A peine rentré avec les joies du retour au tumulte parisien, le périple tout juste vécu garde un côté irréel. Le Marathon des Sables n’est pas juste une course, mais vraiment une aventure très différente de ce que l’on peut habituellement rencontrer.
Le Marathon des Sables, en résumé, ce sont 250km, en 6 étapes, dans le Sahara Occidental Marocain et en autosuffisance. Ce dernier point a toute son importance et caractérise fortement l’épreuve. On a beau être prévenu, passer une semaine complète avec toute sa maison dans un sac à dos de 20 litres n’est pas anodin. Seule l’eau est fournie par l’organisation, et en quantité limitée. Un bout de toile de tente est également mis à disposition pour la nuit. Chaque concurrent assure sa propre subsistance. Ajouter à cela des températures passant d’un extrême à l’autre, alternant sans cesse chaud et froid, plus quelques petites pincées de sables en mode tempête, et vous y êtes.
Ceci étant, l’épreuve est proprement magique. L’environnement est spectaculaire, toujours varié et l’ambiance entre coureurs aussi chaleureuse que multiculturelle, avec ses 50 pays représentés. L’accueil général est aussi parfait avec des bénévoles extrêmement attentifs et bienveillants. L’épreuve a parfois la réputation d’être la « plus dure du monde »… C’est une perception toute relative. Elle peut effectivement devenir un enfer… mais reste quand même globalement très accessible, sportivement parlant. Du moins plus que certains Ultras au chronomètre impitoyable. En fait, il faut surtout bien gérer. Tout gérer. L’effort physique comme la gestion des ressources et les soins du corps. Sur ce point, une attention toute particulière se focalise vite sur les pieds. Plus que toute autre partie du corps, ceux-ci sont mis à rude épreuve et personne sauf exception n’échappe aux traumatismes des ampoules qui peuvent tourner au cauchemar…
Avant d’en arriver là, tout a commencé par mon projet de trilogie « Diagonale des Fous / UTMB / Marathon des Sables » démarrée en 2012 et dont le MDS s’annonce comme la conclusion… En Avril 2014, après une sortie sportive, Michel et moi découvrons viser l’édition 2015. Partager ça en groupe s’annonce encore plus motivant et il faudra juste se décider vite tant les inscriptions devraient être prises d’assaut pour la 30e édition. Et encore les français (30% des concurrents) sont chanceux car, au Royaume Uni, il faut y penser 2 ans à l’avance tellement l’engouement est élevé ! Une année pour se préparer, quand on s’entraine régulièrement, suffit largement. Ce n’est d’ailleurs pas tant sur le plan physique que cela se joue le plus. A contrario, il est vraiment clé de bien appréhender tout le reste et gérer avec minutie son sac.
Heureusement mon ami Michel va alimenter un blog spécifique, http://objectif-mds-2015.over-blog.com/ , tellement pratique que l’organisation n’hésitera pas à mettre plusieurs liens sur sa page Facebook. Personnellement, cela va me sauver car, à tout juste 1 mois du départ, je suis extrêmement loin d’être prêt : face à un emploi du temps surchargé, j’aborde le mois de Mars 2015 avec quasiment rien côté sac, presque en mode panique…
Avec beaucoup de « copier-coller », j’arrive tout juste à boucler mes affaires à temps. La nourriture est une vraie complexité car même une fois le menu et les achats faits, il faut encore tout reconditionner pour que cela rentre dans le sac ! J’ai réussi à raisonnablement tout rassembler et optimiser : mon sac WAA complet affiche 8,5kg sans eau, dont 4,3kg de nourriture pour la semaine. Tout est très accessible et réparti. Mon podologue du sport, Pierre Lapègue, m’a aussi préparé des semelles spécifiques et les pieds…
Vendredi 3 Avril, c’est enfin le grand départ et je suis enfin et réellement zen, soulagé de savoir « qu’il n’y a plus qu’à » maintenant… Après un vol où la chef de cabine nous aura assuré de franches rigolades, s’en suivent 6h de bus pour rejoindre notre bivouac. Largement le temps de lire le Roadbook et prendre la température. Il fait déjà bien nuit et c’est un peu le chaos pour former les tentes, où nous aimerions regrouper la quinzaine de « Bledrunners », notre groupe.
