Lepape-info : Dominique, comment passez-vous le temps en ce moment ?
Dominique Chauvelier : Au niveau course à pied mon business financier (conférences, meneurs d’allure…) est passé de 200% à 0 depuis le semi-marathon de Paris en mars 2020. Toute cette reconnaissance où « Chauchau » se la pétait tous les week-ends où j’étais sollicité c’est terminé. Je suis toujours ambassadeur Adidas, Overstims même si mon contrat se termine à la fin de l’année.
Après avec mon club Run & Freedom on a toujours continué à faire quelque chose comme si de rien n’était. Dès que c’était possible on a fait des courses connectées (10 km, 5 km, 3 km) on s’est challengé on était 80 à faire cela chacun de notre côté avec nos propres classements. On a toujours essayé de s’adapter par exemple actuellement on a avancé l’entraînement à 17h, il y’a toujours une dynamique de club ce qui fait que les gens qui ont payé une licence 170 euros l’année dernière ont droit à 3-4 entraînements par semaine de programmés avec un coach de PPG à disposition. On fait des petites compétitions entre nous pour pallier l’absence de courses depuis un an. On doit être l’un des rares clubs qui montre l’exemple, on a perdu aucun licencié et on a même de la demande pour la prochaine rentrée.
Dominique Chauvelier : « J’ai un compte Facebook officiel et je l’utilise comme Instagram avec les stories parce qu’Adidas m’envoie la dernière chaussure, je joue le jeu puisque je suis encore en contrat avec eux, j’essaye de m’adapter malgré mes 60 balais. »
Lepape-info : Toujours actif malgré la crise
D.C : Oui même pendant le 1er confinement j’allais m’entraîner autour de chez moi, je pensais qu’en septembre-octobre la situation allait s’améliorer et puis cela n’a pas repris. En décembre un problème affectif est venu se rajouter à la situation du coup en janvier j’ai fait une dépression mais cela va mieux. Ce que j’en retiens c’est que je suis trop passionné, j’ai ma 52ème licence, je vivais le running 7 jours sur 7 et tout d’un coup tout s’est arrêté du jour au lendemain. Moi qui aime bien maîtriser les choses je ne pouvais pas avoir la main sur la situation vu que cela ne dépendait pas de moi plus mon problème d’ordre privé cela a été la goutte de trop. Je suis reparti grâce au sport, à mon club, à ma famille (enfants et petits-enfants). Mon petit-fils qui a 14 ans court très très bien, il bat ses records, cela me motive, mon club rajeunit. On reste actif on organise en juillet « la Sarthe en courant » qu’on avait déjà fait l’an passé, on fait tout le tour du département pendant 3 jours par équipe de 6 en relais avec une étape nocturne, un contre-la-montre. Toujours dans la dynamique malgré le petit coup de blues.
Lepape-info : Comment avez-vous vu évoluer la course à pied ces 10 dernières années ?
D.C : En un mot : le digital. Les réseaux sociaux, le digital qui ont presque tout gâché. Aujourd’hui tu es champion du monde des réseaux sociaux, comptes Instagram, les bloggeurs ont droit à des tenues de sport alors que de bons coureurs n’ont plus le droit à rien. C’est sûr je compare avec mon époque mais bon les post Strava, les gars qui battent des records de parcours sur leurs lieux d’entraînement c’est un autre monde. Et puis récemment les chaussures avec les semelles à plaque carbone mais bon d’abord les réseaux sociaux qui ont tout changé. Alors bien sûr il y’a du bon, moi j’ai un compte Facebook officiel et je l’utilise comme Instagram avec les stories parce qu’Adidas m’envoie la dernière chaussure, je joue le jeu puisque je suis encore en contrat avec eux, j’essaye de m’adapter malgré mes 60 balais. Je représente un peu le monde des vétérans même si ce n’est pas la cible que les sponsors cherchent à atteindre à tout prix, j’ai la chance d’être encore bien présent dans le monde du running mais ce n’est pas moi. Se mettre en tenue et se prendre en photo c’est très narcissique, j’ai fait 12×200 j’avais les dernières chaussures Adidas je me dis c’est pas possible. Quand je vois certains post je me dis les gars entraînez-vous et on verra après, tu racontes ce que tu veux, tu peux tricher. Cela ne me plaît pas trop mais je vis quand même avec. Si je joue le jeu c’est uniquement professionnel parce que l’on me paye encore.
