Lepape-info : Jeanne, de nouveaux défis s’offrent à vous en cette nouvelle année ?
Jeanne Lehair : Oui je vais rejoindre les Sables Vendée Triathlon après 19 ans à Metz. Depuis cet été, cela devenait très compliqué avec mon club de toujours au niveau des relations humaines. Je me suis dit qu’il fallait que je commence à regarder ailleurs, quelques clubs m’ont contacté. Les Sables Vendée l’ont fait après l’étape WTCS des Bermudes, l’offre financière était assez intéressante, cela a joué dans mon choix, vu que je me consacre à 100% au triathlon c’est bien aussi de pouvoir en vivre.
Le fait que l’équipe féminine des Sables Vendée vienne de monter en D1 m’a également incité à les rejoindre, je n’arrive pas dans une équipe déjà construite. Cette aventure me fait penser à celle que j’ai vécue au tout début avec Metz lorsque le club était en D3 puis 2 années en D2 et ensuite la D1. Je recommence une histoire de mon côté et eux aussi un peu en même temps.
Jeanne Lehair : « Le fait que l’équipe féminine des Sables Vendée vienne de monter en D1 m’a également incité à les rejoindre, je n’arrive pas dans une équipe déjà construite. Cette aventure me fait penser à celle que j’ai vécue au tout début avec Metz. »
Lepape-info : C’est flatteur d’avoir été sollicitée par plusieurs clubs
J.L : Depuis des années je n’avais pas été contactée car les gens savaient que j’étais à Metz et que tout se passait bien. Cette situation m’allait très bien car si on m’avait fait une super proposition cela aurait été difficile de refuser mais en même temps je n’avais pas envie de partir. Du coup ces dernières semaines je ne savais pas comment faire, je me demandais si des clubs allaient me contacter, si je devais signaler mon envie de partir. J’ai discuté de moi-même avec un premier club. Puis 2-3 clubs m’ont contactée ce qui m’a fait très plaisir mais bon les Sables m’ont convaincue avec leur proposition.
Lepape-info : Quel bilan tirez-vous de votre année 2022 ?
J.L : Le bilan est positif même si j’ai eu quelques loupés comme sur la fin de saison où je n’en pouvais plus. La grosse déception restera le Championnat d’Europe à Munich (Allemagne), je me sentais très bien avant la compétition, j’étais en altitude, je suis redescendue 3 jours avant la course c’est peut-être le délai qui m’a fait du tort. Cela avait marché en 2018 mais pas cette fois-ci. Pendant la course il y a eu une chute à vélo devant moi, j’ai perdu contact avec le groupe de tête, pendant la course à pied ce fut la débandade pour moi, j’ai marché, j’ai cru que j’allais m’arrêter, je suis quand même allée au bout… à l’arrivée tout le monde m’a dit bravo, je leur ai dit merci mais c’est quand même un peu la honte !! (rire). À côté de cette déconvenue, je retiens mon premier TOP 10 en WTCS avec une 8ème place à Montréal (Canada), je ne m’y attendais pas, pour moi c’était inespéré, je me demandais ce que je faisais là à cette place parmi toutes les stars du circuit mondial. L’autre bon souvenir est la Super League où les différents rendez-vous se sont plutôt bien passés pour moi comme Munich où je termine 4ème. Toulouse fut aussi un très bon moment, je suis Messine mais mon copain vit à Toulouse et cela fait un an que je réside aussi un peu là-bas. Il y avait une ambiance de folie, je me sentais comme à la maison. Je retiens aussi ma 19ème place en WTCS aux Bermudes, c’était plutôt pas mal en fin de saison.
Lepape-info : Beaucoup de fatigue en fin de saison, cela va vous inciter à être plus raisonnable cette année ?
