Audrey Tanguy victorieuse du 100 km de Chandler (Arizona)

Du trail à la route avec Audrey Tanguy. Autopsie d’un 100 km

Si certains sont irrités par la succession des événements sportifs basés sur la promotion commerciale d’un nouveau produit, il faut reconnaître à HOKA son professionnalisme dans l’organisation de celui-ci, tout était réuni pour la réussite d’un tel projet :

– parcours archi-plat et en boucles

– température idéale à cette période à Phoenix

– pacers

 

 

Un record qui tremble

Si Camille Herron, la recordwoman du monde du 100 km, n’a pas tenu le choc, son compatriote Américain Jim Wamsley a fait trembler le record du monde en échouant à 11 secondes de la marque du Japonais Nao Kazami (2018). En 6h09’26, il a démontré tout son talent de coureur polyvalent, du 10 au 100 km en passant par le trail.

 

Mais intéressons-nous à présent à la performance de la française Audrey Tanguy, jusque-là connue et reconnue pour ses qualités de traileuse, avec notamment 2 victoires à la TDS 2018 et 2019.

Curieux choix à priori de se lancer sur une épreuve totalement nouvelle, même si l’événement est mis en place par sa marque partenaire. En effet, Audrey ne dispose d’aucune référence sur la route, ni 10 km, ni semi, ni marathon !! Son lieu de vie, ses terrains d’entraînement et sa passion, c’est la montagne et la verticalité.

 

Du vertical à l’horizontal

Et pourtant, quoi de plus enrichissant pour un ou une athlète de sortir de sa zone de confort en s’alignant sur une épreuve diamétralement opposée à ses aspirations.

Bien entendu, cela nécessite une préparation spécifique car même si Audrey est une coureuse d’ultra-endurance, il serait très risqué de ne pas prendre en compte les spécificités d’un 100 km sur la route.

Quelles sont ces spécificités ? Tout d’abord la monotonie, car sur une durée de course estimée d’un premier jet entre 7h30 et 8h, il va falloir tenir une vitesse la plus régulière possible. Qui dit vitesse régulière dit foulée régulière avec le maintien le plus longtemps possible d’une même amplitude de foulée et donc des mêmes angles articulaires. Cette foulée se répète sur un même revêtement dur, l’asphalte, mettant progressivement à mal la capacité de l’athlète à stocker-restituer l’énergie élastique.

 

81 300 foulées

La stiffness, ou raideur neuromusculaire, est une qualité qui s’émousse au fil des kilomètres et des contacts répétés avec le sol. Et sur ce 100 km, Audrey est rentrée en contact avec le sol environ 81 300 fois, en raison d’une foulée moyenne de 1,23m.

Baisse de la stiffness et augmentation du temps de contact au sol, perte de force au niveau des muscles de la foulée (fessiers, quadriceps, ischios-jambiers, triceps sural…), ces événements concomitants challengent les capacités physiques et mentales de l’athlète. Si la fatigue périphérique est bien compréhensible, il ne faut pas négliger la fatigue centrale qui apparaît assez tôt sur le 100 km, parfois à partir du marathon.

La première question à se poser est le pacing. Peut-on courir un 100 km à une même vitesse ? (ce qui ne correspond pas tout à fait à une même intensité, car avec la fatigue, le maintien de la vitesse exige une élévation de l’intensité). La réponse est non en raison des quelques éléments évoqués précédemment, auxquels nous pourrions ajouter l’augmentation de la température interne et la déplétion des réserves énergétiques, voire la déshydratation dans certains cas.

Bien entendu, on trouvera toujours des contre-exemples d’athlètes ayant réussi à tenir un même rythme, mais cela ne va pas nécessairement dans le sens de la performance. Que ce soit pour Jim ou pour Audrey, la fin de course s’est courue à un rythme moins élevé. Et pour une grande majorité d’athlètes préparés, la deuxième partie de course est une lutte contre la perte de vitesse !

