L’estimation de la puissance, quel crédit accorder à ces calculs ?

Article écrit par Cyril Granier

Durant le Tour de France on entend souvent des spécialistes du cyclisme (journalistes, entraîneurs et j’en passe) parler des puissances auxquelles les cyclistes montent les cols. On en parle d’autant plus aujourd’hui qu’une équipe comme la Jumbo Visma est capable d’avoir 3 à 4 coureurs dans un col pour protéger son leader avec tout ce que cela apporte comme spéculations. Loin de valeurs données au hasard, ces personnes se basent sur des méthodes de calculs permettant de prendre en considération une multitude de facteurs établissant les puissances données en bosse ou tout au long d’un col.

En 2014, Frédéric Grappe directeur de la performance à la Groupama FDJ, Grégoire Millet et Cyrille Tronche publiaient un article sur les méthodes indirectes d’estimation de la puissance développée en montée par des cyclistes. Le Docteur Grappe et son équipe ont mis à l’épreuve leur modélisation de puissance en comparaison aux valeurs de capteurs de puissance, afin de déterminer si une formule de calcul pouvait être finalement aussi précise que ces outils que l’on fixe aux pédales, manivelles ou pédaliers.

 

Comment ces chercheurs ont-ils fait pour calculer la puissance développée par des cyclistes sans outils de mesure ?

Tout commence par la mise en équation du problème. Pas d’inquiétude, la puissance se détermine à partir de 5 données fondamentales que sont la trainée aérodynamique (Ra), la force de gravité (G), les résistances de roulement (Rr) associées aux forces de frictions (Rf) que le cycliste doit vaincre pour permettre l’avancement de son engin ainsi que la vitesse de déplacement Vd. En d’autres termes, les résistances totales à l’avancement s’écrivent de la manière suivante :

                                                                         Rt = Ra + G + Rr + Rf

 

tdf 1

 

La puissance se calculera alors en multipliant les résistances totales à l’avancement (Rt) par la vitesse à laquelle le cycliste se déplace. Mais allons voir maintenant de plus près ce que signifie chacune de ces abréviations.

 

La trainée aérodynamique représente toutes les résistances à l’air que doit vaincre le cycliste pour avancer. Ces résistances seront d’autant plus importantes que le cycliste est grand, à une mauvaise position sur le vélo, ou que les conditions environnementales, notamment la force du vent, seront défavorables.

 

C’est d’ailleurs cette résistance aérodynamique qui à 50 km.h-1 représente 90 % des résistances totales à l’avancement sur un parcours plat. Donc plus il y a de vent, plus le coureur est grand et moins bien il est positionné sur son engin et plus il devra appuyer fort sur les pédales pour avancer à la même vitesse qu’un autre coureur plus « aérodynamique » du même poids

 

Finalement la traînée aérodynamique du cycliste évolue avec le carré de la vitesse de l’air soit :

Ra = ½ ρ S Cx Va2

 

ρ représente la masse volumique de l’air (kg.m-3) qui est dépendante de la pression barométrique (Pb), de la température extérieure  (°C) et de l’humidité de l’air. S (m2) est la surface frontale du cycliste, c’est-à-dire la surface de corps et de vélo qui est exposée perpendiculairement au vent (ou aire frontale projetée).

Le Cx est le coefficient de pénétration dans l’air, c’est-à-dire la forme de l’ensemble homme machine, vis-à-vis de l’écoulement des fluides autour de lui. Plus simplement, on va chercher à avoir le Cx le plus faible, en adoptant une position qui se rapproche le plus possible d’une forme de goutte d’eau ou d’un casque de contre la montre, pour ceux qui voient à quoi cela ressemble. S et Cx donnent ensemble le SCx (m2), autrement nommé surface frontale effective. C’est pour cette raison que pour déterminer une bonne position chez un coureur il faudra à la fois observer son déplacement de côté mais également de fasse. Enfin Va est la vitesse de l’air au moment où l’on roule, elle prend en compte la vitesse du déplacement du cycliste ainsi que la vitesse du vent.

Vous comprenez dès lors que mesurer la puissance sans capteur de puissance passe forcément par de bons outils d’analyse météorologique. De plus, déterminer le SCx du coureur sans faire d’analyse en laboratoire d’étude posturale ou en soufflerie, est plus qu’hasardeux. C’est très souvent sur ces aspects méthodologiques que les personnes calculant les puissances font parfois des erreurs fautes d’informations suffisamment précises.