Nous serons finalement 7 dans notre tente n°86, venant étonnamment des quatre coins de la France, et même de Pologne. Notre tente est composée de notre jolie capitaine, Elzbieta alias « Ela », Pascal le Marseillais, alias « Ratatouille », avec sa mascotte et ses drapeaux français sur la tête (que tout le monde a bien repérés !), Bruno, le Lorrain, toujours de bonne humeur, Laurent, le Tourangeau, très expérimenté double-finisher, Wiesek, notre champion et médecin polonais et enfin Jean-Charles, le Béarnais « fou » au béret, avec qui les délires partent très vite !
Cette première soirée sera aussi vite le moment de découvrir l’inconfort du sommeil à même le sol. Mon luxueux matelas d’1cm… me parait fin comme du papier à cigarettes ! Le samedi est consacré à la découverte du camp, aux ultimes choix des affaires avant le contrôle technique des sacs et l’abandon de notre valise… en espérant la retrouver dans une semaine ?! C’est aussi l’occasion de fêter mon anniversaire ! Assurément une célébration très inhabituelle, loin du confort familial. J’ai quand même amené 2 bonnes bouteilles de champ’ que je réussi à faire garder au frais : à quelques heures du départ, l’apéro du soir n’en est que meilleur !
- Etape 1 – Dimanche 5 Avril : 36,5 km
Réveil dès 5h45, suivi de ce qui sera le rituel : toilette, récup de l’eau, petit-dej, prépa des affaires. Le 1er rendez-vous est fixé à 8h pour former un énorme « 30 » avec les coureurs. Muni de drapeaux jaunes, nous sommes parfaitement placés sur le bas du « 3 ». On nous annonce la présence de 1350 « fous » cette année pour relever le défi…Ensuite, chaque départ est précédé d’un speech de Patrick Bauer, fondateur de l’épreuve. Le concept lui est venu après avoir parcouru 350km dans le désert en autosuffisance en 1984… Passionné et bienveillant, il a toujours un bon mot pour les abandons, les anniversaires, les cas spéciaux et adore redoubler de consignes avant de nous lancer sur le rythme « d’Highway to Hell » d’AC/DC ! Tout un programme.
Cette première étape démarre peu après 9h et il fait encore assez bon grâce au vent. On nous annonce une journée avec 34° à l’ombre… qui n’existe évidemment pas !
Je démarre prudemment, avec un objectif 100% Marche Nordique sur l’ensemble de l’épreuve, tandis que la majorité coure déjà follement. L’étape nous offre un bon aperçu de la semaine avec toutes sortes de terrains. Elle nous révèle vite le style de la course : des parties roulantes, des revêtements très changeants avec de grandes variétés de sables, des dunes, des cailloux et des enchainements de grandes lignes droites. Je prends vite beaucoup de plaisir et croise déjà un australien, Ronen, parti à l’aventure avec son père Eric, et avec qui je partage un super ami commun, Tristan Miller, alias « Mr Runlikecrazy » (avec qui j’avais couru Marathon d’Athènes et UTMB). Je croise aussi successivement tous mes coéquipiers de tente sur le parcours.
Ce premier jour est nickel : je suis assez à l’aise et, à part la dernière heure, suis à peine fatigué. Mise en jambes de 6h24 parfaite… sauf côté pieds où je découvre à l’arrivée deux ampoules, dont une grosse sur le côté droit du talon 🙁 Les creux des pieds ont aussi beaucoup chauffé… Je me chope enfin une belle crampe à la jambe droite en faisant le ménage des cailloux sous notre tente. Heureusement, Wiesek, notre champion polonais, est médecin et s’occupe aussitôt de moi avec efficacité.
A peine posé, je découvre alors les joies de l’emploi du temps et des queues interminables (!) : 1h pour donner quelques brèves nouvelles par mail, avec une petite interview au passage.
Puis direction les soins des podologues : 2h à nouveau ! C’est très long mais voilà une visite indispensable pour préparer la suite dans de bonnes conditions, surtout quand on manque d’expérience sur les meilleures techniques à appliquer. Le hic est qu’il fait déjà nuit à mon retour à la tente et je peine à réussir mon feu : trop de vent + réchaud maison pas 100% au point +… je suis nul et me brûle les doigts ! Bref, l’absence d’expérience et de test se fait cruellement sentir et je mange un plat à peine cuit et vaguement tiède… Pas très brillant l’aventurier !… La consolation vient des premiers messages personnels délivrés et qui font chaud au cœur. Il est 21h et je m’endors après avoir tout relu une 2e fois !
