En 2015, il reprend la course à pied, mû par le simple et suave plaisir de courir, avant de se glisser vers l’effort triptyque. Il se (re)prend au jeu, et se qualifie pour les Mondiaux d’Ironman à Hawaï, temple du triathlon. Octobre 2018 : il boucle le parcours en moins de 9 heures et se classe 103e.
Lastennet est un touche à tout qui n’aime pas le déjà-vu. Il aime, il adore courir. Il décide, fin 2018, de repasser sur le tartan (3 000 m) avant de se lancer sur semi-marathon.
Cet automne, il a battu et son record personnel et sur 10 km (29’39’’) et sur semi-marathon (1h04’24’) – minima pour les Mondiaux en poche, même si la sélection va certainement être ficelée par les marathoniens en lice aux Jeux de Tokyo. Il avait les Next% aux pieds, lors de ces compétitions. Avec recul, il pose les termes d’un débat qui agite la sphère de la course à pied, avant de s’envoler pour un stage de trois semaines en immersion en Ethiopie, aux côtés de Yoann Kowal et Baptiste Mischler.
Un retour aux fondements de la course à pied, loin des débats technologiques…
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer sur semi-marathon ?
Je suis retourné sur la piste, après l’Ironman, pour refaire de la qualité. J’avais envie d’essayer le steeple. Je me suis entrainé pour le 3 000 mètres puis j’ai attaqué le travail de barrière. J’ai senti que ça n’allait pas, dès les premières séances. Avec les kilomètres accumulés en vélo, j’avais beaucoup perdu en souplesse. Il m’aurait peut-être fallu deux ans pour me réadapter. D’autre part, j’ai eu assez rapidement de nouveau mal aux tendons,à cause des pointes.
J’étais mon propre entraîneur et je me testais tout le temps. J’étais sorti du cercle de blessure. J’ai préféré faire être intelligent pour être en mesure de continuer à courir. Les sorties longues, le seuil, me manquaient. Le marathon, c’était trop tôt. J’avais eu une mauvaise expérience sur le semi en 2017 à Paris. Les conditions étaient apocalyptiques : 30e en 1h12’. Je me suis alors tourné vers Olivier Gaillard, que je connaissais par relation interposée, pour préparer de nouveau un semi. J’avais besoin d’un œil extérieur pour gérer mon entraînement. De faire confiance à quelqu’un d’autre.
Comment s’organisait votre semaine d’entraînement lorsque vous avez repris sur la piste ?
Je faisais maximum 190 km à pied par mois, en gros. Ce n’est rien du tout (de 35 à 50 kilomètres max à pied, par semaine). L’idée est de couper le volume pour retrouver du punch. Je n’ai fait que de la qualité : une VMA, une séance spé et un fartlek court par semaine, associés à 150 à 200 km de vélo (trois fois du home trainer et une sortie) pour les footings de récup et les seuils. J’allais aussi nager deux fois par semaine.
J’ai très vite retrouvé un niveau de vitesse et une qualité à pied intéressants. J’ai fait cinq, six séances en pointes au tout début de l’hiver. En janvier, j’ai emmené Paul Renaudie sur un 1 500 m. 2’26’’ aux 1 000 mètres, quatre mois après les Mondiaux d’Ironman. Je l’ai fait deux fois, en fait, car je m’étais testé plus tôt dans la semaine afin d’être certain de pouvoir le tirer.
Cela s’est plus ou moins bien transféré sur un 10 km en mars (30’28’’) : j’ai eu l’impression de faire une saison hivernale d’octobre à mars, entre les séances indoor et le cross court. Je me suis un peu « cramé ». Dix jours avant le premier tour des Interclubs, j’ai fait un 2 000 m à fond –tiré par Paul en vélo- pour voir où j’en étais : 5’19’’ (bases 8’00’’). Dix jours après, je fais 8’39’’, à bloc. Pendant la course, je me souviens m’être dit : « j’ai juste envie de faire un marathon, tourner autour d’une piste me prend la tête ». J’ai coupé après le second tour des Interclubs (8’30’’).
« Je suis presque militaire dans mon entraînement »
Comment la transition s’est-elle opérée avec Olivier Gaillard ?