 

Revenons à notre calcul car nous pouvons d’ores et déjà avoir une partie de l’équation qui va s’écrire de la manière suivante :

 

                                                                      Puissance = Rt x Vd

                                                        P = ((½ ρSCxVa2) + G + Rr + Rf) x Vd

 

La force de gravité quant à elle, augmentera en fonction de la pente. C’est pour cette raison que l’on voit des grimpeurs essayant de réduire au maximum les masses homme-vélo. Un grimpeur et sa monture doivent être léger pour avancer en montée. Cette réflexion prend aussi tout son sens lorsque le cycliste cherche à faire une accélération. Imaginons des grimpeurs se retrouvant en groupe dans un col et ayant tous le même état de forme et de niveau physique. Celui qui accélèrera le plus vite sera celui qui aura le moins de poids à déplacer. Attention je tiens toutefois à modérer mon propos car cette course à l’amaigrissement prend parfois des proportions terribles dans le monde amateur homme et femme car de nombreux athlètes pensent qu’il faut maigrir à tout prix pour être performant en cyclisme, ce qui n’est pas forcément vrai et peut engendrer de graves problèmes de santé.

 

Aparté fait, la gravité va donc s’exprimer de la manière suivante :

                                                                             G = m x g x sin α

 

ou m représente la masse du coureur et de son vélo (kg), g est la constante gravitationnelle (m.s-2) et sin α représentant la pente dans laquelle roule l’athlète. Normalement ici aucune complexité de calcul pour un spécialiste mais il faudra tout de même s’assurer du poids du coureur, du poids de son vélo et de ses équipements et sur ces points, difficiles d’avoir des valeurs sures à moins d’aller peser soit même l’athlète et son matériel avant le départ…

 

Les résistances de roulement (Rr) représentent à elle seules environ 10% des résistances totales à l’avancement lorsque le cycliste se déplace à 47 km.h-1 sur le plat. En revanche, lorsque l’on pédale en montée et que la vitesse est réduite (25 km.h-1), ces mêmes résistances peuvent représenter 30% des résistances totales. De nouveaux, un grimpeur devra donc s’assurer de limiter au maximum ces résistances de roulement en jouant entre autres choses sur la pression de gonflage des pneumatiques, le type de pneumatiques, l’épaisseur de la gomme ou encore la sculpture de la chappe du pneu ainsi que sa section transversale, le diamètre de la roue, la nature du sol, la température extérieure….

Rr se calculera en multipliant le coefficient de roulement (Cr) par la masse du coureur et de son équipement, par la constante gravitationnelle et par le cosinus de l’angle de la pente dans laquelle le cycliste se déplace.

Vous comprendrez aisément là encore que certains éléments vont échapper aux personnes qui souhaitent estimer la puissance des grimpeurs lors d’une épreuve.

 

Les forces de frictions (Rf) correspondent aux frictions associées aux fonctionnement de l’ensemble chaine, plateau, casette, dérailleurs. Les frottements engendrés par ce fonctionnement vont demander au cycliste de produire un certain niveau de puissance. Donc plus le vélo est salle, usé ou mal entretenu plus cette force de friction va augmenter et engendrer une débauche d’énergie.

 

Une fois toutes ces données mises en commun notre équation bien qu’un peu barbare va ressembler à cela :

                               P = ((½ ρSCxVa2) + (m x g x sin α) + (Cr x m x g Cos α) + Rf) x Vd

 

De nombreuses études avec des mises en place protocolaires différentes ont permis d’établir que les résistances de roulement ont une reproductibilité variable de 1 à 10% selon Grappe et des confrères chercheurs. Ce qui signifie, que les méthodes même de détermination des résistances de roulement, vont donner des résultats différents. Je ne vous parle pas dès lors des conséquences d’une estimation faite sans mettre en place ces différents protocoles.

De plus, il est évident que lors d’une montée de col, la façon de pédaler change en fonction de la fatigue, de la déclivité, du vent. Et de fait il est difficile d’établir un modèle d’équation stable quand l’activité elle-même et la production de puissance ne l’est pas.

Sur un Tour de France, nous ne sommes pas à l’intérieur d’un vélodrome ou tous les paramètres peuvent être contrôlables et mesurables. Par exemple, lorsqu’un cycliste passe d’une position buste relevé à une position aérodynamique, le SCx va diminuer d’environ 20% avec un rôle fondamental de la position de la tête qui peut faire fluctuer cette valeur de ± 5%. Passer d’une position de buste relevé à une position en danseuse va cette fois augmenter le SCx de 20% selon Grappe et ses collègues.

 

Ces chercheurs ont donc fait l’hypothèse que les erreurs d’estimation de la puissance développée en bosse seraient largement influencées par les conditions environnementales et que les erreurs seraient moins importantes dans des forts pourcentages de pente, lieu ou les résistances aérodynamique ainsi que la vitesse de déplacement sont réduites.

 

Afin de tester leurs questionnements, le groupe de recherche a fait appel à 16 cyclistes hommes pesant 67,8 ± 6,6 kg avec une PMA de 373 ± 43 W. Ces sujets avaient un volume d’entraînement moyen de 12687 km par an, ce qui correspond à des cyclistes amateurs de niveau régional.

Chacun des athlètes a effectué 15 montées chronométrées d’une longueur de 1,3 à 6, 3 km pour des pentes de l’ordre de 4,4 à 10,7 %. Ces montées furent effectuées seul, en petit ou gros groupe, en position assise, danseuse ou en alternant les deux, à vitesse constante ou irrégulière. Le tout leur permis d’avoir des conditions d’évaluation totalement différentes, pour mettre au crible leur formule de calcul, par rapport aux valeurs de puissance enregistrées par des capteurs SRM, qui équipaient chaque vélo des sujets testés.