- Etape 2 – Lundi 6 Avril : 31,1 km
Le Boss le dit lui-même, ce sera l’étape « UTMB » aujourd’hui ! Chouette, du dénivelé !! 3 cols à franchir qui s’avèreront aller crescendo en terme difficulté… Le départ est toujours aussi rapide et l’hélico virevolte au-dessus de nous pour réaliser des vues spectaculaires. Comme la veille, Michel et moi nous nous retrouvons « par hasard » au bout de 5 minutes et abordons tranquillement le CP1 ensemble (1er check-point au bout de 13 km). Nous franchissons donc le 1er col qui est vraiment tranquille (à peine une « Côte des Gardes ») et nous permet d’aborder une longue crête spectaculaire, offrant une large et jolie vue dégagée.
Au ravitaillement, le rituel s’avère vite immuable : 1,5 litre pour remplir les bidons et 1,5 litre pour se rincer et humidifier le corps. Le 2e col est sensiblement plus corsé avec une montée raide, sablonneuse et parsemée de cailloux. Avec un pied maintenant bien exercé aux ascensions montagnardes, je m’en sors sans difficulté et seul le cagnard nous accable un peu. Sur la crête très rocailleuse qui suit, je croise Leslie qui tente une première féminine : le MDS en sandales ! Son joli verni à ongle est toujours intact et elle gère parfaitement bien… Nous traversons ensuite un long plateau facile avec un Djebel (montagne) au fond. Au fur et à mesure qu’on avance, je m’interroge sur le point de passage ??
Puis, petit à petit, comprends que ce sera… un vrai « Col du Tricot » (cf. massif du Mont-Blanc) : un mur ! Celui-ci démarre par une première moitié dans le sable et une deuxième dans les rochers ! En fait, le Djebel El Otfal est tout simplement « l’Alpe d’Huez » de l’épreuve, un de ses très grands classiques… Il fait très chaud mais je grimpe assez bien. Du moins mieux que la moyenne. Je suis même très largement freiné par le monde dans la zone des rochers mais mets ça à profit pour récupérer tranquillement. Le final se fait à l’aide d’une corde.
Derrière, on redescend via un splendide goulet creusé dans la roche et parsemé de mirifiques roches bleues. Le sac est déjà assez lourd comme ça… mais je finis par craquer et ramasser une pierre pour Marie, fana de jolis cailloux.
Puis, tandis que je descends tranquillement, un cameraman officiel me dépasse avec une Go-Pro au bout d’un stick. Sous le coup de la plaisanterie, je me mets à le taquiner et le défier dans un improbable jeu : descendre en courant. Joueur, il me suit et filme pendant 2mn la poursuite. « It’s Time to Fly » comme me le disent mes Hoka !! 😉 Dans le délire, j’annonce l’arrivée de Kilian Jornet pour me frayer un passage entre les concurrents. J’accélère même progressivement au risque de me tordre la cheville (!). Mon compagnon de jeu finit par craquer et nous en sommes quitte pour une sacrée tranche de rigolade. Probablement le moment le plus fun de la semaine pour moi… Et je ne découvrirai que bien plus tard, le « succès » inattendu de cette vidéo. A la sortie du Djebel, comme la veille en fin d’étape, je retrouve la jolie blonde néo-zélandaise Anna, qui doit forcément s’appeler « Frost » (N°1 mondial de Trail) !
Il faut savoir que nous avons 2 dossards : 1 devant + 1 derrière et c’est génial pour faciliter la convivialité. La veille, j’étais intrigué et avait redoublé peu avant la ligne ma célèbre « adversaire » (pensant au « classement féminin » cher à Bubulle 😉 Cette fois nous faisons connaissance et je découvre qu’elle est… avec mes 2 autres amis australiens ! Anna assure bien et nous nous promettons de tenter de finir chaque jour de la sorte.
6h17 pour l’étape du jour et une nouvelle place au milieu du classement qui me va à ravir. Outre finir, le second objectif sportif est justement d’essayer d’atteindre la première moitié au général. A l’arrivée, je retrouve Wiesek, toujours 1er arrivé à notre tente. Je le quitte rapidement pour le traditionnel enchainement mail / soins des pieds. C’est encore pire que la veille car cela va me prendre 3h30 au total ! Mais quand je vois comment j’aurais géré moi-même les pieds et leur état, je me dis que j’ai encore bien fait de voir un pro. Les creux des pieds sont maintenant bien atteints et le bord gauche du talon aussi. Je réalise aussi à quel point je suis très inexpérimenté pour me soigner seul correctement…
Le retour à la tente se traduit comme la veille par un décalage d’emploi du temps avec les autres et un repas encore froid et immangeable. Je me force quand même car il faut absolument se charger en calories. Nous sommes aussi en alerte vent quand je me couche à 21h. Je fais mon habituel office de couche-tard car tout le camp semble déjà dormir…
- Etape 3 – Mardi 7 Avril : 36,7 km
L’étape démarre sous un soleil et ciel bien dégagé.
