Tout d’abord, rappelons qu’il existe 2 records différents du 24h : sur la piste ou sur la route (circuit fermé de 1 à 1,5 km).
Les performances sur piste sont supérieures à celle sur route pour des questions d’économie d’énergie.
Sur route, les virages sont plus nombreux et les premiers doivent doubler constamment les concurrents moins performants (300 à 400 partants) et jusqu’à 80 fois la même personne !
Par exemple, l’icône de cette discipline a réalisé 303 km sur la piste versus 290 km sur la route. Même si la monotonie est extrême sur la piste, les circadiens y sont plus performants.
Mais revenons au meilleur performer français de la spécialité. Erik Clavery vient de l’Ironman puis du trail où son palmarès est éloquent, qui plus est pour un Nantais :
Champion du monde en 2011, 6ème et 8ème de l’UTMB, deux fois 4ème au Grand Raid de la Réunion, 5ème du marathon des sables 2017, et récemment détenteur du record du GR10, traversée des Pyrénées (~870 km et ~55 000m de dénivelé positif et négatif).
Première tentative sur 24h en 2018 avant le record de France en 2019
Erik a consacré peu de temps à la préparation spécifique, seulement quelques semaines au printemps et quelques séances spécifiques avant l’épreuve. Pourquoi ? Parce qu’il voulait réaliser une belle course à l’UTMB®, 7 semaines seulement avant le France de 24h à Albi. Malgré une récupération insuffisante, il remporte le titre avec une marque à 254 km, et les 6 dernières heures dans le dur, les plus difficiles de sa déjà longue carrière d’athlète d’ultra-endurance.
Ce titre lui a valu une qualification aux mondiaux, toujours à Albi, en 2019, sur un parcours allongé (1,5 km vs 1,1 km), mais avec davantage de virages et de concurrents. Avec la fraîcheur, de l’expérience et une longue préparation, Erik a amélioré sa marque de 18 km et pris au passage le record de France de la spécialité, vieux de 20 ans.
Avec 272,217 km, il a pris la 4ème place d’une course gagnée à plus de 278 km, où 5 coureurs ont exceptionnellement dépassé les 270 km.
Cap sur les mondiaux, à M-8
En 2020, crise sanitaire oblige, les championnats d’Europe de la spécialité n’ont pas eu lieu. Erik s’est donc concentré sur un vieux rêve, la traversée des Pyrénées de la Méditerranée à l’Atlantique, début juillet. Record en poche, place à une longue récupération à la hauteur du défi réalisé, puis reprise douce et croisée en septembre, sans contrainte.
La reprise véritable des entraînements, sur le plan physiologique et surtout mental, s’est faite solennellement le 1er octobre, soit pratiquement 8 mois avant l’objectif.
8 mois ça peut paraître terriblement long mais ça ne l’est pas au vu du long chemin qui mène à la performance. Tout d’abord, le réentraînement est un processus avec une grande inertie. Il faut déjà 3-4 semaines avant que les adaptations se mettent en place et que l’athlète puisse reprendre un entraînement dit « classique ».
Ensuite, il ne suffit pas de progresser uniquement en courant mais bien de réfléchir à une approche globale de la discipline. Les progrès peuvent et doivent se faire sur les plans suivants :
– le cardiovasculaire (VO2max, capacité aérobie, économie de course, indice d’endurance)
– le musculaire (meilleur rendement et résistance à la fatigue)
– La nutrition et l’hydratation (meilleurs apports énergétiques, et moindre déplétion des substrats glucidiques)
– Les habiletés mentales (confiance, activation, contrôle émotionnel, concentration…)
– La stratégie (gestion des allures, de la nutrition…)
Sur chacun de ces points, Erik devra travailler pour s’améliorer et gagner ainsi kilomètre après kilomètre, puis mètre après mètre. Si sur le plan purement physiologique, il apparaît impossible de gagner à nouveau 18 km pour rivaliser avec Kouros, il faut bien comprendre que chaque paramètre peut rapporter gros.