Dominique Chauvelier : « Courir est devenu un phénomène de société dans l’air du temps, il faut rester beau, svelte, c’est un sport facile à pratiquer, la moyenne d’âge est de 38-45 ans cela permet aussi de faire des rencontres, le côté running par équipes s’est beaucoup développé, on le voit avec les communautés de coureurs sur les réseaux sociaux. »
Lepape-info : Vous êtes nostalgique du monde d’avant ?
D.C : Nostalgique d’il y’a 10 ans et même avant. Le virage date de l’époque où j’ai eu 50 ans vers 2006. On était au top des partenaires, au début des années 2000 il y’avait encore beaucoup d’argent dans le sponsoring. Après la crise économique de 2008, cela s’est beaucoup calmé. Juste avant la pandémie il y’avait quasiment plus d’argent dans les courses. En revenant beaucoup plus en arrière il y’a eu l’arrivée des Kenyans quand je termine ma carrière de haut-niveau dans les années 90 avec mes potes Pierre Levisse, Jacky Boxberger, Alex Gonzales, Thierry Watrice on avait un gros gâteau qu’on se partageait à très peu maintenant le gâteau est tout petit et ils sont beaucoup à se le partager. On faisait la Une de certains journaux locaux ou nationaux, maintenant c’est fini, parfois je cherche la rubrique athlétisme dans le journal l’Equipe je ne la trouve pas. Pareil vous regardez un marathon, un meeting ils ont parfois tous le même maillot de l’équipementier, s’il n’y a pas leurs noms sur leurs dossards tu ne sais plus qui est qui. C’était bien avant, il y’avait de l’argent, de la convivialité, on faisait la fête tout en s’entraînant dur.
Lepape-info : Le running a tout de même bien progressé encore ces 10 dernières années
D.C : Avec la crise sanitaire et les confinements les gens se sont mis à courir, le développement du sport loisirs, le sport santé c’est devenu sociologique mais ce n’est pas à l’avantage des clubs. Au-delà de la situation actuelle, l’embellie du running qui ne date pas d’hier s’est faite au détriment de la performance c’est à dire l’athlète licencié qui fait cela pour progresser. Courir est devenu un phénomène de société dans l’air du temps, il faut rester beau, svelte, c’est un sport facile à pratiquer, la moyenne d’âge est de 38-45 ans cela permet aussi de faire des rencontres, le côté running par équipes s’est beaucoup développé, on le voit avec les communautés de coureurs sur les réseaux sociaux. Ils sont de plus en plus rares à courir en solo. Les meilleurs qui se sentent plafonner un peu s’orientent ensuite parfois vers des clubs moi je le vois avec de nouveaux arrivants au sein de mon club. Pour ce qui est des nouvelles chaussures à lame de carbone, cela concerne principalement que l’élite soit très peu de gens.
Lepape-info : Ces nouvelles chaussures sont l’avenir du running ?
D.C : Elles sont uniquement pour les coureurs performants c’est à dire qui ? Un gars qui fait 31′-32′ sur 10 km ? Il faut rester modeste, humble. Entre nous ces chaussures sont faites pour ceux qui ont du pied comme l’on dit. Le phénomène de bascule est important. Le joggeur lambda qui attaque du talon puis plat du pied et qui avance à 10-11 km/h à aucun moment il bascule, je ne vois pas trop l’intérêt. Pour ceux qui sont au-delà de 14-15 km/h ce n’est pas pareil tu vois la différence, tu as la bascule, tu finis le geste et tu économises 15-20 % d’énergie. J’ai testé sur un 10 km j’ai couru en 37’20-37’30 avec des chaussures classiques, je suis descendu à 36’50 avec des chaussures carbones sans entraînement particulier, j’étais sceptique. Pareil sur des séries de 6 x 1 000 m je suis passé de 3’32 à 3’27-3’28 cela faisait longtemps que je n’avais pas fait de tels chronos. J’évite de les mettre pour la moindre séance car comme beaucoup disent cela fausse tout mais c’est bien parce qu’il y a beaucoup de gens qui le reconnaissent y compris les athlètes de haut-niveau.
Lepape-info : Comment voyez-vous évoluer le running dans les prochaines années ?
