisfaire de cette troisième place. Sinon, hé bien il y a une petite déception sur les Templiers (abandon sur problèmes gastriques), une course qui ne me réussit guère. Mais c’est une expérience et je vais essayer d’en tirer les enseignements. Ce fut une belle année mais il est temps de se reposer et de planifier la saison 2014. Il y aura les championnats d’Europe de course de montagne à Gap et j’espère bien monter sur le podium. Je serai aussi aux France de Trail sur le format court, ensuite c’est encore en réflexion, j’ai le temps d’y penser.
Sébastien Spehler : Une belle année test avec un titre de champion de France, la victoire ex-aequo avec Stéphane Ricard sur la 6000D et des erreurs comme sur la côte d’Opale ou les Templiers (abandon), mais ce sont des expériences pour la suite… Je ne serai par sur la SaintéLyon car j’ai mis un terme à ma saison pour me ressourcer. Là, j’ai sorti les skis de fond, on va s’entraîner puis en temps et en heure on parlera de 2014 avec Julien.
Julien a fait une saison incroyable
Lepape-info : L’un est champion de France de trail court, l’autre de trail long, c’est plutôt sympa non comme duo ?
Julien Rancon : Oui, ce fut une grande joie, les photos le démontrent d’ailleurs. Ce fut une journée étonnante où nous avons chacun su saisir notre chance. Mais je voudrais profiter de cette question pour dire qu’il faut arrêter de comparer les distances, de dire que la performance est plus importante sur telle ou telle distance. Il y a une culture du long en trail qui m’étonne. Il ne viendrait à personne l’idée de comparer les performances sur 400 m et 1500 m, ou sur 10 000 m et marathon. Qui est le meilleur ? Ce n’est pas possible de comparer et surtout on ne doit pas le faire. L’essentiel est d’être le plus performant possible sur la distance et je suis, je l’avoue, contre cette tendance du toujours plus long, toujours plus dur. De plus, je constate que dans le peloton, et je le vois avec les coureurs que j’entraîne, les adeptes de l’ultra ne font plus que du long alors que pour bien préparer ce type de course, il faut passer par des épreuves plus courtes et savoir travailler la qualité à l’entraînement. Il faut cibler ses objectifs afin d’être au mieux sur le ou les rendez-vous fixé(s). Sinon, c’est une course sans fin qui mène à la saturation, à la baisse de niveau voire à la blessure.
Sébastien Spehler : J’ai le même sentiment que Julien, surtout avec mon expérience de l’an dernier avec la blessure au final. J’en faisais beaucoup trop, que ce soit à l’entraînement ou en nombre de compétitions. Julien est en train de m’apprendre à déterminer mes objectifs, j’ai appliqué la méthode cette année et on voit le résultat. Pour en revenir aux championnats de France, oui ce fut très fort, je n’étais pas venu pour le titre mais pour faire au mieux. Mais j’ai pu ce jour là m’exprimer à ma pleine mesure ! Et puis Julien était sur la ligne. Etre accueilli par son entraîneur champion de France; c’est plutôt pas mal !
Lepape-info : Pour terminer, quelles sont les qualités et défauts de « l’autre » ?
Julien Rancon : Sa spontanéité, sa vitesse de base, son gabarit et sa confiance en lui en course sans être de la prétention. Mais il est encore trop timide et n’ose pas dire ce qui ne va pas. Il peut aussi être impulsif, ce qui peut être un avantage comme un inconvénient. Il a un énorme potentiel et j’espère l’aider à progresser.
Sébastien Spehler : Sa polyvalence. Il a fait une saison incroyable démontrant ses différentes qualités. J’aime aussi sa façon de voir la course à pied, son humilité. Il a énormément de recul sur les choses et c’est très agréable. Ses défauts ? J’en vois pas, je ne le connais pas encore assez pour ça.
En 2014, le duo sera de nouveau d’attaque. Après une saison « d’apprentissage » et une meilleure connaissance de l’un et de l’autre, ces deux hommes pourraient encore nous surprendre. Reste une question : comment se comporteront-ils lors d’une même course avec un podium à la clé ? La réponse aurait pu être apportée lors des Templiers mais tous deux ont été contraints à l’abandon. « De toute façon, nous sommes des compétiteurs. Bien sûr, nous échangerons quelques mots mais ensuite… seules les circonstances de course et l’instant pourront nous donner la réponse« , concluent-ils d’un seul homme…..
Leur palmarès
- Julien Rancon
Né le 18 novembre 1980
Club : EA Grenoble 38
3 titres de champion de France de Course de montagne (2013, 2012, 2007)
1 titre de champion de France de trail court (2013)
Son année 2013
Deux titres de champions de France (montagne, le 2 juin 2013 et trail court, le 6 octobre 2013)
Médaille de bronze au championnat du monde, le 6 juillet 2013
12e au championnat du monde de course de montagne (Krynica Zdroj – Pologne), le 8 septembre 2013
Victoire sur le Lyon Urban Trail, le 14 avril 2013
Victoire sur la Dynafit Moontain Race de Courchevel du 23 juillet 2013 (avec son chrono de 48mn22s, il remporte le Dynafit Moontain Races Courchevel 2013)
3e à Giir du Mont (32km et 2400 m de D+/D-), le 28 juillet 2013
Records
Semi-marathon à Paris : 1h05mn53s (Paris, 2013)
10 km : 30mn50s (2004)
3 000m steeple : 9mn01s (2004)
- Sébastien Spehler
Né le 14 avril 1988
Club : CSL Neuf Brisac
1 titre de champion du monde de Canicross (2011)
3 titres de champion d’Europe de Canicross (2009, 2010, 2011)
4 titre de champion de France de Canicross (2009, 2010, 2011, 2012)
1 titre de champion de France de trail court (2013)
Son année 2013
Champion de France de Trail long, le 6 octobre 2013
Victoire au trail du Sancerre, le 8 juin 2013
Victoire au Lavaredo Ultra Trail, le 29 juin 2013
Victoire sur les crêtes vosgiennes, le 25 août 2013
Co-vainqueur de la La 6000 D (avec Stéphane Ricard), le 27 juillet 2013
Record
10 km : 31mn30s