On ne s’est jamais vus depuis qu’il m’entraîne. On s’appelle très souvent et on s’envoie des textos. Je n’ai jamais discuté quelque chose, à l’entraînement, durant ma carrière. Je me suis lassé et j’ai été moins bon lorsque j’ai eu mon mot à dire son mon entraînement. A Montreuil, avec Monsieur (Jacques) Darras, je ne me serais jamais permis de discuter un entraînement. J’hallucinais sur certains points. Mais je le faisais. Je suis presque militaire dans mon entraînement.
Vous ne vous dîtes pas que vous faîtes une erreur que vous allez payer si vous pensez qu’un aspect de l’entraînement ne vous convient pas ?
C’est pour ça qu’il faut bien choisir son entraîneur, aussi. Je ne suis plus vraiment dans l’optique du sport de haut niveau. Si je ne comprends pas un aspect du plan, le meilleur moyen de le comprendre n’est pas qu’Olivier me l’explique mais que je le fasse. Pour la prépa semi, il m’est arrivé de ne pas comprendre une ou deux séances. Je les ai comprises deux-trois jours après, avec l’enchaînement.
Je n’étais jamais été frais pour les séances spécifiques semi ou 10 km. Lors du semi-marathon (fin octobre à Valence), je n’étais pas très frais à partir du 10e. « Ça va être long » me suis-je dit. J’ai retrouvé les jambes fatiguées que j’avais à l’entraînement. J’avais passé des séances sur ce genre de sensations. Cela m’a donné confiance et j’ai pu accélérer.
Vous vous êtes découvert, sur ces nouvelles allures ?
Je ne connaissais pas du tout les séances qu’Olivier me donnait. Je n’avais jamais travaillé de cette façon-là. Olivier a été surpris de mon envie de m’investir à 100% dans un nouveau projet, après toutes ces années d’athlé. Je n’étais pas hyper ambitieux, je voulais faire 1h06’30’’. Je répondais bien aux séances. Les allures sont descendues petit à petit. On a décidé quelques jours avant la course du tempo sur lequel j’allais partir. Car on ne savait pas comment j’allais terminer le cycle et si j’allais répondre jusqu’au bout.
« Le 800 mètres, c’est l’instinct. Le semi, les états émotionnels diffèrent pendant la course »
Quelles sont les sensations par rapport au 800 mètres ?
J’ai essayé d’éteindre toutes les voyants de satisfaction durant la préparation. On était toujours un peu agréablement surpris mais je ne suis jamais sorti pour fêter une séance. Je pensais avec envie à la séance suivante. Sur 800 mètres, tu avances vers une grosse séance, tu la valides et tu relâches un peu la pression. C’est, aussi, pourquoi j’y ai été limité. Je ne voyais pas vraiment la continuité de l’entraînement. C’est un peu le problème quand tu es jeune. Tu passes une grosse séance, tu regardes ce que ça vaut, tu perds deux trois jours où tu ne fais pas bien ta récup’. Je suis plus mature sur ce point, aujourd’hui.
Pour répondre à la question, sur 800 mètres, tu ne peux pas rater deux foulées. Tu es bien placé, ou tu ne l’es pas. Aussi, je ne me souviens d’aucun 800 m. Avant la course ; après la course, oui. Mais pas pendant. Tu ne réfléchis pas. C’est à l’instinct.
Sur un semi, tu passes par plein d’états émotionnels différents, qui te marquent plus. Je me suis parlé à moi-même. C’est aussi un effort de préparation mentale, de positiver pendant la course. De se dire : « c’est dur mais c’est normal ».
Comment s’est déroulée votre préparation ?
J’ai fait 570 kilomètres le plus gros mois. J’ai roulé une fois par semaine. Par semaine, j’ai fait entre 100 et 160 km, pour la plus grosse. Je n’ai pas eu l’impression que la semaine s’étalait du lundi au dimanche. Tu n’es pas frais par magie le lundi matin.. Les jours s’enchaînent, l’un après l’autre : tu lis le plan et tu le fais. Sur semi, comme sur marathon, tu ne fais que travailler. Le bloc d’entraînement et l’enchaînement global sont importants. Il n’y a pas un temps fort, puis un temps de récup, comme sur 800 m. Enfin, c’est ma vision du 800 m, c’est peut-être pour cela que je n’ai pas fait mieux, même si je pense que j’ai vraiment optimisé mes qualités physiques.