Michel, fidèle à ses habitudes, me récupère rapidement en route et nous faisons notre traditionnel CP1 ensemble. Le terrain est toujours varié et c’est étonnant de découvrir la multitude de sables existants. La course porte vraiment bien son nom. Grâce à mon coéquipier, j’ai appris dès le premier jour à optimiser les trajectoires et chercher les sols les plus compacts qui permettent d’économiser régulièrement de l’énergie dans nos foulées. La montée des dunes avec le maximum de surface en contact s’ajoute encore à notre efficacité. Avec l’utilisation des bâtons, j’ai même l’impression d’être dans la gestuelle du skieur de fond dans ces zones-là.
Après une longue traversée d’un sol très sec et craquelé, nous poursuivons avec le sable dans toute sa splendeur. En plein cagnard, il y a même une jolie côte à grimper et j’ai mon coéquipier « Ratatouille » en ligne de mire. Je le rejoins dans la descente qui suit et il m’a l’air cuit. Peut-être encore plus moralement, de me voir le rattraper chaque jour ! ;-))
Ceci étant, je souffre aussi et ressent depuis le milieu de l’étape une fatigue bien présente. J’en ai même mis la musique en route, signe d’une certaine lassitude. Hasard heureux, ma playlist aléatoire commence par « Petite Marie » et je pense fort à ma chérie, repassant avec plaisir le morceau une 2e fois !
Aujourd’hui, la chaleur est si forte (45 ?) que je saigne à un moment subitement du nez. Entre sécheresse drastique et température intense, le corps est bien chamboulé. L’étape va se terminer et je n’ai pas rattrapé Anna la néo-zélandaise. Je regarde ma montre et perçoit même que ça va être chaud pour finir sous les 7h aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne, j’accélère le rythme et à 30 secondes de l’heure fatidique, attaque un sprint de ouf. Je rattrape alors un concurrent qui joue le jeu et nous nous arrachons, tels des « tarés en finale des Jeux Olympiques ». Je casse le buste sur la ligne et gagne le duel pour 3 centièmes de secondes en 6h59mn55s !! Cette fois, je change mes habitudes pour passer plus de temps sous la tente : la file d’attente aux mails est moins longue et il me suffit de ¾ heure. Pour les pieds, je décide de tout gérer moi-même. Je vais juste faire mon petit nettoyage indispensable à la Bétadine (en accès libre) et gère dans la tente. Seul hic, je néglige mystérieusement de traiter une micro ampoule sur la face interne du petit orteil droit…
Le diner du soir est un nouveau calvaire et je pète même un câble devant mon incapacité à allumer mon feu. Laurent vole à mon secours avec son briquet-tempête qui allume mon Esbit en un instant. Le repas ne sera pas fameux pour autant et fini mal dosé / cuit comme le 1er soir…
L’étape longue démarrant tôt demain, c’est dès 20h30 que je m’endors (après une dernière relecture des mails !). La fin de nuit est encore perturbée par un fort vent qui agite fortement la tente.
- Etape 4 – Mercredi 8 au Jeudi 9 Avril : 91,7 km
Au réveil, le vent persiste et pratiquement tout le monde se couvre le visage. Les rafales de sables sont pénibles mais, heureusement, ne dureront pas trop.
