Naître en altitude donne-t-il un réel avantage en cyclisme sur route ?

Nous avions dans les précédents articles, évoqué l’impact sur l’organisme d’un stage ou d’une compétition en altitude et vu comment se préparer à un tel évènement, en fonction du temps que nous avions à disposition, afin de permettre une acclimatation et performer au mieux.
Aujourd’hui nous allons un peu plus loin, comprendre si le fait pour les coureurs de haut niveau, d’avoir vécu toute leur vie à de hautes altitudes, comme on l’entend chez la plupart des coureurs d’Amérique du sud, à un impact réel sur les performances d’endurance en altitude.

vélo montagne

On remarque fréquemment sur le Tour d’Italie ou le Tour de France, que des bouleversements de course se passent lorsque les arrivées ou les passages se font à plus de 2000 m.

Une altitude qui a un réel impact sur nos capacités cardiorespiratoires notamment.

Sur le Tour de France qui vent de commencer deux étapes vont aller bien au-delà de cette hauteur :

 

  • La 11ème étape passera par le col du Galibier qui culmine à 2642 m et le col du Granon qui atteint les 2413 m.
  • La 12ème étape reprendra le Galibier et passera par le Col de la Croix de Fer (2069 m).

 

Comment les organismes vont réagir à ces altitudes ?

Normalement la baisse de pression atmosphérique va réduire les capacités de notre organisme à utiliser le dioxygène présent dans l’air et de fait, réduire la quantité de ce même composé dans l’organisme, ce qui limitera la transformation des nutriments en ATP et in fine la performance réalisée.

Mais la vraie question qui nous intéresse aujourd’hui est de savoir si ces baisses de performances sont les mêmes chez les coureurs qui sont nés et ont vécu toute leur vie en haute altitude (> 2000m) comparativement à ceux qui ont plutôt vécu en vallée voire au niveau de la mer.

 

Naitre en altitude est un avantage ?

Je n’ai aucune preuve scientifique mais force est de constater qu’en marathon par exemple, un grand nombre de coureurs viennent des plateaux kenyans et s’entraînent à Iten à 2400 m d’altitude.

Certains me diront (comme je le pense aussi un peu) que pour les coureurs de ces pays où la misère règne, la pratique sportive et les salaires inhérents sont un réel échappatoire à des conditions de vies parfois difficiles pour eux et leurs familles.

Mais si vous voulez vous forger une opinion foncez lire de livre de David Epstein « Le Gène du sport » il tente d’apporter une réponse à ce questionnement. La faim justifierait les moyens pourrait-on dire (ne voyez pas que les dérives ! Je vous vois venir).

En cyclisme on constate un phénomène grandissant avec des coureurs d’Amérique centrale et du sud qui performent sur des Grands Tours et d’autant plus quand les étapes se déroulent à plus de 2000 m mais est-ce réellement un avantage de naitre et vivre à plus de 2000 m d’altitude ?

 

  • Natif des hautes altitudes

La première question que l’on peut se poser est de savoir si l’impact de l’altitude sur les capacités physiologiques est le même pour les personnes nées et vivant en altitude et celles en plaine ?

Une étude de 2015, menée par des chercheurs sur une population Quechua au Pérou, a montré que le fait de se reproduire à de très hautes altitudes et ce depuis de nombreuses générations, leur permettait de maintenir des saturations en dioxygène (O2) du sang artériel beaucoup plus élevées, durant des exercices à basse intensité réalisés en hypoxie comparativement à d’autres peuples Quechua vivant en bord de mer.

Ils démontrèrent également des VO2max supérieure en hypoxie pour les natifs des hautes altitudes, prouvant la capacité des muscles à recevoir et utiliser d’avantage d’O2. Néanmoins ces VO2max étaient semblables lors des tests réalisés au niveau de la mer.

En résumé, ils souffrent beaucoup moins de l’altitude que les personnes nées et vivant au niveau de la mer et cela s’exprime lors de la réalisation d’un effort en altitude. Vous me direz que les facteurs génétiques sont principalement la cause de ces résultats mais il semblerait que des facteurs environnementaux agissent également.

En effet, les peuples vivant en plus haute altitude sont souvent des population rurales, qui ont une activité physique plus importante, ne serait-ce que par le mode de vie qu’ils ont.

 

VELO 2

Maintenant que nous avons compris ce qu’il se passe pour des personnes sédentaires, qu’en est-il si les habitants du bord de mer s’acclimatent à l’altitude ?

 

  • Des avantages dans la limitation de la baisse des performances ?

Ne rêvons pas, une acclimatation totale ne se fait pas grâce à la simple participation à des stages en altitude, aussi nombreux soient-ils. Pour ce faire, il faut y vivre au quotidien et visiblement, il faudrait une exposition durant une génération complète pour obtenir l’effet escompté.