 

AUDREY TANGUY 3

 

Un pacing sur les bases du record de France

Contrairement à ce qui a été écrit ici et là, Audrey visait la meilleure performance française et non le record de France détenu depuis 2007 par Laurence Klein en 7h26’44, soit une allure moyenne de 13.4 km/h ou 4’28/km.

D’ailleurs, le pacing de la première moitié de course était basé sur ce record, et les séances spécifiques avaient été réalisées entre 4’25 et 4’30/km. Compte tenu du rythme proposé par les pacers, le choix a été fait de partir à ~4’21/km, soit 21’45 par tranches de 5 km.

Le tableau ci-dessous montre la progression d’Audrey par tranches de 5 kms. On remarque la grande régularité jusqu’au km 55, puis la légère dérive jusqu’au km 75, et enfin la dérive plus prononcée à partir de cet instant, soit après 5h30 de course.

 

TABLEAU

 

Sur les différentes données relevées pendant la course, on remarque après 5 h de course une baisse importante de la longueur de la foulée (- 15%) ainsi qu’une diminution de la fréquence cardiaque (- 11%) par rapport à des valeurs jusque-là très régulières. Ce sont 2 marqueurs importants de la fatigue en lien direct avec la perte de vitesse.

Notons que la fréquence de la foulée ne varie quasiment pas. La baisse des fréquences cardiaques est cohérente avec les données observées en trail après 6-7h de course en moyenne. Les phénomènes inflammatoires en lien avec la répétition des contractions excentriques sont à l’origine d’une hypervolémie qui a pour conséquence une augmentation du Volume d’Ejection Systolique et donc une baisse des fréquences cardiaques (pour un même débit cardiaque, puisque le débit est le produit du VES par le pouls). Ainsi, les fréquences cardiaques, passées les 5h30 de course dans le cas présent, reflètent mal l’intensité de l’effort.

 

De toute façon, dans une discipline où la vitesse est directement liée à la distance (contrairement au trail), il est préférable de prendre pour repère la vitesse et non la fréquence cardiaque. Par contre, à l’entraînement, l’établissement d’un lien entre vitesse et pourcentage de FC réserve est recommandé. Ici, la vitesse moyenne (13.03 km/h) correspond à 72.4 % de la VMA.

Jusqu’au km 70, le pourcentage de VMA maintenu est de 75%. Ce pourcentage ou fraction de VMA, que l’on peut comparer à un indice d’endurance, est exceptionnel pour une discipline où il est rare de dépasser les 70% d’intensité (le plus souvent entre 55 et 65%).

 

Le graphique ci-dessous illustre les données du premier tableau en représentant les vitesses par tranches de 5 km.

AUDREY TANGUY 4

 

 

Le deuxième tableau illustre l’évolution de la vitesse moyenne au cours du 100 km. On remarque qu’Audrey est sur les bases du record de France pendant 80 km, mais qu’elle perd 14 min sur ce record sur les 20 derniers kms.

AUDREY TANGUY 6

 

Toutefois, avec 7h40’36 et une moyenne de 4’36/km, elle réalise la meilleure performance française depuis 2007, année du record de Laurence Klein. La question est à présent de savoir si ce record est accessible, ce qui représente une amélioration de 3%.

Compte tenu de l’inexpérience de cette athlète (ce 100 km est sa première course sur route), on peut parier que oui, même s’il faudra trouver à nouveau de bonnes conditions de course, ce qui n’est jamais simple du fait qu’on ne peut répéter des 100 kms comme des 10 kms, et qu’Audrey poursuit avant tout des objectifs de trail.

Au-delà de la performance du jour J, la préparation au 100 km a permis à cette ultra traileuse dont l’objectif majeur en 2021 sera l’UTMB, de développer des points moins forts, et notamment la capacité à aller vite sur les parties roulantes. Dans la recherche de la performance, aucun paramètre ne doit être négligé !

 

Lien pour revoir la course :

https://www.hokaoneone.eu/fr/fr/project-carbon-x2.html?cpath=project-carbon-x2.html