J.L : C’était peut-être un peu trop avec la longue saison de Super League mais c’est ce que je voulais faire. C’était l’année pour le faire, la Super League n’est pas concernée par le ranking olympique, en 2022 c’était le bon moment pour vivre cette expérience et me concentrer désormais sur le ranking olympique en 2023. Mon coach Paulo (Sousa) n’était pas partant, ce sont les organisateurs de la Super League qui m’ont contacté, je ne pouvais pas refuser. Il m’avait prévenu que cela allait être très dur notamment tous les déplacements et les voyages à gérer. Je me devais de vivre cette expérience à ce moment là et la vivre à fond. C’est sur que cette année vu le calendrier qui nous attend je ne ferai pas toutes les étapes de Super League. Il y a notamment 3 rendez-vous entre le Test Event de Paris 2024 et la grande finale, le tout en un mois et demi avec seulement un week-end de repos !
Jeanne Lehair : « En représentant le Luxembourg, je peux faire davantage de compétitions quand je le veux et cela ne peut que me faire progresser. Cela m’enlève aussi le stress de me dire que si je rate une course, je n’en referai plus peut-être pendant un moment, que je n’aurai plus ma chance. »
Lepape-info : L’année s’annonce dense même si vous enlevez des dates
J.L : Cela commence dès le 4 mars avec l’étape WTCS d’Abou Dhabi. Avant je vais participer aux championnats nationaux d’aquathlon au Luxembourg ce dimanche. Pour l’instant je n’ai fait aucune intensité à pied, j’ai repris l’entraînement natation il y a deux semaines. Ma première vraie course de l’année sera à Abou Dhabi, en format sprint cela me convient mieux en début de saison. Si d’ici là je n’avance pas à l’entraînement on décalera la vraie reprise de compétition. J’ai repris assez vite après mon retour de vacances (le 13 décembre) mais de manière tranquille. Je vais demander à mon coach si je peux reprendre les vraies séances athlé en mode tempo.
Lepape-info : 2022 fut aussi l’année où vous avez décidé de représenter le Luxembourg
J.L : Je pouvais recouvrir la nationalité Luxembourgeoise par ma mère qui l’a. Un jour mon grand-père me l’avait dit mais pour mon ancien coach c’était impensable de représenter un autre pays. J’ai eu le déclic en 2020 avec le confinement. Après cette période je suis tombée malade du coup je n’ai fait aucune course en 2020 et mon entourage m’a incité à me recentrer sur moi sans tenir compte de ce que les gens pouvaient penser. Forcement en représentant le Luxembourg, je peux faire davantage de compétitions quand je le veux et cela ne peut que me faire progresser. Cela m’enlève aussi le stress de me dire que si je rate une course, je n’en referai plus peut-être pendant un moment, que je n’aurai plus ma chance. Ne plus avoir cette épée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque course c’est bien, même à l’entraînement cela m’enlève cette pression constante. Je me rappelle qu’en février 2022, on m’avait dit que je ferai avec l’équipe de France l’étape WTCS de Yokohama mais pas Leeds, ni Montréal et Hambourg, cela m’avait un peu refroidie et surtout laissé aucun regret au sujet de mon choix effectif en seconde partie de saison. Certes avec l’équipe de France en relais vous êtes à peu près sûr de faire de bonnes performances alors qu’avec le Luxembourg il va falloir tout construire, mais je pense qu’on va faire de belles choses. En 2021, j’étais censée faire 2 relais avec l’équipe de France, aucun n’a pu être disputé par l’équipe de France ! Ne pas pouvoir faire de relais quand j’en avais l’opportunité… je me suis dit : « Rien ne me retient. »
Lepape-info : Comment vivez-vous cette situation de représenter désormais le Luxembourg par votre maman qui travaille au sein de la Fédération Française de triathlon ? C’est complexe ?