Si vous voulez avoir le prochain marathonien, foncez vivre à Iten, sur l’altiplano bolivien ou dans l’Himalaya et attendez un peu avant de penser à procréer…

En effet, une étude menée par des chercheurs du Danemark, s’est intéressée à l’impact de l’acclimatation à l’altitude sur les échanges gazeux pulmonaires lors d’un effort maximal.

 

Deux groupes de personnes ont participé à cette étude, d’un côté des Danois vivant en basse altitude, étudiants en STAPS et des Boliviens, du peuple Aymara, natifs des hautes altitudes (résidant entre 3700 et 4100m) et pratiquants des sports de combats et du football.

Les sportifs danois furent soumis à un travail en hypoxie au Danemark, grâce à 6 exercices incrémentaux réalisés sur ergocyle en condition normale de pratique ou en hypoxique normobarique.

Après ce travail et malgré plusieurs semaines passées à La Paz en Bolivie à 3700 m et à Alto à 4100 m, pour peaufiner leur acclimatation, les résultats montrèrent des échanges gazeux pulmonaires pour les danois inférieurs à ceux des boliviens durant des exercices maximaux en hypoxie.

Avantage natif des hautes altitudes sur ce coup-là malgré tout le protocole mis en place. Allons voir maintenant du côté de sportifs professionnels.

 

Des chercheurs Espagnols ont réalisé un travail sur l’impact du lieu de naissance sur la performance de cyclistes professionnels.

Leur question de départ, au regard des précisions précédentes, fut de savoir si des cyclistes nés et vivants en haute altitude voient leur performance d’endurance améliorée en altitude, ou si leur performance était moins détériorée que celle des coureurs nés et vivants en bord de mer. Détaillons leur protocole de recherche.

 

 

Méthode d’investigation

Les chercheurs de cette étude ont analysé les fichiers de puissance d’entraînement et de compétition, de coureurs professionnels, de 3 équipes différentes, entre 2013 et 2020. 34 athlètes prirent part à cette étude, soit un total d’environ 829 fichiers analysés par athlète.

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Oui oui, je n’ai pas fait d’erreur, reste plus qu’à multiplier les 829 par 34… J’espère qu’il n’y a pas qu’une seule personne qui a fait l’analyse des datas.

Ils ont séparé la population de coureurs en deux groupes, d’un côté le groupe altitude, composé de 14 coureurs d’Amérique centrale, soit 13 Colombiens vivants en moyenne à 2500 m d’altitude et un équatorien résidant à 3800 m. Le groupe « plaine », fut composé de 18 coureurs venant d’Espagne ou d’Italie et un Américain des États Unis.

Ils ont ensuite conservé tous les fichiers des coureurs ayant réalisé des efforts au-delà de 2000 m d’altitude et ceux des coureurs ayant brillé sur des Grands Tours empruntant des cols à haute altitude (Passo Stelvio, Col de L’Iseran, Galibier, Gavia).

La VO2max de chaque sujet n’a pas pu être mesurée durant leurs travaux mais ils se sont basés sur la puissance maximale enregistrée sur 5 min d’effort, dans les fichiers analysés et ont estimé par calcul la VO2max associée, en utilisant la formule proposée par Sitko et ses collaborateurs, dont voici la méthode de calcul :

 

VO2max = 16,6 + (8,87 × Pmax 5min/poids)

 

Un profil de puissance record fut ensuite établi grâce à l’enregistrement des données en course et à l’entrainement, les cyclistes utilisant deux types de capteurs de puissance.

Le Shimano Durace FCRC9100-P et le Power2max, tous deux à une fréquence d’enregistrement de 1 Hz, soit une information par seconde. Les capteurs de chaque coureur sont retournés en usine chaque année pour avoir un étalonnage complet et une calibration avant chaque sortie fut réalisée.

Je veux bien croire ces chercheurs concernant le protocole et son respect par les coureurs, mais entraînant pas mal de coureurs depuis des années, il y a de fortes chances qu’il y ait eu des loupés… passons.

Ce qui nous amènes aux valeurs aberrantes parfois enregistrées par nos outils, que l’on nomme aussi artéfacts de puissance, que les chercheurs ont retiré des données afin d’avoir des profils de puissance record cohérents. Malgré tout si un fichier présentait trop d’artéfacts, le fichier en question était exclu de l’étude.

Suite à ce travail, un profil de puissance record rapporté au poids de corps fut établi, avec les plus hautes puissances atteintes pour des efforts de 5s, 30s, 5 min, 10 min à des altitudes comprises entre 0 et 500m, 501 et 1000m, 1001m et 1500 m, 1501m et 2000m et > 2000m.