Afin de déterminer par calcul les puissances, ils ont procédé de la même façon que ce que le font les journalistes sportifs c’est-à-dire en prenant les informations météo (force et direction du vent, température, pression atmosphérique, hygrométrie), les informations sur le parcours comme les distances, les altitudes, les durées des ascensions, la position du cycliste et la stratégie d’allure utilisée, le rendement de la route, la taille et le poids des coureurs et de leurs machines…. Ainsi ces chercheurs ont pu déterminer une puissance aussi proche que possible de la réalité.

 

 

Que nous disent leurs résultats ?

Ils trouvèrent malgré tous ces paramètres pouvant influencer les résultats, une puissance calculée de 271,1 ± 44,2 W, pour une puissance mesurée par SRM de 273.8 ± 45,5 W…. Seulement 2,7 W d’écart en moyenne, soit une très bonne corrélation entre mesure avec capteurs et détermination de la puissance de manière indirecte. Toutefois, les puissances en bosses se distribuèrent entre 200 et 400 W, ce qui n’est pas tout à fait représentatif des puissances développées par les professionnels lors du Tour de France, puissances qui sont plus homogènes et proches des 300 à 400 W. Ces chercheurs ont alors seulement conservé les puissances au-delà de 300 W et se sont rendu compte que le niveau de corrélation était inférieur, ce qui suppose que reproduire cette méthode de calcul sur un groupe de coureur pro mènera forcément à moins de précision.

 

De manière générale, ils trouvèrent que la méthode de calcul sous estimait de 0,95% la valeur de puissance donnée par les SRM et que lorsque la force du vent était nulle, l’erreur était seulement de 0,24%, soit des valeurs de puissance semblables entre SRM et calcul, au regard de la reproductibilité de la mesure du SRM.

Ils n’ont par ailleurs pas observé les hypothèses formulées ensuite, d’une réduction de l’écart de puissance entre la méthode de calcul et les SRM, dans des pentes à faible ou fort pourcentage, ainsi qu’aucune différence entre le fait de rouler seul ou en groupe, en position assise ou danseuse. C’est seulement dans des conditions de fort vent (> 5 m.s-1) qu’ils ont observé les limites de leur formule avec des erreurs de l’ordre de 4,4 %. Cela signifie que les conditions de vent vont clairement impacter les résistances aérodynamiques à l’avancement et qu’il s’agit du facteur le moins précis dans le calcul de puissance, qui risque de fausser la détermination de puissance.

Un dernier élément entre en considération, il s’agit du poids de l’ensemble coureur-vélo que les scientifiques ont pu très précisément évaluer, ce que les personnes qui regardent simplement le Tour de puis chez eux, ne connaissent pas précisément. C’est aussi ce qui a contribué à obtenir de si faible écart pour le groupe de Frédéric Grappe dans la comparaison de la puissance calculée vis-à-vis de la puissance mesurée par les SRM.

 

TDF 2

 

Pour approfondir cela, un coureur qui en début d’étape affiche un poids de 62 Kg fera peut-être seulement 59 kg en fin d’étape, au moment de l’ascension du dernier col, à cause de la déshydratation inhérente à une pratique d’une telle longueur et intensité, de plus connait-on le poids exact de sa machine ?

Quid des bidons et de leur remplissage qui vont également impacter le poids ?

 

Au final une estimation de puissance quand on ne connait pas tous les facteurs mesurés peut atteindre 6% (soit environ 25 W) d’erreur sans vent et peut aller jusqu’à 10% d’erreur dans des conditions de fort vent. 25 W de différence entre la valeur réelle et la valeur estimée peut avoir un gros impact sur l’analyse qui peut être faite de la performance d’un athlète, d’autant plus si on la compare à celle d’athlètes du passé.

 

C’est ce qui est pourtant fait chaque année, afin de déterminer si les performances des cyclistes dans les cols sont « naturelles » ou « non naturelles ». Il conviendra d’avancer avec prudence sur les calculs et les interprétations qui sont faites, au risque de se tromper totalement, d’autant plus que tout cela est diligenté par la tactique mise en place par l’équipe, par le niveau des coéquipiers, leur travail effectué lors de la montée, les niveaux d’hydratation et de restauration des réserves énergétiques des coureurs pour ne citer que ces paramètres. Néanmoins des données ont le mérite chaque année d’alimenter le débat autour du Tour de France.

 

 

Pour aller plus loin :

Accuracy of Indirect Estimation of Power Output From Uphill Performance in Cycling Grégoire P. Millet, Cyrille Tronche, and Frédéric Grappe. International Journal of Sports Physiology and Performance, 2014, 9, 777-782 http://dx.doi.org/10.1123/IJSPP.2013-0320

 

 

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