Christelle Daunay : « Les équipementiers et le monde du running ont su tenir compte du fait que la femme avait envie de courir et aussi de performer. »

10 ans déjà ! En ce mois d'avril, le site Lepape-info créé lors du Marathon de Paris 2011 fête son 10ème anniversaire. L'occasion d'échanger avec les spécialistes des disciplines que nous traitons régulièrement.
Christelle Daunay championne d'Europe 2014 du marathon et détentrice du record de France féminin de la spécialité en 2h24'22 établi à Paris en 2010 se confie sur sa discipline et son évolution depuis ces 10 dernières années. 10 ans, 10 questions. Entretien.

Lepape-info : Christelle, que devenez-vous et comment allez-vous ? 

Christelle Daunay : J’ai récemment arrêté ma mission à la Fédération française d’athlétisme en tant que « référente marathon », je continue à entraîner, je vais m’orienter vers d’autres projets dans le sport et la santé avec mon métier de kiné. Je vais allier les deux compétences. J’entraîne actuellement à distance Floriane Chevalier-Garenne. j’aimerai bien étoffer ce coté entraîneur avec plusieurs athlètes.

C’est plus facile d’être à proximité je suis actuellement sur la région parisienne nous allons voir mais je ne souhaite pas avoir un groupe trop important afin de consacrer du temps et adapter les bons plans à chaque athlète, un facteur important dans la recherche de la performance.

 

Lepape-info : Vous allez relancer votre activité de kiné  

C.D : J’ai mon diplôme de kiné depuis quelques années, j’avais arrêté d’exercer pendant ma carrière d’athlète de haut niveau notamment quand j’étais sur marathon même si j’avais gardé les compétences et un œil dans ma profession, il faut remettre à jour quelques formations, cela va me demander un peu de temps tout en n’oubliant pas le côté sport santé sport qui est important à l’heure actuelle, on le voit avec la hausse de l’activité physique notamment depuis le début de la pandémie de coronavirus.

 

Christelle Daunay : « Quand j’ai mis entre parenthèses mon métier de kiné en 2006 et que j’ai fait mon premier marathon de Paris en 2007 je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin, endurer et avoir d’aussi belles performances. Cela m’a permis de beaucoup apprendre sur moi-même, sur un plan personnel, professionnel. »

 

Lepape-info : Vous courez toujours ? 

C.D : Oui j’ai eu des phases de reprise, d’arrêt. Actuellement je m’entraîne 3-4 fois par semaine sans suivre un plan précis parce qu’il n’y a pas de compétition en vue. Pour l’instant l’essentiel est de se faire plaisir, courir pour se faire du bien, pour garder la forme et ne pas se fixer uniquement sur la performance. Parfois on ne sait plus pourquoi on court en premier lieu et si l’on met tout sur la performance sans objectif on perd le pourquoi du comment. Pour moi le plus important c’est aussi d’être en forme physique. Depuis un an les courses ont été annulées ou reportées et malgré tout on est avide de performance, de dépassement de soi, d’objectif et cela fait partie d’une approche du sport qui est importante. J’espère que l’on pourra bientôt reporter un dossard, un an cela commence à faire très long pour les adeptes de running et les organisateurs, les bénévoles qui souffrent et essayent de mettre des choses en place avec beaucoup d’énergie pour que ce monde du running reparte de plus belle.

 

Lepape-info : Que retenez-vous de votre carrière ces 10 dernières années ? 

C.D : 10 ans c’est à peu près ma carrière sur marathon, disons de 2007 à 2017. C’est là où je me suis exprimée le plus puisque avant j’avais fait mes armes sur piste (5 000 m, 10 000 m et cross). Je me suis lancée sur marathon tout en continuant sur la piste. Le bilan est plus que positif. Quand j’ai mis entre parenthèses mon métier de kiné en 2006 et que j’ai fait mon premier marathon de Paris en 2007 je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin, endurer et avoir d’aussi belles performances. Cela m’a permis de beaucoup apprendre sur moi-même, sur un plan personnel, professionnel. Il n’y a pas que la performance en soi, il y a aussi un épanouissement global. Jusqu’en 2010-2011 j’ai suivi le chemin voulu, après j’ai eu des périodes de blessures récurrentes dues à l’accumulation de l’entraînement. J’ai moins pris en compte les phases de récupération, je récupérais mais je ne régénérais pas, du coup je pense qu’à l’avenir je serai plus à l’écoute de mon corps. Si je devais refaire une carrière de haut niveau je m’entourerais plus d’athlètes, je me suis quasiment toujours entraîné toute seule, un collectif pour pouvoir échanger, se sentir bien au quotidien m’a manqué même si ce n’est pas évident de trouver le bon groupe.

 

Lepape-info : Quels moments forts restent gravés dans votre mémoire ? 

C.D : Mon premier record de France du marathon à Paris chez soi en 2009 en compagnie de Frédéric Bouvier, avec les proches, c’est un souvenir mémorable. Le marathon de New-York, le plus grand au monde que j’ai fait 5 fois avec en point d’orgue ma 3ème place en 2009 lors de ma première participation. Le titre de championne d’Europe en 2014 à Zurich (Suisse) qui reste ma seule victoire sur marathon avec en plus le maillot de l’équipe de France, la première médaille d’or féminine sur marathon pour une Française lors d’un grand championnat. Ce sont 3 moments différents avec chacun une émotion particulière.