A la suite de la saison de piste, j’ai eu quelques soucis au tendon à la reprise. J’ai fait une grosse prépa physique et on a augmenté les kilomètres, progressivement. J’avais une grosse séance de muscu et une séance de côtes par semaine. J’ai également fait beaucoup de gainage. Je mise plus sur la prépa physique que sur les soins : si tu règles la cause, tu règles les conséquences. Depuis, je n’ai plus aucun problèmes aux tendons.
J’ai eu des douleurs musculaires les premières semaines. La route, ça déchire et ça fait mal ! A force, je me suis senti plus fort sur les jambes. J’ai mieux encaissé les chocs. Ensuite, j’ai fait trois ou quatre footings le matin a jeun. J’ai accepté de nouveau de faire des kilomètres tranquille, ce que je ne faisais plus. J’ai fait du seuil, du travail progressif, une VMA par semaine, une sortie longue par semaine, jusqu’à 1h40 à allure libre, suivi d’une séance spé 10 km ou semi le lendemain. La sortie longue de la veille t’oblige à gérer la récupération. J’avais l’impression d’avoir déjà 30 minutes dans les jambes sur les premiers kilomètres. L’entrainement a été très varié.
« J’ai l’impression que mes chronos sont en cohérence avec ce que je fais à l’entrainement (sans Next%) »
Venons-en au sujet qui fâche : quel a été l’impact, selon vous, des Next% dans votre chrono ?
Je ne les ai jamais mises à l’entraînement. J’ai tout fait en Pegasus ou en Fly SP (sans plaque de carbone ni nouvelles semelles, donc). Je fais 30’21’’ à Parempuyre (10km le 15 septembre) qui correspond à la seconde près à ce que je fais à l’entraînement. Aux France (Canet le 6 octobre), on était parti avec Olivier sur 29’50’’, avec absence de vent. Je fais 29’54, en étant isolé, sans groupe.
Après ma préparation –j’avais mis une seule fois les 4%-, Olivier me dit qu’il ne voit pas pourquoi ça ne passerait pas en partant sur 1h04’50’’. Je fais 1h04’24’’ (Valence, 27 octobre). Peut-être que ces 25 secondes-là sont imputables aux chaussures.
A Valence (10 km, 1er décembre), je pars en 2’50’’ car mes séances me laissent penser que je peux faire entre 29’00’’ et 29’20’’ (il fera 29’39’’).
Après, c’est certain qu’il y a quelque chose avec ces chaussures. Tu cours différemment. Mais j’ai l’impression que mes chronos sont en cohérence avec ce que je fais à l’entrainement. Est-ce sans elles je n’aurais pas craqué au 19e km à Valence ? Je ne sais pas.
C’est une hypothèse. Vous faîtes beaucoup de musculation. Peut-être que vous ne bénéficiez pas de tous les effets de la chaussure, par rapport à des coureurs dont la force musculaire est moindre ?
Peut-être. Je fais exactement les mêmes chronos en 4% ou en Next%. Je ne dis pas que je ferais pareil avec des Pegasus. Si tout ça est interdit, je ne sais pas quelle sera la meilleure chaussure pour courir. Ce débat est très compliqué. Oui, tous ces chronos qui explosent m’interpellent.
Ce qui m’interroge, aussi –et ce sont des bonnes questions, pas des doutes-, c’est Jawal Abdelmoula qui court plus vite à Houilles (28’39’’ le 28 décembre) qu’à Morlaix (28’46’’, 3 novembre) avec les Next%, Morlaix où le parcours est favorable car trop descendant.
Nous sommes peut-être dans une nouvelle ère. J’attribue mes performances à mon entraînement, qui n’a rien à voir avec ce que je faisais avant. Si les chaussures sont interdites, je les mets à la poubelle. Pas de soucis. Des mecs n’ont pas changé de matériel font aussi des chronos de fou…et des mecs d’une semaine à l’autre gagnent une minute en changeant de chaussure…
« C’est peut-être ce qui a limité ma carrière : je n’étais pas forcément sur la même longueur d’onde dans ma tête et dans mon corps »
Hugo Hay dit à propos des chaussures : « Elles font courir plus vite des coureurs qui n’avaient, à la base, pas des qualités de pied. Tu es toujours placé, même quand tu es fatigué. Voilà pourquoi ceux qui partent plus vite que leur valeur sur un 10km n’explosent pas. La chaussure continue de les faire avancer ». La différence, aussi, est que plus grande monde passe au travers d’une course, le jour J. Comme si l’incertitude de la compétition n’avait plus cours.
