Au coeur du tor des Géants (Courmayeur, Italie), le 7 septembre 2014

À travers le Tor

Épreuve mythique de l’ultra-trail, 332 km pour 24 000m de D+, le tout en non stop. Voilà en quelques chiffres le Tor des Géants. Jean-Marc Delorme y a participé, il nous raconte.

Jean Marc Delorme Tor des géants 2014

Début mai, je décide de m’engager sur le Tor, pour moi il n’y a aucune hésitation, j’ai vraiment envie de vivre l’expérience.

La preuve en est : je commence réellement l’entraînement fin mai. Je reprends par le circuit des 25 bosses en forêt de Fontainebleau. Et là… l’accident se produit : une belle désinsertion myo-aponévrotique au mollet !
3 semaines d’arrêt relatif en juin, et une reprise en douceur début juillet…rien n’a autant aiguisé ma motivation…

Ma préparation

– Le début de ma préparation s’orientera sur un entraînement croisé course et vélo suite à ma blessure, greffant aussi une grosse préparation en renforcement musculaire des membres inférieurs et de la ceinture lombo-abdominale.
– Ma période de développement s’orientera principalement vers des cycles de 3 jours en pyramide ascendante et descendante sur des durées comprises entre 5 et 8 heures ponctuées par un jour de repos entre ces pyramides. Autrement dit, l’équivalent d’un UTMB par semaine.
– Je relâcherai 15 jours avant avec quelques piqûres de rappel, la fraîcheur est primordiale.

Samedi 6 septembre 2014
Me voici dans la ville de Courmayeur déjà célèbre pour ses départs sur certaines courses du Mont-Blanc. Je me dirige vers la prise du dossard, lieu un peu excentré où cette année il y aura un contrôle obligatoire du matériel. Ce sera une véritable pré étape du Tor puisque j’attendrai 1h40 contre 3h00 pour certains, bref pas la meilleure chose avant les 330 km du lendemain.
Dossard récupéré, il m’a été également remis un sac, qui me suivra sur chacune des bases de vie espacées de 50 km (au totale 6), permettant de se changer, de mettre son alimentation préférée, bref tout ce que l’on veut pourvu que cela rentre dans celui-ci.

Dimanche 7 septembre 2014
La fraîcheur du matin est stimulante. Je me dirige vers le départ qui aura lieux dans environ une heure. J’ai hâte d’y aller même si je sais que cela va être dur, très dur. Positionné derrière les élites, le départ est imminent, quattro, tre, due, uno viaaaa… !!
Ca y est, j’y suis. Le départ est très rapide, j’essaye de rester dans le peloton de tête car je sais que le premier sentier est étroit et je ne veux pas partir sur un faux rythme même si, il faut bien l’avouer, je vais avoir largement le temps de doubler dans les dizaines d’heures à venir.
L’ascension vers le col de l’Arp se fait sous la chaleur. Stoppé pour une interview surréaliste par un gars de la télé italienne en plein milieu, je reprends une ascension soutenue, emmené par la joie ambiante. Dès le col passé, beaucoup de coureurs se jettent dans la descente à des vitesses qui me semblent bien trop élevées compte tenu de la distance qu’il reste à faire. Je préfère donc épargner mes fibres et entame une descente à vitesse modérée.

Jean Marc Delorme Tor des géants 2014Après 17 km me voici à la Thuile, il fait encore plus chaud, presque 13h, le temps d’un « refuel » rapide (ravitaillement) et je repars aussitôt vers le refuges Deffeyes. J’ai perdu beaucoup de sel au vu de mon tee-shirt, je prends un peu plus de temps donc pour manger quelques vivres salées dont des morceaux délicieux de polenta.
Je repars de bonne allure vers le col de Haut pas, j’aime ce terrain, je prends beaucoup de plaisir à courir dessus…
S’ensuit une descente technique parsemée de grosses pierres puis une remontée vers le col Crozatie. Je sens mes premiers signes de fatigue, je me cale derrière un coureur légèrement moins rapide et je me laisse remonter tranquillement jusqu’au sommet, la fin sera très raide, très alpine.
L’allure reste soutenue je suis dans les 60/70 premiers. Tous le monde court toujours à bonne allure dans les descentes, moi je reste prudent, et même si j’ai envie de profiter pleinement des descentes (ce que je préfère !) je modère fortement ma vitesse quitte à me faire doubler à contre cœur dans ces portions descendantes.
Valgrisenche, première base de vie, l’organisation hors pair me donne mon sac jaune à peine après avoir eu connaissance de mon numéro de dossard.
Je suis déshydraté, je le sens, je prends donc le temps de me réhydrater avec de l’eau gazeuse, j’en profite pour ingérer quelques protéines via des œufs dur, et enfin je mange quelque cuillerées de pattes mais il faut bien l’avouer je n’ai pas une faim de loup…