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Christelle Daunay au marathon de New-York 2017

 

Lepape-info : Comment avez-vous vu évoluer votre discipline depuis 10 ans ? 

C.D : Dans le milieu professionnel, c’est l’approche un peu plus scientifique avec un staff élargi. Avant on avait l’entraîneur et le manager maintenant on a en plus l’accompagnement scientifique, les montres connectées qui sont apparues, la technologie a aidé à améliorer les performances de tout le monde y compris les amateurs. On voit de plus en plus de personnes qui s’entourent de coaches, de préparateurs physique, préparateurs mental et qui utilisent le matériel à leur disposition. On a vu aussi en 2019 Eliud Kipchoge faire tomber la barrière des moins de 2h sur marathon (1h59’40) certes dans des conditions particulières (avec notamment 40 meneurs d’allure qui se relayaient autour de lui), une révolution. Actuellement avec les chaussures à plaque de carbone c’est un autre palier qui sème le trouble dans l’approche des coaches, des données scientifiques, de l’entraînement parce que ces chaussures procurent une amélioration difficile à déterminer.

 

Christelle Daunay : « Quand on battra mon record de France du marathon (2h24’22), ce sera fait de quelle façon ? Avec les chaussures il y aura forcément un regret de se dire qu’avant on avait pas les mêmes conditions de performance. Elles améliorent aussi la récupération, les athlètes le disent les séances passent mieux, ils sont moins fatigués après les entraînements, les sensations sur marathon sont déstabilisées. »

 

Lepape-info : Quel regard portez-vous sur ces nouvelles chaussures ? 

C.D : Il y a toujours eu une recherche pour améliorer la performance dans tous les domaines : technologie, technique, nutrition etc… il y a eu l’apparition des pistes, des pointes mais là on remarque un bond en avant des performances qui pose question. Les entraîneurs n’arrivent plus à quantifier la part de l’amélioration des performances, est-ce que cela provient plus ou moins de l’entraînement que grâce aux chaussures ? Cela vient plus des plans d’entraînements ou de la technologie ? Que cela soit réglementé c’est une bonne chose mais bon…

 

Lepape-info : Vous êtes nostalgique du passé, de l’époque avant ces chaussures ? 

C.D : On peut pas comparer par exemple mes records de France du marathon et du semi avec les chronos réalisés actuellement avec ces chaussures. Lors du semi-marathon de Dresde (Allemagne), la Suissesse Fabienne Schlumpf a récemment établi un nouveau record de Suisse, en 1h08’27 améliorant de 11’’ son ancienne marque, 1h08’34 c’est mon record de France à titre de comparaison en 2010. La problématique c’est de battre les records antérieurs de cette manière avec les chaussures. Quand on battra mon record de France du marathon (2h24’22), ce sera fait de quelle façon ? Avec les chaussures il y aura forcément un regret de se dire qu’avant on avait pas les mêmes conditions de performance. Elles améliorent aussi la récupération, les athlètes le disent les séances passent mieux, ils sont moins fatigués après les entraînements, les sensations sur marathon sont déstabilisées.

 

Lepape-info : La pratique féminine de plus en plus importante, les communautés de coureurs, coureuses sont aussi des évolutions constatées, c’est aussi l’avenir ?  

C.D : Les femmes n’ont plus peur de s’aligner sur un marathon, un trail quelque soit leurs performances. Les organisateurs souhaitent de plus en plus la parité avec même parfois des courses exclusivement féminines pour une prise de contact avec le sport on commence par un 5 km et puis ensuite on monte en puissance et on arrive au marathon etc… Les équipementiers et le monde du running ont su tenir compte du fait que la femme avait envie de courir et aussi de performer. En ce qui concerne les communautés, c’est bien d’être seul pour se recentrer, se retrouver, pour ses sensations mais on a besoin du collectif pour aller plus vite, plus loin. On le voit avec la pandémie qui nous isole chacun et chacune les gens, cela peut avoir des conséquences néfastes au niveau psychologique, les gens ont besoin de se retrouver pour faire du sport ensemble.

 

Lepape-info : Quelle est votre philosophie de vie ? 

C.D : J’ai toujours essayé de mettre en place des choses pour atteindre mes objectifs. Très jeune je voulais être kiné, j’ai réussi à aller vers ces études et travailler jusqu’à l’obtention du diplôme. Je n’étais pas performante quand j’étais jeune mais à un moment donné je me suis dit que si je voulais courir plus loin, plus vite, réaliser de grandes performances sans forcément penser à l’équipe de France il fallait mettre entre parenthèses mon métier de kiné en me fixant comme objectif que j’avais un an pour essayer et réussir. Ne pas regretter de ne pas avoir essayé voilà ma philosophie de vie. Parfois le chemin n’est pas simple mais il faut essayer pour tenter, ne pas regretter.

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