En réalité, le véritable challenge au moment de partir, est d’arriver à enfiler mes chaussures : entre les ampoules et les pieds qui gonflent, ce n’est pas très rassurant pour la vingtaine d’heures qui s’annonce ! Le départ est fixé à 8h mais vite décalé d’un ¼ heure faute d’une organisation générale au point. Comme d’habitude aussi, nous commençons par plusieurs kilomètres faciles qui permettent au peloton de s’étirer et à chacun de trouver son rythme. Cette fois-ci, le hasard ne me rapproche pas de Michel… du moins pas d’ici le 1er Check-Point. Faute de batterie solaire au point, je dois me contenter de l’heure de ma super Garmin 920 pour me repérer. Mais une idée germe très vite : évaluer mon avancement avec le podomètre intégré ! J’estime que l’étape nécessitera 120 000 pas environ. Pour info, les recommandations sont de 6 000 par jour ! Au bout de 3-4 km, nous franchissons une belle dune parsemée de jolies roches et avons un panorama fantastique dans la descente qui suit…
Je retrouve aussi la Team Australienne et nous passons notre temps à discuter et nous doubler à tour de rôle, ma marche nordique finissant par prendre le dessus sur leur alternance course / marche. Enfin, un long plateau de plus de 5km se présente à nous : il s’agit d’un ancien lac et le sol est totalement craquelé sous la sécheresse. La blancheur du sol sous le soleil frappe la rétine. Heureusement, le vent souffle toujours et nous rafraîchit. Il nous offre même le spectacle de quelques jolies mini-tornades de sable passant à côté de nous. On se sent vraiment en plein western et pourrions tout à fait être aux Etats-Unis tant cela y ressemble. Au bout de cette interminable ligne droite, nous traversons une passe, abritée du vent. C’est aussitôt la fournaise. Un grand bâtisse siège à flanc de montagne et m’intrigue dans cette zone désertique. Comment font-ils pour s’approvisionner en eau ? Au fond de la passe, qu’aperçoit-on ? Un mirage ? Non, une vraie auberge ! Mais, pas le temps d’être tenté par une petite halte car deux 4×4 de l’organisation veillent au grain devant l’entrée : « Vous êtes en autosuffisance ! »…
La zone devient ensuite rocailleuse et roulante quand j’aperçois une grande pyramide ! Déjà le Caire ? Un nouveau mirage ? Même pas, juste une montagne rocheuse qui finit par dévoiler sa réalité. Plus loin, un arbre totalement isolé a réussi à pousser. La nature est toujours aussi surprenante !
Après un enchainement de dunes, les premiers de la course nous doublent à bon train. Partis 3 heures plus tard, leur facilité est déconcertante. Laurence Klein (triple vainqueur) me rattrape et mène à cet instant chez les filles. Malheureusement cette étape se transformera en calvaire pour elle.
Je retrouve Michel quand nous attaquons la montée du grand Djebel El Otfal de l’étape 2 : dans l’autre sens cette fois. La roche est toujours d’une beauté extraordinaire. La chaleur aussi ! Pire, mon petit orteil se met subitement à doubler de volume et m’arrache une très vilaine douleur. Il en devient même difficile de marcher. Ah, le Bert’, il fait bien moins le fier que 2 jours plus tôt sur la fameuse vidéo ! Je m’accroche à Michel et finalement c’est lui qui « craque » peu avant la fin de l’ascension. La suédoise qui domine (et gagnera) l’épreuve me rattrape quand j’aborde la vertigineuse descente 100% sable qui s’offre à nous. J’assure par des grands pas glissants dans le sable. C’est un peu long et fatiguant mais ne prends pas de risques. C’est malheureusement sur cette portion qu’un Bledrunner, Phil’, va achever sa course avec une fracture, suite à une chute fatidique 🙁
Plus loin, Michel me rejoint et nous concluons la 3e portion ensemble, après avoir traversé une rivière laissant croire que la zone est enneigée tant elle est chargée de sel ! Pas de pause particulière au CP et nous repartons sans coup férir, chacun à son rythme. L’objectif va maintenant être d’atteindre le CP4 du 50e kilomètre juste avant la tombée de la nuit. Nous alternons sable mou et parties roulantes quand le soleil nous offre un très joli coucher derrière le Djebel.
Il est 18h40 quand je pointe. Je décide de faire une bonne pause avant d’attaquer la nuit et les quelques 42km restants. ½ heure plus tard, restauré, je repars, la frontale sur la tête et une tige lumineuse jaune de l’orga sur l’arrière du sac. Pour la première fois, j’acquiers la conviction que je vais réussir ce MDS !… Le début est facile et rassurant, mais cela ne dure pas. Après 2-3 kilomètres, les choses se corsent : du sable mou non-stop et un vent de face forcissant. J’ai même peur de me perdre (à l’instar du message inquiet de Sophie la veille) car la signalisation lumineuse (verte) est espacé de 3 à 400m et les concurrents très répartis. La progression est pénible. Mon sac WAA, bien que génial, me pèse, et quelques maux de ventre s’ajoutent à la difficulté. La nuit s’annonce longue, très longue… Quand 3 heures plus tard (vers 22h15) arrive enfin le CP5, c’est déjà une petite victoire. Les bénévoles nous annoncent chaises longues et thé ! Je crains le piège mais cela fait plus de 4 jours qu’on est privé de la simple possibilité de s’assoir autrement que par terre. Une petite pause de 10 minutes fait donc le plus grand bien.
