cyclisme

Dis-moi quel cycliste tu es, je te dirais quelles fibres tu possèdes

Se questionner sur la typologie musculaire, revient à répondre à la question de la composition du muscle en un certain type de fibres musculaires.

En effet, les muscles du corps humain possèdent 2 grandes familles de fibres musculaires :

 

– les fibres de type 1 (Slow twiches) très résistantes à la fatigue ou fibres dites d’endurance,

les fibres de type 2 (Fast twiches) dîtes de vitesse, très fatigables.

 

Le premier type de fibre utilise prioritairement le métabolisme aérobie, c’est-à-dire vos réserves de glucides et lipides, qui vont être transformées en ATP grâce à l’utilisation de l’oxygène, afin de permettre la contraction musculaire.

 

Le second type de fibres utilise prioritairement le métabolisme anaérobie, c’est-à-dire les réserves glucidiques via la glycolyse anaérobie, ainsi que les réserves de phosphocréatine de l’organisme. Ces fibres de type 2, peuvent se séparer en deux sous entités, fibres 2a et fibres 2b.

Les fibres 2a sont ce que l’on nomme des fibres à profil intermédiaire, capables d’utiliser dans des proportions assez proches le métabolisme aérobie et le métabolisme anaérobie.

Les fibres 2b, sont très orientées pour les efforts explosifs et donc vont prioritairement utiliser les réserves de phosphocréatine de l’organisme qui sont en faible quantité dans le corps (de quoi faire un effort de 5 à 8 s environ) mais qui sont mobilisables très rapidement.

 

Habituellement, les études scientifiques privilégient la méthode de la biopsie musculaire afin de déterminer le type de fibres qui composent le muscle étudié.

La biopsie musculaire consiste à prélever une carotte d’un muscle ciblé et de comparer les quantités de fibres et leur type au microscope afin de déterminer une typologie spécifique. Malheureusement les sportifs de haut niveau n’acceptent que rarement de se plier à ce genre de procédure, qui va laisser un traumatisme musculaire durant un certain temps et donc un arrêt de leur pratique. C’est donc pour cette raison qu’il n’y a quasiment aucune étude sur des sujets olympiens ou professionnels dans des recherches ayant recours à la biopsie musculaire.

De ce fait, des chercheurs ont créer une manière non-invasive (en ne pénétrant pas dans le corps) de déterminer avec une grande fiabilité la composition en fibre musculaire d’un muscle.  Cette méthode se nomme la « proton magnetic resonance spectroscopy » ou en français la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire du proton.

Mes connaissances en analyse de ce type étant limitées, je ne me hasarderais pas à tenter une veine explication. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’équipe de chercheur Belgo-Australienne a placé les cyclistes dans un IRM et a calculé la quantité de carnosine qui était présente dans les fibres musculaires des soleus et gastrocnémiens (muscles des mollets) des athlètes évalués.

 

La carnosine est un dipeptide (une protéine) formé de deux acides aminés, la bêta alanine et l’histidine. On la retrouve dans le corps et plus particulièrement au sein du cerveau et des muscles. Elle joue au niveau musculaire un rôle tampon, c’est-à-dire qu’elle va diminuer l’acidité, afin de maintenir un pH stable dans la cellule musculaire.

Au cours de l’effort, la contraction des fibres musculaires et la transformation du glycogène en ATP via la glycolyse anaérobie, provoque une accumulation d’ions H+ et une baisse de pH. La carnosine va alors réduire voire éliminer cette acidité en neutralisant les ions H+ afin que la cellule musculaire puisse fonctionner dans des conditions adéquates. Il se trouve que cet ensemble de réactions chimiques se produit dans les fibres de type 2.

Les chercheurs de cette étude, souhaitant découvrir la typologie musculaire de cyclistes de différentes disciplines, ont donc calculé grâce à un IRM, la quantité de carnosine présente dans les tissus musculaires de ces sportifs et sportives, ce qui leur permis de déterminer la composition musculaire en fibres de type 1 et de fibres de type 2.

 

 

Quel sujets et quelles disciplines ?

Pour ce faire, 80 cyclistes professionnel(le)s (57 hommes et 23 femmes) de six nationalités différentes ont pris part volontairement à cette étude.

Ainsi le groupe se composa de 4 spécialistes du BMX, 33 spécialistes de la piste, 8 spécialistes du cyclo-cross, 18 coureurs world tour et 6 coureurs de continentale pro sur route et 11 vététistes de cross-country, tous participant à des compétitions internationales.

Parmi eux, on compte, 4 médaillés olympiques, 24 médaillés mondiaux et 26 des 80 athlètes faisaient partie au moment de l’études des 10 meilleurs mondiaux de leur discipline. C’est dire la qualité des coureurs représentés dans cette population.