J.L : Cela fait un peu bizarre, mais en même temps je vis à Metz en Moselle à 50 minutes en voiture du Luxembourg, je suis plus près du Luxembourg que de Paris par exemple. Depuis que je fais des compétitions internationales, je pars souvent du Luxembourg, je côtoie et je voyage souvent avec la « Team Luxo », les 2 coaches du Luxembourg sont Français, l’un d’entre eux m’a un peu entraîné à Metz. Au Luxembourg on parle Français. Pour moi la transition s’est faite en douceur. Je m’entends avec aussi quasiment tous les Français y compris le staff. Sur une étape comme celle de Montréal il y en a qui m’ont prêté leur home trainer parce que j’en avais pas, les relations restent très bonnes avec tout le monde, le triathlon est une grande famille, cela ne me fait pas un grand écart de culture.
Jeanne Lehair : La dernière réponse de Metz par mail fut : « Je te souhaite de trouver un nouveau club dans lequel tu pourras t’épanouir. »
Lepape-info : Le triathlon est une grande famille mais comme dans la vie il y a parfois des ruptures, la récente avec Metz fut très difficile
J.L : Le problème couvait depuis un moment, on le savait tous très bien, mon ancien entraîneur Jordan Rouyer a eu 3 plaintes contre lui. Deux clans se sont formés au sein du club même si le club ne partage pas cet avis, selon moi ils se sont mis dans une bulle incohérente pour essayer de défendre Jordan. J’ai essayé de comprendre tellement de fois que je m’en suis fait mal à la tête. Au Grand Prix de Metz, j’ai fait part de mon ressenti au président le lendemain de la course, le soir de la course j’étais malade avec des crises d’angoisse en raison de cette situation. J’ai eu l’impression d’être écoutée mais pas entendue. Quelques semaines plus tard quand j’étais à Font-Romeu, j’ai demandé maintes et maintes fois au trésorier du club d’obtenir mes aides du département qui transitent par le club et arrivées en avril alors que l’on était en juillet ainsi que des primes internationales que je n’avais pas car j’étais devenue Luxembourgeoise. Après d’autres échanges, la dernière réponse de Metz par mail fut : « Je te souhaite de trouver un nouveau club dans lequel tu pourras t’épanouir. » Nous sommes 5 personnes s’étant entrainées sur Metz qui sommes parties en 2022 après avoir passé une année sans soutien du club, certains n’ont pas eu leur place dans les équipes de D1 même en U23.
Lepape-info : Le fait de représenter le Luxembourg depuis peu a t’il envenimé une situation tendue ?
J.L : Tout est arrivé un peu en même temps mais par exemple Margot Garabedian qui est un élément phare encore à Metz va représenter le Cambodge. Ce serait un peu gros de me dire qu’on m’en veuille alors que je vais porter les couleurs d’un pays à 50 km de chez moi. Cela a peut-être aidé car je sais que Jordan n’était pas pour ce genre de procédé mais je ne pense pas que cela soit le problème principal. Dans l’enquête visant Jordan j’ai été appelée à témoigner et je pense que mes réponses n’ont pas plu alors que n’ai pas porté plainte, je n’avais pas envie de perdre mon temps et mon énergie à cela.
Lepape-info : Vous avez l’impression d’un immense gâchis
J.L : Oui surtout pour le club, je pense qu’il y a beaucoup de monde qui se rend compte que beaucoup de choses ne vont pas. Heureusement qu’il y a pas mal de licenciés, j’aime ce club et j’espère qu’il retrouvera de sa superbe mais tant que certaines personnes seront là ce sera compliqué.
Lepape-info : À présent pour vous Jeanne, cap sur 2023 avec quels objectifs ?
J.L : En 2022, j’étais 35ème au ranking WTCS en n’inscrivant aucun point lors de la grande finale . L’un des objectifs sera de marquer un peu plus de points notamment lors de la finale, d’améliorer mon ranking mondial en vue des Jeux olympiques. Il faudra voir combien de courses seront prises en compte, l’an passé il y en avait 3 plus la finale, cette année je pense que ce sera minimum 4 plus la finale, donc il va falloir probablement en faire 5 pour assurer le coup. Abou Dhabi me donnera un indicateur pour savoir si je peux faire un truc sympa ou non pendant l’année. Et puis il va falloir que je progresse dans les disciplines surtout la natation où je suis un peu juste pour sortir dans le premier pack ou du moins pas trop loin car je sais que je peux grapiller quelques secondes lors de mes transitions.