 

 

Alors ça donne quoi les résultats ?

Premier résultat, lors du calcul de VO2max pour des efforts réalisés en dessous de 500 m d’altitude les deux groupes avaient des valeurs quasi semblables avec 79,4 ± 3,5 (groupe plaine) et l’autre avec 78,2 ± 4,0 mL·kg−1·min−1 (groupe altitude).

Aucune différence statistique mais lorsque l’on compare ces données pour des altitudes au-delà de 2000 m, on observe un effet de l’altitude sur les capacités. Les VO2max diminuent pour les deux groupes bien entendu, mais de 17,5 ± 3,5 % pour les athlètes de basse altitude et seulement 10,4 ± 5,1 % pour l’autre.

 

Maintenant jetons un œil sur la figure 2, qui montre l’évolution du profil de puissance record en fonction des altitudes.

image 5

De manière générale, les performances montrent une tendance à la diminution au fil de la montée en altitude et ceux pour les deux groupes.

En outre, les chercheurs espagnols précisèrent que ces tendances de baisses ne ressortent pas statistiquement pour les coureurs d’Amérique centrale, en d’autres termes rien de différent sur le profil de puissance record que l’on soit sur un effort de 30 s ou de 10 min.

Force est de constater que les habitants de plaine eux sont réellement impactés (# signifie une valeur obtenue différent de celle réalisée entre 0 et 500 m) par cette montée en altitude.

Par exemple au-dessus de 2000 m leurs performances sont réduites en moyenne de 25,1 %, quand la diminution est de 18,9 % pour les natifs des hautes terres centre américaines.

De plus, pour les efforts maximaux dits anaérobies (30 s et 1 min), on retrouve une différence statistique entre les deux groupes à partir de 1500 m d’altitude, qui se creuse au-delà de 2000 m et toujours pareil, les cyclistes danois sont impactés dès les efforts réalisés à 500 m.

Serait-ce une des explications de la différence de gestion d’effort entre en Pinot, un Martin ou un Bardet, par rapport à des coureurs comme Bernal ou Carapaz, qui ont l’air dans les cols d’être capable de changer de rythme accélérant et décélérant assez facilement, contrairement à nos français plutôt dans un lissage de leur effort et reprenant les lâchés au fil de la montée.

Pour les efforts aérobies de 5 et 10 min, la seule vraie différence semble se produire à partir de 2000 m d’altitude et rien ne ressort auparavant.

 

 

Tirons des plans sur la comète !

Petite mise en scène, je suis leader d’équipe, né en auvergne à de basses altitudes, et je me retrouve sur l’étape 11 du Tour de France 2022.

Une fois avoir grimpé le Télégraphe et le Galibier, avec un groupe de 20 coureurs parmi lesquels on retrouve d’autres cyclistes, eux nés sur les hauts plateaux d’Amérique centrale. Quelles sont mes chances de victoire en haut du Col du Granon ? Vous avez deux heures !

 

Concrètement il faut espérer que le coureur français ait encore des coéquipiers avec lui et qu’il n’ait pas eu à produire de gros efforts avant cette ascension finale car chaque « cartouche » va compter.

S’il n’a plus d’équipier, il serait plus prudent de rester dans les roues au milieu de ce groupe de 20, serrant les dents et prier pour ne pas qu’il y ait trop de changements de rythme au fil des kilomètres de montée et encore moins aux environs de 2000 m.

Si le coureur est audacieux et qu’il a des équipiers partis en échappée, il peut sur un coup de bluff partir au pied de la difficulté, faire ralentir son équipier et finir l’étape avec lui ou du moins se faire amener au plus près de l’arrivée, en espérant que les cadors derrière ne reviennent pas.

Si maintenant les coureurs équatoriens, colombiens et j’en passe, ont des équipiers et mènent un train d’enfer faisant « sauter » les coureurs par l’arrière. L’écrémage se fait au fur et à mesure, le nombre de coureurs dans le peloton réduit.

S’il se sentent vraiment fort et suffisamment accompagnés, ils peuvent continuer ce manège jusqu’à la ligne d’arrivée mais s’ils sentent que d’autres coureurs ne lâchent pas, il va leur rester un dernier coup tactique.

 

Comme le montre l’étude, il va falloir qu’ils fassent des changements de rythme, enfin s’ils ont encore des coéquipiers avec eux, ils vont être les premiers à tout dynamiter, accélérant suffisamment pour que les autres fassent un effort anaérobie.

Logiquement ces autres coureurs seront davantage en difficulté et lâcheront plus vite. Si le leader n’a plus personne avec lui, il devra prendre ses responsabilités et ce sera à son tour de lancer des attaques suffisamment saisissantes pour littéralement scotcher ses adversaires mais pas trop fortes pour ne pas se faire reprendre quelques centaines de mettre plus loin.