Parmi les cyclistes sur route, une nouvelle classification fut établie en considérant les coureurs comme spécialistes de compétitions d’un jour, de contre la montre ou de grands tours. De plus, ils furent également classifiés comme rouleur, baroudeurs ou grimpeurs. Pour la piste les cyclistes furent répartis en spécialistes des épreuves de vitesse et d’endurance.

 

Quels résultats trouvèrent-ils ?

Que les spécialistes du Bmx race furent les sportif(ve)s avec une typologie musculaire constituée majoritairement de fibres de type 2, comparativement aux autres disciplines. Jusqu’ici rien d’étonnant au regard de l’activité, qui consiste à fournir un effort de très haute intensité sur une durée de 30 à 45 s, avec un départ ou des puissances supérieures à 1800 W peuvent être atteintes.

N’oublions pas non plus que compte tenu de leur braquet en compétition, les spécialistes de BMX sont amenés à pédaler à de très hautes cadences au cours de leur effort et il est établi que la cadence optimale est liée à la composition en fibres rapides notamment au niveau du vastus lateralis (muscle de la cuisse).

De manière générale, les spécialistes de la piste possédaient une quantité de fibres de type 2 plus importante que les routiers et les spécialistes du VTT. Rien d’étonnant non plus à la lumière de cette information, puisqu’encore une fois les épreuves pistes sont en général d’une durée inférieure ou d’une intensité plus importante, selon la spécialité, que les épreuves de cyclo-cross, route ou vtt.

 

Dans cette étude, la séparation des pistards en spécialistes de vitesse et d’endurance a montré que les athlètes des épreuves de vitesse avaient davantage de fibres de type 2 que ceux évoluant dans les épreuves d’endurance.

Même constat que pour le BMX, la piste se dispute sur un vélo avec pignon fixe et des braquets importants. La notion de départ arrêté est aussi importante puisque pour lancer leur effort les pistards de vitesse devront vaincre une énorme inertie liée au poids de leur machine, de leur propre masse corporelle et le tout dépendamment du braquet qu’ils choisissent. Généralement ces épreuves de vitesses vont comme pour le BMX atteindre de très hauts niveaux de puissances (> 2000 W) et de cadence (≈ 150 rpm).

Pas étonnant de voir qu’à l’heure actuelle un des viviers de l’équipe de France de cyclisme sur piste en vitesse est issu de l’équipe de France… de BMX. Néanmoins, je minorerais mes propos car des cyclistes comme Sébastien Vigier et d’autres jeunes coureurs sont issus de cette filière piste et affichent un avenir très prometteur.

 

Les coureurs d’endurance quant à eux, semblent avoir un profil dit mixte c’est-à-dire avec une typologie musculaire composée de fibres de types 2 et 1 sans différence clairement marquée.

Une différence notoire est tout de même apparue entre les profils sur piste. Les chercheurs se sont aperçus que malgré leur déclinaison en spécialistes de vitesse : sprint, keirin, 500 m à 1 km les typologies musculaires étaient semblables et de ce fait un spécialiste du sprint pouvait très bien être performant dans les autres épreuves de vitesse.

D’ailleurs en 2018 l’équipe du professeur Van Der Zwaard avait déterminé qu’en vélo de piste, 65% de la performance était associée au volume musculaire ainsi qu’au pourcentage important de fibres rapides pour les épreuves de sprints.

Cette assertion ne trouve pas écho en piste endurance et laisse entrevoir la possibilité que la tactique associée à d’autres facteurs tels que la PMA, le VO2max ou l’efficacité de pédalage… pourraient être prenants dans la performance globale.

 

En vélo de route une grande variété de profil est apparue mais il semblerait que certaines particularités se dégagent.

Les cyclistes spécialistes des grands tours ou des épreuves de montagnes seraient ceux qui auraient le plus gros pourcentage de fibres de type 1.

L’enchainement des journées de course engendre une fatigue musculaire importante et de fait la nécessité de récupérer rapidement des efforts consentis. Les fibres de type 1 étant plus résistantes à la fatigue et les athlètes spécialistes de grands tours ou de montagnes étant pourvus davantage de ce type de fibres, il est dès lors évident qu’ils récupéreront plus vite que les autres coureurs.

De plus, il a été démontré par le passé que les cyclistes spécialistes de la montagne ont tendance à avoir des cadences de pédalage aux environs de 90 révolutions par minute, très couteuses en termes de consommation d’oxygène mais qui minimise la production de force à chaque coup de pédale et de fait réduisent le recrutement des fibres de type 2.

Par contre si une épreuve se termine au sprint ou se déroule sur terrain plat les cyclistes routiers devront avoir davantage de fibres de type 2. C’est d’ailleurs ce qu’a montré l’échantillons de compétiteurs et compétitrices rouleurs, baroudeurs et sprinteurs. Pour les sprinteurs, l’objectifs d’une course « plate » est de dépenser le moins d’énergie durant l’épreuve pour pouvoir sprinter au maximum de ses capacités dans le final. Il leur faudra in fine un recrutement important de fibre de type 2 comparativement aux autres types de cyclistes routiers.