Le mur du 30e est amorti par la chaussure, sur marathon. La question sur la manière dont il faut le contourner, à l’entraînement, s’efface. Si les Next% font quelque chose aux autres, il n’y a pas de raison qu’elles ne me fassent rien. Il y a forcément un gros bénéfice. Cela dépend du coureur qui les met. Mais les écarts entre les coureurs restent cohérents.
Allons plus loin. J’ai mon éthique personnelle et je me pose la question tous les jours. Si je ne mets pas la Next%, je mets quelle chaussure ? Si je porte les 4%, la démarche est similaire car la chaussure est la même.
Je portais des Nike Pegasus (classiques, donc). J’étais bien avec mais j’avais mal aux jambes au bout de 20 kilomètres. Avec les Nike Fly (sans plaque de carbone ni semelle nouvelles générations), j’ai mal au bout de 25 kilomètres. Du coup, pourquoi ne pas mettre les Next%, avec lesquelles je vais avoir mal aux jambes à partir du 30e ou 35e km ? Pieds nus, ce serait le seul moyen d’évaluer la vraie valeur de chacun, mais ce n’est pas possible.
Hoka a fait la meilleure semelle possible, selon leurs ingénieurs. Et il n’y a pas eu de polémique. Pourquoi une autre marque ne pourrait-elle pas faire la même chose ? La « Adidas Boost » permet le retour d’énergie, est-il indiqué sur la description de la chaussure. C’est la même chose, sauf que les ingénieurs de Nike ont trop bien fait leur travail. Que fait-on, du coup ?
Par contre, je suis frappé quand on parle de dopage technologique et mécanique. J’y ai été confronté, de plein fer (au « vrai dopage », ndlr). J’ai terminé 2e des Jeux Méditerranéens (en 2009, derrière Amine Laalou, suspendu pour dopage des années plus tard). Ce ne sont pas les Jeux Olympiques, mais quand tu arrives premier, tu as quand même les années olympiques et la Marseillaise. Cela compte dans une carrière. Parler de dopage technologique est une déclaration grave. Cela dit l’intention de tricher. La chaussure est en vente, et autorisée, à ce jour.
Vous semblez un peu las ?
Oui, cela me dégoute. Je veux faire les France de 10 000 m. Je me disais que j’allais prendre les 4%, mettre des pointes en dessous, pour faire de la piste sans me ruiner les tendons. Mais c’est interdit, en fait (les chaussures doivent être commercialisées). Sauf que certains le font quand même.
En pointes, je ne passerai pas 3 000m. En légères, je n’aurais pas de souci. Mais c’est un championnat et des mecs auront des Next%. Pourquoi je ne les mettrais pas ? D’autant que certains auront peut-être même des pointes en dessous.
Vous vous lancez aussi sur marathon ?
Oui, plus tôt que prévu, à Valence (6 décembre). J’ai besoin d’un nouveau défi. J’aime de plus en plus le long.
Vous aviez cette appétence quand vous faisiez du 800 mètres ?
Un cross ou un marathon m’a toujours fait plus rêvé qu’un 800 m. Le monde du long, c’est beaucoup de solitude, de fatigue. C’est aussi une question de maturité : il faut prendre les choses différemment. C’est difficile d’apprécier cela quand tu es jeune. Le 800 m correspondait à mes qualités : j’avais fait 2’32’’ en minimes sur 1 000 mètres.
C’est peut-être ce qui a limité ma carrière : je n’étais pas forcément sur la même longueur d’onde dans ma tête et dans mon corps. J’aimais regarder les mecs qui partaient de la chambre d’appel du 5 000 mètres. Avant de me blesser, je commençais à me tourner vers le 1 500 mètres.
J’ai pris beaucoup de plaisir sur la démarche de haut niveau, sur 800 m. Mais je prends vraiment plus de plaisir à courir sur du long. Je ne vais jamais à l’entraînement à reculons. Toujours avec envie.