Malheureusement, rebelote : après 1-2 kilomètres faciles, s’en suit 10 kilomètres de sable mou. Le vent est encore plus violent et se transforme en petite tempête de sable. L’horreur ! Les rares moments de détente… consistent dans l’observation de quelques insectes géants et un mulot du désert totalement paniqué par le faisceau de ma frontale. Cela ne fait pas grand-chose à se mettre sous la dent pendant ces heures de progression très pénibles. Moi qui rêvais d’un ciel étoilé et d’avancée magique à rêvasser… ne pense en boucle qu’à une chose : le moment où je me plongerai dans mon sac de couchage !! Le mental est mis à rude épreuve.
CP6 : Il est 1h du mat’ quand j’y arrive enfin ! Je me couvre avec mon Tyvek, la veste « magique », car il fait vraiment froid. Michel m’a rejoint juste avant et nous poursuivons un peu ensemble avant que je ne décroche. Le terrain est enfin plus facile et le changement de cap nous met le vent de façon moins contraignante. Je suis bien fatigué et baille régulièrement. Tout ceci manque de plaisir et me rappelle ma 2e nuit sur l’UTMB où l’ennui et la folie de l’ultra m’avait sauté aux yeux…
CP7 peu avant 4h du mat. Le lieu est désert : pas un concurrent ! Malgré la fatigue aussi, pas question de s’arrêter pour autant : il ne reste plus que l’arrivée à franchir et retrouver mon lit ! Le surcroit d’énergie ne dure pas trop. Une nouvelle crainte de se perdre arrive encore en l’absence du moindre chemin marqué au sol et en n’ayant pas en vue la prochaine balise verte. De toute façon, inutile de se prendre la tête, car il faut toujours continuer à aller tout droit… Cela grimpe ensuite dans le sable mou. Avec la fatigue je suis persuadé de deviner un mobile home où 2 coureurs semblent s’être arrêtés. Mirage évidemment car les deux concurrents bougent très doucement vu de loin. Je les rattrape même, ainsi que quelques autres, quand je franchis ce qui doit être le dernier col. Au loin, on perçoit les lumières de l’arrivée : Yaouh !! Il doit quand même rester 3 kilomètres et il faut prendre son mal en patience. Ma frontale fait alors mine de s’éteindre ! N’ayant nullement l’intention d’un changement hasardeux des piles à ½ heure de l’arrivée, je coupe la lumière et m’accroche aux 2 anglais devant moi. Nous enchainons les dunes quand l’arrivée apparait à seulement 400m de nous :-)… 5 minutes plus tard, il reste toujours 400m !! Argh…
Enfin, nous y voilà. Il est 5h10 et je songe à la Webcam : avec un peu de chance les lève-tôt (7h10 en France) m’apercevront… Le thé chaud offert est toujours aussi bon, et je sers fort contre moi ma dotation de 4,5 litres d’eau, tout en rentrant en boitillant vers la tente. J’ai réussi cette terrible étape et l’émotion est vraiment très très forte tellement ce fut dur… Je perçois aussi très vite que tout le monde a vécu la même souffrance ! Autre 1er bilan : 114 000 pas au compteur 😉
Sous la tente, je retrouve Wiesek et tente de me déshabiller. Une des guêtres refusent obstinément de s’ouvrir pendant 20mn ! Je garde quand même mon calme car j’en ai encore bien besoin de ses fichus trucs… Enfin à 6h, tandis que le jour se lève, je peux enfin savourer le délice tant rêvé de mon sac de couchage 🙂
3h30 plus tard je me réveille et découvre une partie de mes compagnons qui vient juste d’arriver. La journée de récup’ s’annonce cool à mon niveau. Enfin, je dis ça, mais juste après avoir enlevé mes straps de pieds à la Toutankhamon, une violente douleur irradie tout mon pied droit ó le sang circule d’un coup avec une frénésie folle ! Je passe par la case mail pour rassurer les proches (rapide car ça ne se bouscule pas pour une fois) puis goto les soins où je retrouve, comme un peu tous les jours, mon pote et grand Kikoureur, Jean-Mi. Les pieds sont dans un sale état, avec, « au sommet », le petit orteil négligé devenu une horreur… Je retrouve au passage le cameraman de la 2e étape… qui m’annonce le succès de notre vidéo avec plus de 10.000 vues en 24h (!!!)
