Dans la Foulée Jean Luc Loiseau

Jean-Luc Loiseau : marcher pour que l’obésité ne soit plus une fatalité

Il n’a pas peur des mots, ne parle pas de « personne forte » mais de « gros », dit « puer » plutôt que « sentir mauvais » en évoquant la transpiration quotidienne d’une personne obèse. Il n’a pas davantage peur des chiffres, ne cache pas qu’il pèse 128 kilos, et a atteint 211 kilos « au sommet de (sa) forme ». « Pas 190, pas un peu plus de 200. Mais 211. Il faut affronter les choses en face, sinon on ne peut pas apporter de réponse structurée ».

Jean-Luc Loiseau, 48 ans, cadre commercial pour une grande entreprise américaine de logiciels, n’a « aucun tabou ». A 20 ans, il était du genre à « courir partout », à pratiquer le triathlon et la natation en amateur. Marié, il a continué à faire un peu de VTT et du vélo elliptique. Mais petit à petit « j’ai remplacé le sport par une dynamique professionnelle ». Un métier très prenant, à voyager à travers le monde. Problème : « le sport donne faim. Mais quand on arrête le sport, souvent, la faim reste. J’ai pris 4 à 5 kilos par an pendant dix ans. Au bout du compte, ça fait 50 kilos. Ca veut dire que quand tu pèses 130 kg, tu te retrouves à 180… ».

Et de poursuivre : « J’ai fait une sorte de crise de la quarantaine. Comme on dirait en alpinisme, j’ai dévissé ». Comprenez par là : « une vraie perte de contrôle ». Au point de prendre 10 kilos par mois. « Je me suis perdu. Je n’avais plus que la pulsion pour calmer l’angoisse ». Et impossible de stopper l’engrenage. « Oui, on se rend compte qu’on a dévissé, mais on est ailleurs… », souffle-t-il.

Comment ai-je pu en arriver là ? Cette question, il l’a ressassée. Tout comme celle que sa psychanalyste a soulevée : « Que faites vous de votre obésité ? ». Et s’il prend aujourd’hui la parole, c’est pour prouver que rien n’est irrémédiable. « Qu’on peut revenir d’expériences assez lointaines ». En deux ans, Jean-Luc Loiseau a perdu près de 100 kilos. Un tournant amorcé suite à une intervention chirurgicale « vitale », après avoir atteint un poids où la vie ne tient plus qu’à un fil. « Si je ne suis pas mort, c’est probablement en lien avec mon passé sportif, une énergie personnelle, et ma psychanalyste ».

Au détour d’une phrase, il lâche que le sport l’a « beaucoup aidé » quand il était jeune. Les années ont passé, mais l’activité physique a retrouvé une place, et un rôle psychologique. Le triathlon et la natation ont été remplacés par la marche. D’abord « quelques mètres » pendant sa convalescence, en terminant « épuisé ». Puis « quelques mètres de plus ». Preuve que le mécanisme est enclenché. « J’ai redécouvert mon corps, une énergie que j’avais perdue, et une liberté. L’obèse fait tout pour oublier son corps… tandis que ce corps fait tout pour se rappeler à lui. Les gens en obésité ont perdu leur rapport au corps ».

Dans la Foulée Jean Luc LoiseauAprès mûre réflexion, ce solide gaillard, divorcé et père d’un garçon de 18 ans, a compris ce que « faire quelque chose de son obésité » signifiait pour lui. « Cela veut dire travailler pour quelque chose qui va au-delà de soi-même ». En clair : faire partager son expérience. Sa méthode ? Un tour de France en marchant. 1 000 km, en 50 étapes, avec départ de Lille le 4 mai 2014 et arrivée à Strasbourg le 28 septembre. « Une marche générative, précise-t-il. A laquelle chacun peut venir participer. Marcher avec les gens, c’est apporter un supplément de bonne humeur, d’âme ». Bien que co-organisé par le Collectif  National des Associations d’Obèses, cet événement ne se veut pas corporatiste. « L’idée n’est pas de faire marcher uniquement des obèses ». Objectif : que les personnes obèses soient des « personnes comme tout le monde », dans une société où les discriminations d’ordre physique sont fréquentes et où les obèses ont tendance à s’isoler. « Quand entre soi et le monde il y a 15 cm de graisse, ça anesthésie. Le rôle social est changé », analyse Jean-Luc Loiseau.

Sous le haut patronage du ministère des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, ce projet – intitulé « Dans la foulée » – vise à promouvoir le sport-santé. « Je dis aux gens : « prenez cinq minutes par jour pour vous occuper de vous ». Ne serait-ce qu’en soulevant une bouteille d’eau avec chaque bras. Et ne me dites pas que vous n’avez pas le temps ». Il le sait : « Dès que l’on fait le premier pas, les choses sont différentes. L’idée, c’est d’initier un processus, de participer à une dynamique ». Citant Freud – « on souffre toujours d’un trop plein de réminiscence » – il poursuit : « Il faut dépasser le passé. L’objectif de cette marche, c’est de rendre un avenir à quelqu’un qui n’en avait plus ».

Dans l’avenir, il imagine poursuivre ses actions. Parce que son tour de France n’est « pas une opération de comm ». Ses 128 kilos, il les vit plutôt bien. « Même si j’ai encore trop de bide. Dans l’idée, j’aimerais pouvoir dire : je fais 1.75 m et 110 kilos ». Mais il sait aussi que la composition corporelle compte beaucoup. Et notamment la masse musculaire qu’il développe et la masse grasse qu’il fait fondre. Pris en charge dans sa préparation par l’INSEP et l’entraîneur Jean-Claude Vollmer (responsable du haut niveau), il s’astreint à une heure et demi d’activité physique par jour. Et a récemment avalé une semaine de préparation avec trois séances quotidiennes  (1h/1h30 de marche le matin à jeun, et deux séances de renforcement musculaire (tapis, tirage de corde, squats, travail des adbos, etc)). Son coach l’a prévenu : « A l’INSEP, la fatigue n’existe pas ». Il en faut probablement plus pour lui faire peur.