Les kilomètres s’enchaînent et à partir de maintenant, il va être très difficile de respecter une chronologie logique des distances. La mémoire des lieux, en raison d’un manque de sommeil, fait qu’il m’est très difficile de me souvenir de tout….

Le sommeil : fatigue et actes délirants…

La première nuit, je décide de dormir 35mn pour ne pas tomber dans une fatigue irrécupérable. J’avais décidé ensuite d’essayer de dormir au moins 1h30 à chaque fois que je déciderai de m’assoupir, puis de faire des micro-siestes de 10 à 20mn pour compléter mon sommeil. Malheureusement, je serais incapable de vous informer des moments exacts où j’ai dormi… le trou noir…
Une illustration ? Une nuit, je marche sur un chemin assez large, il faut que je dorme. Je me décide à m’allonger sur le bas coté, pourtant une idée m’obsède ! Trop proche du sentier, les autres concurrents vont me réveiller pour savoir si tout va bien et je ne pourrais pas profiter de ma sieste. Résultat me voilà, zigzaguant pendant un temps interminable sur ce chemin cherchant l’endroit où je serai enfin tranquille ! Ce temps de recherche m’aurait pris quelques secondes en temps normal. Là, je sais que ce fut long mais je ne pourrais vous dire combien de temps exactement il m’a fallu pour choisir…

« Surtout t’arrête pas…. »

L’ascension jusqu’au refuge Coda se fait bien. Arrêt au sommet avec la fameuse recette café /biscottini, et je repars avec deux italiens très sympas, Guido et Fabrizio.
Nous allons partager maintenant une bonne partie de la course… Nos échanges verbaux permettent de faire le trajet en oubliant quelque peu notre fatigue.
Arrivée à Niel, il faut que je dorme, ce sera sous une tente, après avoir eu une envie fulgurante de glace à la menthe que j’engloutirais en quelques secondes.
Après 1H30 de sommeil, je repars sous la pluie, le repos a fait un grand bien.

Gressoney, 4ème base de vie, 207 km parcourus. Après m’être restauré, je tiens une bonne forme mais au moment de sortir, un bénévole m’avertit qu’il pleut vraiment fort, et qu’il faudrait que je me couvre. Aussitôt, j’enfile ma veste gore tex ainsi que le pantalon. Après, une course lente jusqu’au bout du village, je commence mon ascension. La nuit commence à tomber et je suis fatigué, envie de dormir. Premier refuge à mi-chemin du col, je m’arrête prendre un café chaud accompagné de quelques biscottini, ce ne fut pas l’idée du siècle, je me suis refroidi. J’enfile tout ce que j’ai dans mon sac, j’ai très froid, je suis fatigué. Je m’arrête quelques secondes dans la montée mais impossible car le froid glacé m’envahit immédiatement. Je suis trempé, et je suis seul, pas une seule frontale en vue ni derrière ni devant….
Pas le choix, je dois continuer sous peine d’ennuis sérieux. Il pleut de plus en plus, c’est une douche abondante longue et généreuse à l’image de cette course ! L’eau ruisselle au milieu du sentier.
A proximité du sommet, la pluie s’est transformée en une espèce de neige fondue, le rêve ! La descente se fera dans le brouillard mais heureusement, il ne pleut plus.