Le reste du temps, c’est sieste et discussions. Il manque juste Bruno à l’appel qui se fait toujours désirer… L’heure limite pour arriver est 20h… quand il débarque peu après 16h ! La tente 86 est donc toujours au complet ! 🙂
Vers 17h, surprise, on nous offre un Coca bien frais ! Je cumule et enchaine alors avec un deuxième plaisir, en me rendant à la zone de téléphone par satellite. Pour 10 € j’ai le bonheur d’appeler la maison… où tout le monde est surpris. Pris par l’intensité du moment, je peine à trouver mes 2-3 premiers mots. L’instant défile avec magie 🙂 et j’enchaîne avec un 2e passage par la case mail pour compléter les news. Je salue aussi mes amis australiens et la soirée se termine dès 20h30 car la fatigue est quand même grande. Mentalement, il faut aussi rester dans la course car, aussi dure que fut l’étape longue, la course n’en est pas finie pour autant !
- Etape 5 – Vendredi 10 Avril : 42,2 km
Pour la première fois de la semaine, je peine à me lever. Il est 5h du mat et je resterais bien à me reposer, sentant confusément que la journée va être dure… On se lève aux aurores car le départ est fixé à 7h ! Seuls les 200 premiers ont droit à 1h30 de plus. Bref, je fais tout à deux à l’heure et redoute la fin : la rentrée des pieds dans les chaussures ! C’est un tel « délice » qu’en rejoignant la ligne de départ, je peine terriblement… à simplement marcher. « Euh, on fait comment quand il y a +42 km à parcourir ?? Quand il va y avoir 50 000 pas à cumuler ? » Et bien, on serre les dents et prie pour que les endorphines fassent vite effet après le départ. Je démarre cette fois aux côté de Laurent et Jean-Charles les rois des tracés directs au compas !
Sans être hors parcours, on fait un tout droit qui nous écarte vite de plus de 50m de la piste. Une pauvre malheureuse concurrente qui s’était installée au calme pour une pause technique n’a pas dû être ravie de notre sens des trajectoires… Ceci étant, la pudeur a généralement et incroyablement vite disparu depuis le début de la semaine.
Au bout d’une demi-heure, j’arrive enfin à trouver mon rythme… sans boiter (!). Je retrouve aussi mon compagnon préféré, à savoir Michel ! On joue donc le premier CP comme d’habitude ensemble. Et puis le 2e aussi car nos rythmes coïncident parfaitement. En fait, nous partageons le même objectif : le chrono est secondaire aujourd’hui et il faut surtout profiter au maximum de cette dernière grosse étape, signe de la fin du MDS.
Le parcours n’est pas trop dur avec 24 premiers kilomètres assez roulants pour une fois. Nombreux sont ceux qui en profitent pour « foncer ». Nous, on assure au mieux, compte tenu de la fatigue et des pieds : 5km/h environ. Contrairement aux étapes précédentes, ça ne sera pas une journée « Pacman » car nous dépasserons peu de concurrents cette fois.
La 2e portion nous offre de très belles dunes et elles sont plus effrayantes que difficiles. Mieux, je prends beaucoup de plaisir à les franchir, tentant de savourer chaque moment. Leur beauté est également très prenante, avec tant de courbes harmonieuses. Avec Michel, nous parions sur les signes avant-coureurs d’apparition des CP et mes intuitions ne sont pas toujours justes. Mais cela occupe l’esprit et nous fait rire.
CP3, nous retrouvons encore Jean-Charles et Laurent. Déjà la 4e et dernière portion avant d’être finisher. Le sol est très caillouteux mais pas trop difficile. Il fait juste très chaud et cela fait quand même bientôt 8h que nous sommes partis. C’est toujours long un marathon…
L’arche d’arrivée est finalement visible au loin : quoi déjà ?! On est presque dépités que la course se termine déjà. Des panneaux amusants égayent la dernière ligne droite et nous passons enfin la ligne tous les deux, bras dessus, bras dessous, criant notre satisfaction !! Petite déception avec l’absence de Patrick Bauer, pourtant traditionnelle, pour nous remettre la médaille… mais c’est un peu compréhensible vu la dimension de l’épreuve désormais. Je n’en fais pas moins la bise à la bénévole qui me félicite. Puis première photo et un bon gros coucou, attendus par nos supporters, à la Webcam 🙂
Photo officielle ensuite qu’on prend soin de bien partager. Mine de rien, avec Michel, on aura partagé pas loin de la moitié de la course tous les 2 ! Au retour à la tente, trois de mes coéquipiers sont particulièrement heureux d’avoir fini… pour une fois avant moi ! Trop « agacés » de mes dépassements quotidiens de Marcheur Nordique ? ;-)) En tout cas, on est tous heureux d’avoir relevé le challenge (49h18 et 698e en ce qui me concerne).
