Adeline Roche : « En trail il y’a le côté nature, une liberté, un cadre qui vous permet de vous recentrer sur vous-même. »

10 ans déjà ! En ce mois d'avril, le site Lepape-info créé lors du Marathon de Paris 2011 fête son 10ème anniversaire. L'occasion d'échanger avec les spécialistes des disciplines que nous traitons régulièrement.
La championne du monde 2017 de trail Adeline Roche, à présent jeune maman, se confie sur sa carrière et l'évolution de sa discipline ces 10 dernières années. 10 ans, 10 questions. Entretien.

Adeline Roche en stage avec l'équipe de France dans les Vosges en 2019 - Crédit photo : Olivier Gui

Lepape-info : Adeline, quelles sont vos perspectives en cette période incertaine ?  

Adeline Roche : Tout va bien j’ai donné naissance à un petit garçon qui s’appelle Siméo à la fin du mois d’août dernier, je suis encore dans une phase de reprise avec de nouveau petit à petit un entraînement normal. Quand les compétitions vont reprendre j’aurais peut-être retrouvé mon niveau c’est plutôt pas mal pour moi. J’espère que l’on va voir le bout du tunnel rapidement. Je me suis fixé 2-3 objectifs à venir avec les championnats de France de course en montagne le 6 juin et en point d’orgue les Mondiaux en Thaïlande en novembre.

Je savais que cette pause maternité ne pourrait que m’apporter du plus c’est une organisation au quotidien mais j’ai envie de retrouver mon niveau.

 

Lepape-info : Ou en êtes-vous de votre reprise de l’entraînement ? 

A.R : J’ai pratiquement terminé ma rééducation périnéale, à l’entraînement je peux refaire tout ce que je faisais avant. Il faut juste que j’arrive à m’organiser au quotidien, mes journées sont hyper courtes mais cela se passe bien avec l’aide de mes proches. Il y’a de l’excitation à l’idée de remettre un dossard après maintenant je sais que je suis encore loin de mon meilleur niveau. À l’entraînement après tant d’années de pratique, même sans séance test, je me connais et je sais exactement où j’en suis. Après un an sans course à pied, un repos total et un changement de corps j’ai perdu un peu même si mon corps n’oublie pas.

 

Lepape-info : La naissance de votre fils change aussi la vision de votre carrière de haut niveau ? 

A.R : Oui j’ai des priorités différentes, avant j’étais centrée sur moi pour certaines choses lorsque je rentrais du travail (Adeline est référente de parcours au service insertion pour aider les personnes à retrouver un emploi) c’était l’entraînement direct maintenant il y a Siméo dont je dois m’occuper, je suis encore en train d’allaiter. Comme il n’y a pas encore de compétition je prends le temps d’en profiter. Ma vision a changé, au niveau des compétitions je pense que ce sera que du bonus, si Siméo est sur les bords des sentiers plus tard cela va encore plus me motiver. Sinon mentalement, l’accouchement n’a pas été une mince affaire du coup après je me suis dit que la course à pied à côté c’était facile, la douleur n’est pas la même (rires).

 

Adeline Roche : « Quand j’ai commencé le marathon j’avais 25 ans, à l’époque c’était jeune pour une Française on me l’avait fait remarqué en me disant que je montais tôt sur la distance. Maintenant on attend moins, les athlètes osent monter sur marathon parce qu’ils se rendent compte que ce n’est pas non plus la fin de leur carrière. »

 

Lepape-info : Que retenez-vous des 10 années de votre carrière qui viennent de s’écouler ? 

A.R : Il y a eu un bon bout de chemin parcouru, j’ai eu la chance de toucher un peu à tout et de vivre des choses exceptionnelles avec l’équipe de France notamment lors de mon titre de championne du monde de trail en 2017. Ce sont aussi de nombreuses rencontres, j’ai beaucoup appris. Je me dis aussi que j’aurais peut-être fait certaines choses autrement. Je suis athlète de haut-niveau mais je me demande si j’aurais pu faire mieux, si oui comment ? C’est compliqué, j’ai eu de bons résultats mais je n’ai pas fait de Jeux Olympiques par exemple il y a un mélange de tout dans mon esprit. Championne du monde de trail c’est bien, le trail n’est pas une discipline méconnue mais elle n’a pas la notoriété du marathon par exemple. Je retiens aussi mon titre de championne de France de marathon en 2010 et aussi mon premier marathon en 2009. J’ai fait 8 marathons il y’en a pas un pareil avec des émotions, des sensations  différentes. On a beau faire quasiment la même préparation, il n’y a rien qui se ressemble derrière. Je continue de grandir, d’apprendre et c’est ce qui est intéressant.

 

Lepape-info : Trail, marathon, cross, 10 000 m, une véritable touche à tout comme vous dites  

A.R : J’ai commencé à l’âge de 10 ans à l’école d’athlétisme, je faisais du lancer de balle, du sprint, de la longueur voire du triple-saut notamment aux Interclubs. J’ai été formée par mon club à Roanne (Loire). Ensuite je me suis orienté vers le demi-fond en benjamines / minimes. J’ai passé les étapes : 1 500, 5 000, 10 000 m, le circuit idéal avant de passer sur marathon même si je n’avais pas une vitesse folle. En 2015, je quitte mon entraîneur et je choisis de m’entraîner toute seule et je me laisse tenter par le trail. Cela faisait des années que j’y pensais parce que vous êtes en contact avec la nature et c’est ce que j’aime. Je n’oublie pas non plus les cross, j’adore cela mais c’est vrai qu’en 10 ans cela a pas mal évolué, avant le cross c’était vraiment du cross maintenant on se retrouve sur des hippodromes je préférais avant.