D.C : Je suis sceptique pour ce qui est du côté populaire moi qui ai inventé les meneurs d’allure. je ne vois pas des courses où l’on part à 5 000, 10 000, 20 000 personnes avec des meneurs d’allure comme avant la crise sanitaire. Nous verrons si nous sommes tous vaccinés et que cela rentre dans l’ordre, parfois je suis optimiste parfois je le suis moins. Il faudra attendre 2022 peut-être ? Ce sera peut-être différent, quelle sera la différence ? Davantage de courses connectées ? Les gens vont continuer à courir c’est sur mais pour la suite je ne sais pas trop.
Lepape-info : Le running a t-il connu ces plus belles années ?
D.C : Dans l’avenir ce sera autrement, je l’ai dit précédemment mais le digital va continuer de prendre l’ascendant. Les revues spécialisées de course à pied comme à une certaine époque sont en train de perdre de leur importance. Les années 80-90 sont loin à présent. J’estime avoir vécu de belles années même au début des années 2000. Si je n’avais pas mon club, je ne m’intéresserais plus à la performance et ce qui va avec. Les gars qui courent maintenant en 2h01 2h02 sur marathon cela ne m’intéresse plus. Ce qui peut sauver le running ce sont les communautés, le fait de courir en entreprise avec des challenges entre collègues de travail et puis aussi la part sans cesse grandissante de femmes qui pratiquent. Beaucoup qui faisaient du fitness dans les salles qui sont maintenant fermées se sont mises à courir aussi. En portant les efforts sur le digital, les femmes et aussi les enfants le running pourra perdurer plus facilement.
Lepape-info : Quoi qu’il arrive, la course à pied restera dans votre ADN jusqu’au bout
D.C : Oui bien sur ! Les amis de ma mère se demandent pourquoi je cours encore à bientôt 65 ans (rires). C’est le contraire qui serait inquiétant, le jour où vous n’entendrez plus parler de moi ou que vous ne me verrez plus courir c’est que cela n’ira plus. Je fais encore 36-37′ sur un 10 km c’est plutôt bien non ? C’est grâce à la dynamique de groupe avec les gars de mon club avec qui je m’entraîne 4 fois par semaine, plus le coach de PPG qui vient chez moi. La passion est toujours là, le bien-être aussi joue un rôle. Pourquoi arrêter ?
Lepape-info : Quelle est votre philosophie actuelle ?
D.C : Mes maîtres mots sont persévérance et enthousiasme. Aller à l’entraînement dans la mesure où tu as envie d’y aller mais ne pas renoncer. La joie de vivre, un peu de déconne, de l’humour. Quand tu vas à l’entraînement quand tu es en groupe tu es content de retrouver tes amis, tu t’entraînes dur et tu y retournes 3 jours après parce qu’il y a une autre séance et ainsi de suite, tu es à peu près sur de progresser avec la dynamique de groupe sans être un champion. Persévérer toujours insister et avec un bon esprit.
4 réactions à cet article
Rérat Jacques
Dominique à parfaitement résumé la situation actuelle, tout est dit et malheureusement cette situation n’est pas bonne ou saine , on est dans le ‘ je m’a tu vu ‘ le paraître.
Sans compter le dopage ( ça n’interpelle personne qu’une femme cours le semi en 1h04’02 ou en 57’ pour les hommes ) les chaussures carbone ( ou comment faire entrer dans les mœurs la triche , l’égocentrisme à outrance, car oui elle font gagner ~ 5’’ au km et comparer les chronos avant ces chaussures équivaut à comparer une Audi R8 avec une F1 …
On ne valorise plus le gars clean et passionné qui respecte les règles, c’est le reflet de notre société , qui a perdu les vraies valeurs , l’essentiel… il est loin l’esprit Spiridon .
Quand à Dominique, il a bien raison de continuer , c’est ça vie et il reste acteur et ça s’est l’essentiel.
THIBAULT Rémy
Beau récit d une passion, la course à pied, je partage vos idées, absolument d accord sur ton constat,
Debailly
Bravo Dominique je suis de ta génération bientôt 63ans et ma passion pour athlétisme est toujours là avant je couraient pour la perf maintenant c’est pour pas trop perdre je reste fidèle un clubs athlétisme car c’est la que tu progresse et je suis tout ta fait d’accord avec toi sur l’ensemble de tes propos vive la vie vive athlétisme et la course à pied
Rapicault
Très belle interview , sous un angle nouveau chez Dominique : la sensibilité. Aditionnée à une expertise sans pareil , l’article se laisse lire plusieurs fois . Très rafraîchissant aussi à une époque où tout le monde sait tout mieux que tout le monde , la réflexion et la modestie sur les interrogations du monde de demain .
Merci pour ce moment lol