J’enchaîne sans tarder mail et soins, et ça va un peu plus vite que d’habitude, avant de découvrir ceux de félicitations anticipés (!). Je parviens aussi à préparer enfin mon premier vrai plat chaud et appétissant. Il était temps de réussir un minimum le volet aventurier 🙂 Pour conclure, une soirée est offerte avec un 1er film de la course et un concert. Mais la fatigue est telle que je ne bouge pas de la tente et m’endors dès 20h30 encore.
- Etape 6 – Samedi 11 Avril : 11,5 km
Grasse matinée jusqu’à 6h ! J’ai quand même encore du mal à me lever. C’est dur de repartir au « combat » quand on est finisher (l’étape ne compte pas au classement) et les pieds en feu. La nuit a aussi été difficile avec une grosse tempête qui nous a fait greloter sur les 2-3 dernières heures de la nuit, faute à un vent très perçant. Ce matin, je jette mon abominable muesli et prend une compote crumble à la place.
Le plus dur reste à venir : enfiler les chaussures. Cette fois, c’est impossible dès le pied gauche, pourtant bien moins meurtri… Et bien, il suffit d’enlever les semelles pour tromper l’ennemi ! Celui-ci se rebiffe et me fait méchamment boiter au moindre pas. « De la résistance ??… Allez, 2 dolipranes et je vais te calmer moi ! » Et puis, ça sera comme la veille : wait & see… pour les endorphines !
Cette étape, je la fais avec Michel comme prévu depuis le début. On gère finalement toujours le même rythme tandis que l’immense majorité des coureurs se la joue cool d’entrée de jeu. Fini les run de ouf !…
L’épreuve se termine par les magnifiques dunes de Merzouga et nous concluons le dernier kilomètre aux côté du 1er français, Christophe Le Saux (7e de l’épreuve).
Juste avant la ligne, je ramasse un peu de sable en souvenir, dernières photos et il est déjà temps de prendre le bus pour filer directement à Ouarzazate ! Le pack-lunch pris 2h plus tard est… une sorte d’enchantement : des mini-saucissons, du pain, du fromage… Les papilles explosent après 1 semaine de privation ! Le voyage n’en reste pas moins très long et heureusement je peux enfin échanger quelques SMS avec Marie 🙂
Puis pendant 36h, l’heure est à la récupération, gastronomique, avec quelques bières bien méritées et l’appréciation du retour au confort simple mais tellement agréable. Déjà, le simple fait d’avoir l’eau courante et du savon pour se laver les mains est le premier luxe incroyable que je m’accorde et apprécie vivement !…
Disputer le Marathon des Sables est bien plus qu’un challenge sportif. Il y a un peu un côté Koh Lanta à l’épreuve (sans la lutte entre concurrents !). C’est une aventure qui force à prendre du recul sur beaucoup de choses ! Déjà, le confort simple du quotidien est un privilège que nous avons oublié. L’eau courante, un bon toit, une chaise, manger à sa faim… C’est tellement banal et pourtant combien de millions de personnes sont privés de ces privilèges ?
Ensuite, c’est une épreuve assez complète où le physique est important mais loin d’être totalement prépondérant par rapport au reste. Je doserais plutôt la formule avec 1/3 de physique, 1/3 de préparation des affaires et 1/3 de mental / expérience. En tout cas, rien d’insurmontable car beaucoup peuvent y prétendre.
Le Marathon des Sables, c’est aussi une course où personne ne « triche » et affronte les difficultés de la même manière, qu’il soit premier ou dernier. Quel que soit le niveau, on sent bien que chacun donne son maximum et a autant de mérite que son voisin. Avec la durée de l’épreuve, l’esprit entre coureurs est, du coup, exceptionnel. Même s’il est important de bien penser à soi pour réussir, on a le temps de partager, de s’encourager, d’être solidaires. Bref, une bien belle épreuve…
P.S : Un grand merci à tous pour vos encouragements si précieux et appréciés…
Et à SystemUP, WAA, Hoka, Lepape et Track & News pour tout le soutien et matériel qui se sera avéré aussi utile que de très grande qualité, pour ne pas dire plus !