 

Les deux dernières épreuves restent le cyclo-cross et le vtt cross-country. Il semblerait qu’il n’y ait pas ou peu de différences entre les spécialistes de ces deux disciplines.

Nous pourrions penser qu’étant donné qu’une course de cyclo-cross est plus courte en durée (environ 20 à 30 minutes de moins) et que la répétition des efforts semble être plus importante, ils possèderaient davantage de fibres de types 2 malgré un profil très aérobie (composé majoritairement de fibres de type 1, lentes).

Il semblerait que ce ne soit pas le cas et que les deux profils soient les mêmes. Dans mes travaux de recherches de doctorat, nous avions d’ailleurs mis à jour que les efforts en courses des meilleurs vététistes français représentaient en moyenne un effort de 10 s supérieurs à 140 % PMA toutes les 40s de course…

Je vous laisse imaginer le nombre de changements de rythme que cela représente. Il n’est donc pas étonnant de voir des transferts possibles d’une discipline à l’autre, à l’image d’un Mathieu Van Der Poel qui passe régulièrement du cyclo-cross, au VTT et à la route…

Pour les coureurs français, on ne voit pas trop ce type de changement de pratique, tout semble cloisonné malgré les incursions d’un coureur comme Victor Koretzky sur certaines épreuves du calendrier national mais aucun des leaders français du vtt mondial actuel n’a tenté les épreuves de coupe du monde de cyclo-cross.

Pourrait-il y briller ? J’en demeure persuadé mais la vraie question est de savoir si l’enchainement hiver/été est faisable dans la durée d’une carrière. Sur ce point je n’en suis clairement pas convaincu et si aucune usure physique n’apparaissait, il serait fort à parier qu’une usure « mentale » pointerait au fil du temps.

Pour en revenir au transfert cyclo-cross, vtt, d’autres coureurs avant le néerlandais s’y sont essayé et se sont « cassé le nez » et ce n’est pas une métaphore. Je me souviens encore de Sven Nys blessé lors du Test Event de Londres qui avait chuté lourdement dans un des passages techniques. La pratique du vtt n’est pas que physique et maîtriser la technique est fondamental dans cette discipline, donc chapeau à Mathieu Van Der Poel qui est capable d’y briller.

 

Un dernier élément que nous apporte cette étude est la similitude des profils musculaires entre les vététistes spécialistes de cross-country olympique et les cyclistes routiers grimpeurs ou baroudeurs.

Des transferts de ce type sont possibles et des noms tels que Jacob Fulsang, Peter Sagan, Egan Bernal, Jean Christophe Peraud, Alexis Vuillermoz et d’autres que j’oublie certainement en sont un vrai exemple. Ah oui ! et Mathieu Van Der Poel… Il faudrait qu’il essaie le vélo de piste pour voir.

 

 

On marche sur la tête !

Cette étude conclue sur le fait que les coureurs pourraient grâce à cette méthode d’identification de carnosine via IRM et en plus des évaluations anthropométriques, des tests physiques et techniques, être détectés tôt dans leur processus d’apprentissage et orientés vers une discipline en particulier.

Excusez, je tousse un petit peu là. Ce genre de conclusion me laisse sceptique et je la trouve dangereuse d’un point de vue éthique. Dans un passé pas si lointain que cela, on appelait cela de l’eugénisme. Raisonner uniquement en termes de physiologie ou de technologie est selon moi quelque chose de dangereux, qui peut amener à ce genre de conclusion hâtive.

De plus, qui peut dicter à un jeune en devenir, la discipline dans laquelle il devra performer plus tard. En tant qu’ancien cadre d’état de la FFC, je me suis souvent trouvé dans le cas d’évaluations de coureurs qui pratiquaient une discipline qui clairement n’était pas celle où ils exploiteraient leur potentiel au maximum mais notre rôle d’éducateur, d’éducatrice, d’entraîneur(e), de sélectionneur(se) est de les guider vers ce qui leur permettra de s’épanouir et pas autre chose.

 

 

Pour aller plus loin : Lievens E, Bellinger P, Van Vossel K, Vancompernolle J, Bex T, Minahan C, Derave W. Muscle Typology of World-Class Cyclists across Various Disciplines and Events. Med Sci Sports Exerc. 2021 Apr 1;53(4):816-824. doi: 10.1249/MSS.0000000000002518. PMID: 33105386.

 

 

Cyril GRANIER

Docteur en sciences du sport

Entraîneur Cyclisme, Trail, Triathlon

Bike Fitter, Level 2 IBFI

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