Jeanne Lehair : (Les Jeux olympiques) cela reste la course d’une vie, la course la plus importante d’une carrière, je veux faire du mieux possible d’autant plus « à la maison » même si je représenterai le Luxembourg, ce sera un évènement incroyable mais je ne veux pas que cela me « bouffe ».
Lepape-info : L’objectif un peu plus à moyen terme reste les Jeux olympiques de Paris 2024
J.L : Je n’y pense pas trop souvent mais je me dis que cela se rapproche quand même. Depuis que je m’entraîne avec des filles qui se préparent pour cela aussi et que j’ai vu la déception de certaines pour une course ratée ou une championne comme l’Américaine Taylor Spivey ne pas se qualifier pour les Jeux alors qu’elle était no1 mondiale, j’ai réalisé le côté sombre des Jeux olympiques. J’avoue que cela m’a un peu refroidie et fait prendre du recul et cela m’incite à faire attention. Cela reste la course d’une vie, la course la plus importante d’une carrière, je veux faire du mieux possible d’autant plus « à la maison » même si je représenterai le Luxembourg, ce sera un évènement incroyable mais je ne veux pas que cela me « bouffe ». Si je fais une bonne place cela sera très bien et on retiendra cela mais je n’ai pas envie de faire la course de ma vie aux Jeux et plus rien après.
Lepape-info : Vous abordez 2023 avec de nouvelles certitudes sur votre capacité à rivaliser avec les meilleures ?
J.L : Oui sur le papier après j’ai souvent tendance à me dire que je ne suis pas la meilleure et que si j’ai fait une fois une belle performance (comme la 8ème place à Montréal) ce ne sera pas évident de la refaire, je me dis que j’ai eu de la chance. Pour cela, la Super League m’a beaucoup aidé parce que j’étais plus audacieuse que d’autres et que j’ai pris des risques, ce circuit fut pour moi que du bonus. Ce que j’ai fait à Toulouse en partant à vélo avec la Britannique Georgia Taylor-Brown montre que j’ai un petit potentiel pour être à l’avant d’une course, cela ne me serait probablement jamais arrivé sur une étape WTCS. Je me dis que si cela ne m’impacte pas dans mon cerveau, peut-être que les autres en voyant mon nom finissent par me connaître. Je me rappelle qu’en 2017, en Asie, je n’avais pas été au top sur 2 courses et je me souviens avoir été surprise que Marten Van Riel qui avait gagné connaissait mon prénom. J’ai toujours eu ce complexe « je suis moins forte que les autres, on ne me connait pas », la Super League me fait du bien pour ma confiance.
Lepape-info : Vous avez 26 ans et encore de belles années devant vous, quelle est votre motivation au jour le jour ?
J.L : J’aime le sport, j’aime me dépenser. Le triathlon est le sport que j’aime pratiquer même si ce n’est pas facile tous les jours. Depuis que j’ai quitté Metz, je suis au Portugal ou à Toulouse et quand j’ai repris comme là il y a quelques jours et qu’il fait beau c’est bien agréable de nager en piscine extérieure, de sortir pour s’entraîner. J’ai appris à aimer m’entraîner ce qui n’était pas le cas quand j’étais plus jeune, je suis assez compétitrice, j’aime me faire mal dans tous les domaines. J’aime bien gagner quelque chose que je sais que je peux gagner, si je sais que j’ai une petite chance de faire quelque chose. J’ai mûri, j’ai grandi avec une certaine philosophie qui consiste à aimer les petites choses simples de la vie et certaines plus compliquées évidemment (sourire).