À ces paramètres individuels, il faut ajouter les paramètres de la course. À Timisoara, le circuit sera favorable à la performance puisque ce sera un parcours à peu près rectangulaire de 1200 m de long avec 0 m de dénivelé.
Contrairement à Albi, il n’y aura pas d’incessants virages coûteux en énergie, notamment lors des dépassements continuels. Ce simple fait peut faire gagner quelques kilomètres au final. Concernant la météo, difficile de se prononcer en avance. Fin mai en Roumanie, il peut faire froid comme chaud, même si cette période est propice à un climat tempéré. La température de nuit comme de jour est un élément important qui peut faciliter comme nuire à la performance.
Revenons aux facteurs individuels et parlons par exemple de stratégie nutritionnelle
En 2018, à l’image du traileur qu’il était, Erik s’est arrêté régulièrement pour se ravitailler. Il a même fait une pause de 8 minutes pour dormir, épuisé mentalement de tourner en rond.
En 2019, il a travaillé sur une nouvelle stratégie : se ravitailler tous les 3 tours (4,5 km) en marchant sur 100 à 150m. Certes, il perdait du temps sur le futur vainqueur Sorokin (seulement 2 micro-pauses en 24 h) mais il a évité ainsi les troubles gastriques et il a continué à accumuler les mètres.
En 2021, Erik a prévu de se ravitailler en trottant lentement. Sur 24 h, le gain peut être considérable. Chaque curseur poussé un peu plus haut va permettre d’améliorer l’indice d’endurance, c’est-à-dire freiner la perte de vitesse en fonction du temps. Pour espérer dépasser les 12 km/h de moyenne, il faudra partir autour des 14 km/h, allure pour laquelle l’économie de course devra être la meilleure possible.
Une préparation croisée, courir moins pour courir mieux
Au contraire de nombreux circadiens, Erik n’est pas un stakhanoviste du kilométrage. En 2019, 59 km de moyenne par semaine parcourus à pied. Par contre, il s’astreint à un entraînement polarisé de la filière aérobie, à un développement de la capacité aérobie via le vélo de route et le home trainer (> 50% du temps d’entraînement), et à du renforcement musculaire. Ce sont actuellement les 3 axes de travail développés, avec la tête déjà en Roumanie.
Après 2 mois d’entraînement, Erik accomplit entre 8 et 11 séances par semaine, avec une répartition des charges la plus harmonieuse possible, et des semaines à pied dépassant rarement les 100 km.
Home trainer et tapis roulant : 2 outils avantageux pour le circadien
Voici quelques séances réalisées récemment :
– 3h à 14 km/h, soit 42 km. Améliorer l’économie de course à vitesse spécifique, développer des habiletés mentales sur circuit court. En restant sous les 70% d’intensité.
– 2 x 10 km en 36 min (35’40 et 35’47). Améliorer la tolérance au lactate pour élargir la filière aérobie.
– 8 x (5min tapis 14 km/h et 2% de pente + 5 min renfo (= fentes, saut à la corde, gainage, squats) + 5min HT avec gros braquet). Varier les sollicitations musculaires, créer une pré-fatigue.
– Sortie vélo 100 km à 30-32 km/h. Développer les adaptations centrales et périphériques aux efforts dits en endurance.
Cette première phase de préparation vise à construire un organisme fort, endurant, résistant en développant le structurel autant que le fonctionnel. La préparation mentale a elle aussi débuté dès le premier jour de la reprise, et les entraînements à visée stratégique se mettent progressivement en place. Le chemin est encore long mais il se fait avec motivation et plaisir.
Erik rêve de 24 heures depuis fort longtemps. En démarrant en 2018, il n’a jamais caché ses ambitions de record du monde, même si une fois en course, il oublie cette donnée et les autres concurrents pour se concentrer sur les paramètres contrôlables de sa performance, une des clefs du 24 heures. La réponse en mai !