Le dernier scénario je l’aime bien, c’est l’histoire de Pogacar, il ferme la bouche, monte et ne voit plus personne derrière lui… (Né à Klanec, Slovénie, 342 m d’altitude).

J’en arrête là de mes scénarios, rendez-vous sur l’étape 11 du Tour de France, je pense que l’on devrait apprécier le spectacle.

 

 

Que retenir de tout ça ? 

Il semblerait à la lumière de cet article, que les natifs des hautes altitudes, sportif ou non, soient moins impactés par les efforts en altitude, en tout cas jusqu’à 2000 m, par rapport à des personnes nées et ayant vécu beaucoup plus bas, au niveau de la mer par exemple.

Chez les cyclistes professionnels, leurs profils de puissance record, indique la même chose et l’on voit en plus que, dès 500 m d’altitude les habitants des plaines sont impactés par la montée en altitude.

Le recours pour ces personnes à des expositions et des stages en altitude, doit figurer au programme de leur entraînement, ce qui leur permettra de voir leurs performances décliner de manière moins importante en compétition.

En outre, des études ont montré que pour les efforts de 1 à 5 s, donc explosifs, l’impact de l’altitude ne se ressent qu’à partir de 3000 m. Pour les efforts entre 15 s et 1 min la performance se dégrade à 2000 m, pour les efforts compris entre 4 et 10 min dès 1000 m les sportifs montreraient des signes de faiblesse, prouvant que les efforts aérobies sont ceux qui sont les plus sensibles à la montée en altitude.

 

Ceci est totalement logique car la filière aérobie pour fonctionner et assurer la transformation des nutriments en ATP a besoin d’O2 et avec la baisse de la pression partielle en oxygène de l’air en altitude, ce dernier diffuse beaucoup moins bien à travers la membrane alvéolo-capillaire.

Pour les performances anaérobies, l’impact des conditions hypoxiques ne se situe pas sur le versant énergétique mais plutôt au niveau de la commande cérébrale et la transmission du message nerveux, qui va être altéré diminuant les capacités de production de puissance.

Des cyclistes comme Bernal ou Carapaz grâce à leur lieu de naissance et de vie, voient leur mécanisme d’échange gazeux amélioré, ce qui leur permet d’avoir un sang artériel davantage saturé en oxygène et in fine plus d’oxygène arrivant aux muscles actifs.

Mais ce qui est finalement « injuste », c’est que même si des coureurs nés au niveau de la mer font tous les stages en altitude qu’ils souhaitent, ou résident en altitude une grande partie de leur temps, ils n’arriveront jamais à atteindre de telles capacités pulmonaires.

 

Maintenant comme toujours, cela reste de la théorie et sur le vélo, dans le contexte d’un grand Tour, beaucoup d’éléments entrent dans l’équation. Quels équipiers pour un leader, quels efforts fournis les jours précédents, quelle gestion des étapes clés, des chutes sont-elles survenues, les coureurs ont-ils bien dormi et mangés… Tout cela fait qu’aujourd’hui il est difficile de prédire l’avenir cycliste.

 

 

Pour aller plus loin : 

Mateo-March, M., X. Muriel, P. L. Valenzuela, A. Gandia-Soriano, M. Zabala, D. Barranco-Gil, J. G. Pallarés, And A. Lucia. Altitude and Endurance Performance in Altitude Natives versus Lowlanders: Insights from Professional Cy- cling. Med. Sci.  0Sports Exerc., Vol. 54, No. 7, pp. 1218- 1224, 2022.

Gilbert-Kawai ET, Milledge JS, Grocott MPW, Martin DS. King of  the mountains: Tibetan and sherpa physiological adaptations for life  at high altitude. Phys Ther. 2014;29(6):388–402. 

Kiyamu M, León-Velarde F, Rivera-Chira M, Elías G, Brutsaert TD.  Developmental effects determine submaximal arterial oxygen saturation in Peruvian Quechua. High Alt Med Biol. 2015;16(2):138–46. 

McClelland GB, Scott GR. Evolved mechanisms of aerobic perfor- mance and hypoxia resistance in high-altitude natives. Annu Rev Physiol. 2019;81:561–83.

Sitko S, Cirer-Sastre R, Corbi F, López-Laval I. Five-minute power- based test to predict maximal oxygen consumption in road cycling. Int J Sports Physiol Perform. 2022;17(1):9–15.

 

 

Cyril GRANIER

Docteur en sciences du sport

Entraîneur Cyclisme

Bike Fitter, Level 2 IBFI

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Facebook : @CyrilGranierPerformance

Instagram : cyrilgranierperformance

 

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