Nous venons de passer une grosse moitié, et j’avoue que pour l’instant, ça va plutôt bien !
Conformément à ma stratégie, je décide de simplement augmenter ma vitesse (ascensionnelle autant que descendante), bref d’accélérer sur une bonne partie de la deuxième portion. Tout se passe bien, je partage équitablement la poussée entre les bras et les jambes en montée et mes descentes sont assez fluides et à bonne vitesse. Le tout sans entamer ma forme !
Après le col Pinter (2776 m), je m’engage dans la descente mais après un tiers sur celle-ci, mon genou se bloque dans une douleur très aiguë ! Non, je ne le crois pas ! Pas là ! Pas maintenant !
Je vais traîner la patte difficilement avec une vitesse ralentie, je cours et la douleur me transperce le genou… Il a vraiment gonflé, et je diagnostique vite que mon TFL (tenseur du fascia latta) ne va vraiment pas bien.
Je masse, je m’arrête quelques minutes mais rien n’y fait et je sais maintenant que ce sera l’abandon ou une centaine de kilomètre à serrer les dents (très fort !!). Je ne conçois pourtant de vivre ni l un ni l autre. Mon manque de sommeil embrouille mon raisonnement…il est mon principal adversaire dans cette course.

Parfois, le destin vous change votre vie !
Joe Grant, coureur américain, très sympathique, me rappelle qu’il existe un étirement qui va permettre de détendre tout cela ! C’est fou comme nous ne sommes plus lucide pour soi !!
Cet étirement me soulage beaucoup, la douleur est toujours là mais l’élancement vif en coup de poignard à disparu. (Je referai cet étirement environ tous les 2 à 3 km jusqu’à la fin pour tenir).

La dernière partie

Jean Marc Delorme Tor des géants 2014Nous sommes au refuge de Barnasse….. Et en gros est inscrit sur un panneau « COURMAYEUR 90KM » étrangement, cela me donne l’impression que c’est bientôt la fin. Mais la route va être encore longue.
Nous avons un bon morceau de route en altitude ponctué de montées et de descentes, un peu casse patte, il faut le dire. Fabrizio me salue, me souhaite bon courage avec mon genou et enclenche la vitesse supérieure.
Après quelques kilomètres, je le retrouverai avec un bénévole a ses cotés, couvert et boitant, grosse douleur dans la cuisse, il terminera courageusement le Tor avec cette douleur…

St Remy en Bosses, dernier ravito dans une vallée avant Courmayeur. Je décide de dormir 20mn de plus et repars en plein cagnard à l’assaut de la dernière difficulté, le col Malatra ! 293 6m…
Je suis assez fatigué, mon genou me fait vraiment souffrir, il fait chaud… J’ai du mal à me motiver même si je sais que je suis bien dans le classement et que c’est le dernier effort à fournir. Après une ascension qui me semble une éternité me voici presque en haut du col alpin et vertical, mes pas sont très petits et l’énergie pour y arriver me semble démentielle…

La descente, vers l’arrivée ! Me voici à Bonatti ou à peine pointé, un poursuivant me double mac 5 en compagnie de son lièvre, je m’accroche sur 2 km pour finalement le laisser filer.
Je trottine toujours, je passe Bertone puis arrive en ville, je ne peux pas accélérer, mon genou n’est plus qu’un gros melon…
Je passe l’église… le tapis rouge et enfin cette ligne de délivrance à 332,30 km …. Je suis 48ème au scratch, en 104 heures…

Le Tor restera pour moi l’épreuve mythique dont on m’a parlé, des bénévoles formidables, un parcours remarquable. Cette course est sublime, magique et oui certainement l’ ultra le plus dur au monde…
Merci à Marco Xausa l’organisateur, merci à toute l’organisation, aux bénévoles et l’assistance pour m’avoir permis de participer à cette course, merci Joe Grant pour ce conseil précieux.

Jean Marc Delorme

Matériel utilisé :

Sac Olmo 5

Chaussures : Cascadia Brooks et Asics Trabuco
Manchon de compression
Lampe Petzl Nao
Corsaire Endurance Salomon
Montre Garmin Fenix 2 et 910 XT
Veste Salomon Bonati et Active Shell Jacket
Maillot S-Lab Exo Zip Salomon
Short Trail Twinskin Salomon

Quelques photos

Le classement du Tor des Géants 2014

Hommes

1. Colle Franco (Italie), 71h49mn
2. Nichademus Hollon (USA), 76h25mn
3. Guillon Antoine (France), 79h02mn
3. Le Saux Christophe (France), 79h02mn

Jean Marc Delorme (France),

Femmes

1. Lecomte Emilie (France), 85h53mn
2. Borzani Lisa (Italie), 94h43mn
3. Zimmerman Denise (Suisse), 98h27mn

Classement complet 

 

 

1 réaction à cet article

  1. Un récit palpitant pour un formidable champion!!Chapeau l’artiste!!

    Répondre

Réagissez