 

Mondiaux trail 2019 - Patagonie - @Olivier Gui
Adeline Roche lors des Mondiaux de trail 2019 en Patagonie (Argentine) – Crédit photo : Olivier Gui

 

Lepape-info : Justement quel regard portez-vous sur l’évolution de votre sport depuis 10 ans ?

A.R : Quand j’ai commencé le marathon j’avais 25 ans, à l’époque c’était jeune pour une Française on me l’avait fait remarqué en me disant que je montais tôt sur la distance. Maintenant on attend moins, les athlètes osent monter sur marathon parce qu’ils se rendent compte que ce n’est pas non plus la fin de leur carrière. Pour ce qui est du trail, maintenant c’est une discipline qui fait parler d’elle alors qu’avant c’était beaucoup moins médiatisé, il n’y avait pas toutes ces teams, toute cette mise en avant. Après j’ai peur que tout ce côté médiatique, l’implantation des sponsors  enlèvent les valeurs de ce sport, ce côte pur que l’on aime. Il y a le championnat du monde comme j’ai pu le faire et puis maintenant certaines marques rentrent dans le jeu en créant leur propre championnat du monde entre guillemets. Je trouve cela dommage parce que du coup les athlètes se retrouvent dispersés sur différents circuits, le niveau du championnats du monde peut baisser. J’aime aussi la course en montagne, cette discipline existe depuis des années même bien avant le trail et on en parle pas parce qu’il n’y a pas ce côté médiatique. La course en montagne mériterait d’être connue quand on connait la difficulté que cela représente. Pour en avoir fait l’expérience, on a beau avoir une vitesse il faut spécifiquement travailler la technique. Il y a du travail à faire pour la mise en avant de cette discipline mais cela va venir petit à petit.

 

Adeline Roche : « Ce qui me fait un peu mal au cœur c’est cette course aux chaussures en athlétisme. Autant avant on cherchait à améliorer les performances, maintenant on entend parler que des chaussures. Je peux comprendre, il faut que les marques arrivent à trouver des nouveautés, à faire parler d’elles mais bon du coup quand les athlètes élites courent maintenant on demande d’abord quelles chaussures ils ou elles utilisent. »

 

Lepape-info : L’engouement du grand public pour le trail est grandissant

A.R : Oui complètement, à la longue cette notion de chrono est compliquée lorsque vous avez presque tout le temps les yeux fixés sur la montre notamment sur marathon alors qu’en trail il y’a le côté nature, une liberté, un cadre qui vous permet de vous recentrer sur vous-même. Je pense que les gens ont besoin de cela dans la société actuelle. Après je trouve cela dommage que les gens par exemple passent directement sur l’UTMB parce que cette course est très médiatisée alors qu’il y a plein d’autres courses à découvrir, il n’y a pas cette notion de progression avant de passer directement sur une si grande course difficile.

 

Lepape-info : Le trail vit depuis quelques temps une montée de la popularité qu’a connu le marathon il y a de nombreuses années ?  

A.R : On parle du marathon parce que c’est la distance mythique, toutes les grandes villes ont leur marathon. La plupart des gens qui font de la course sur route se disent : « Un jour, je ferai un marathon ». En trail avant la pandémie on retrouvait des courses avec beaucoup de participants pas 40 000 ou 50 000 comme sur certains grands marathons mais en nombre limité pour protéger la nature et heureusement. J’aime la nature et pratiquer mon sport dans ce cadre mais en restant en adéquation avec la nature.

 

Lepape-info : Comment voyez-vous évoluer votre sport ? 

A.R : Ce qui me fait un peu mal au cœur c’est cette course aux chaussures en athlétisme. Autant avant on cherchait à améliorer les performances, maintenant on entend parler que des chaussures. Je peux comprendre, il faut que les marques arrivent à trouver des nouveautés, à faire parler d’elles mais bon du coup quand les athlètes élites courent maintenant on demande d’abord quelles chaussures ils ou elles utilisent. Le dopage aussi me désole je n’ai pas l’impression que cela ait beaucoup évolué, on en parle depuis des années, on met plus de moyens pour faire des contrôles mais est-ce que l’on met plus de moyens pour arrêter les tricheurs ou tricheuses ? Je ne sais pas. En ce qui concerne le trail j’espère qu’il y aura dans le futur plus de moyens, que cette discipline va être plus mise en avant.

 

Lepape-info : Quel est votre moteur au quotidien ?  

A.R : Vivre au jour le jour, essayer de profiter de chaque instant, la vie passe très vite. Cela fait 27 ans que je cours, c’est une passion, j’ai besoin de sport en général. Tant que mon corps me le permettra je continuerai, tant que je peux le faire à haut niveau ce n’est que du bonheur et j’en profite. Et puis ensuite après ma carrière si je peux profiter de la nature à niveau plus modeste et autrement je continuerai de le faire. Ensuite je veux aussi jouer mon rôle de maman au mieux et éduquer mon enfant avec de bonnes valeurs, lui faire connaître des choses simples mais les bonnes.

3 réactions à cet article

  1. Adeline est un athlète accomplie maman , sportive , naturelle et simple . J adores cet entretien riche … merci Adeline

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  2. Très bel article, merci. Adeline ROCHE-MARTIN est une immense athlète : j’admire depuis fort longtemps son talent , sa capacité de travail , sa ligne de conduite et son intégrité.

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  3. Très bel article, très grande championne , être humain rare de nos jours.
    As a whole, « couldn’t be better !
    Sasuga my friend !

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