La première description de douleur chronique pubienne chez un sportif a été faite en 1932 par Spinelli. Il décrivait alors la pubalgie de l’escrimeur. Par la suite, plusieurs descriptions ont été faites notamment en fonction des possibles origines de ces douleurs chroniques du pelvis et des adducteurs.
D’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, le monde médical ne s’accorde pas totalement, sur ce sujet :
- Les médecins européens y voient surtout une cause articulaire (souffrance de l’articulation entre les deux os iliaques : la symphyse pubienne) et/ou une cause musculaire centrée sur les muscles adducteurs (muscles internes de la racine des cuisses) ce que l’on nomme aussi la maladie des adducteurs
- Les médecins américains y voient surtout une cause pariétale abdominale (la paroi musculaire du bas ventre) et/ou une cause herniaire c’est-à-dire une maladie du canal inguinal (petite hernie abdominale).
On voit que le tableau est complexe et pour s’entendre, il faut parler du syndrome algiqueabdomino-pubo-crural. On peut parler aussi de syndrome pubalgique. Le mot pubalgie est certes facile pour communiquer, dans le milieu du sport, mais reste trop vague.
Il s’agit donc d’un syndrome. Je m’explique : en médecine, on tente de regrouper les symptômes (les différents éléments médicalement anormaux) en syndrome puis à déterminer la maladie.
Ici, nous sommes face à un ensemble de plaintes (plusieurs symptômes : douleur du bas ventre, des adducteurs, à droite ou à gauche, ou des deux côtés, …) regrouper en un syndrome (syndrome algiqueabdomino-pubo-crural) mais sans une réelle et unique maladie, bien définie.
Comme il n’existe pas une maladie, il n’existe pas un traitement.
Il s’agit d’une pathologie de surmenage c’est-à-dire liée à l’addition de micro traumatismes répétés.
Un rappel anatomique s’impose pour comprendre la biomécanique de la région :
- Il y a, en premier lieu, l’articulation antérieure entre les deux os iliaques ; il s’agit de l’articulation symphysaire pubienne (qui est une amphyarthrose), véritable union entre les hémicorps droit et gauche.
- Autour, il existe un ensemble musculaire(les abdominaux) : rectus abdominis (grand droit), obliquus externus et internus abdominis (grand et petit oblique).
- On trouvele canal inguinal qui est un espace entre les piliers internes et externes du grand oblique (sorte de « voie ouverte » entre ces deux chefs musculaires).
- Enfin, les fameux muscles adducteurs des cuisses en sachant qu’il existeune continuité entre les muscles obliques (abdominaux) et les adducteurs, que l’on appelle l’amas tendineux prépubien.
On voit donc qu’il s’agit d’un véritable carrefour complexe où s’entrecroisent le haut (région abdomino- pelvienne) et le bas (racine des cuisses), la droite et la gauche (les hémicorps droit et gauche).
Cette complexité anatomique permet d’émettre de nombreuses hypothèses biomécaniques pour expliquer le syndrome (pathogénie).
Certains pensent que ce syndrome a pour origine un déséquilibre musculaire entre le haut et le bas c’est-à-dire une faiblesse des muscles abdominaux face à une puissance des muscles adducteurs (cuisse). D’autres pensent qu’il s’agit d’un déséquilibre entre les deux hémicorps, droit et gauche, entrainé par certains gestes sportifs. Explication : il existe une asymétrie podale importante, dans certains gestes, en sport. Lorsque que le footballeur, par exemple, frappe le ballon avec le pied droit, le soutien du poids du corps, l’équilibre, se font uniquement par le membre inférieur gauche. C’est ce que l’on appelle la latéralité podale (le footballeur est ici droitier, de pied). Dans cet exemple, les contextes anatomique et biomécanique sont très perturbés. Les adducteurs sont des stabilisateurs du bassin en appui unipodal. De plus, le contrôle de la flexion, de l’adduction, et de la rotation nécessite une coactivation avec les muscles de la paroi abdominale.
C’est à ce niveau que se situe principalement le germe de ce syndrome abdomino-pubo-crural.
Il faut toujours essayer de comprendre le sportif en action. C’est pour cela que les hypothèses sur la jambe plus courte que l’autre (relire l’article sur les inégalités des membres inférieurs) ou sur le bassin déséquilibré sont peu crédibles. Elles s’appuient sur une notion fausse de statique (le sportif ne bouge pas !?). Pensez que le footballeur qui fait une passe longue, de 40 mètres, est parfaitement « déséquilibré » au niveau du bassin, lors de ce geste technique, dynamique ; c’est une évidence.
Cette théorie de la latéralité podale (un pied agit, c’est le pied préférentiel, et l’autre contrôle l’ensemble du corps, c’est le pied d’appui) est étayée par l’épidémiologie. En effet, le syndrome pubalgique se rencontre principalement dans les sports avec latéralité podale :
- Le football (le grand pourvoyeur de ce syndrome, à tel point que certains l’appelle la maladie du footballeur)
- Les sports de combat avec coup de pied
- Le rugby mais essentiellement pour les joueurs ayant un poste nécessitant la frappe au pied.
- L’escrimeur avec les fentes avant
- L’athlète pratiquant le saut de haie, …
Inversement, le syndrome pubalgique est rarissime dans les sports sans latéralité podale, le cyclisme, par exemple. La course à pied entraîne peu de syndrome pubalgique mais la pratique du trail, avec notamment la course rapide en descente qui impose un gros travail d’appui, génère quelques cas.
Retenons donc que ce syndrome pubalgique est un surmenage sportif par asymétrie :
- Certes haut/ bas (sus pubien, abdominaux / sous pubien, adducteurs)
- Mais surtout droite / gauche par déséquilibre majeur inhérent à certains gestes techniques sportifs, latéralisés.
Ce syndrome pubalgique se manifeste essentiellement par des douleurs de la région pubienne. L’apparition de ces douleurs est variable : dans 70 % des cas, le début est progressif et dans 30 %, il existe une notion traumatique aigüe (début brutal).
La localisation est variable, sus et /ou sous pubienne, uni et /ou bilatérale.
Le rythme des douleurs est marqué par une augmentation après les efforts. Les douleurs peuvent être tolérées, à chaud (pendant le sport), puis devenir très invalidantes, à froid, après l’arrêt de l’effort. Une fois installées, les douleurs peuvent durer quelques heures à quelques jours (malgré le repos sportif). Mais le caractère essentiel est de savoir si les douleurs sont impulsives à la toux ; existe-t-il une augmentation des douleurs en toussant ou en éternuant ? Cet élément est en faveur d’une origine herniaire c’est-à-dire une pathologie du canal inguinal.
L’examen médical devra permettre d’approcher la cause du syndrome :
- confirmer ou pas une hernie inguinale,
- confirmer ou pas une pathologie articulaire (arthropathie de la symphyse pubienne ; pathologie de hanche ; problème rachidien, …),
- confirmer ou pas une lésion musculaire (abdominale ou des adducteurs),
- etc. …
Les diagnostics étiologiques sont multiples.
Cet examen clinique orientera les examens complémentaires tels que :
- La radiographie à la recherche d’une arthropathie pubienne ou autres anomalie osseuses, articulaires.
- L’échographie à la recherche d’une lésion des adducteurs, d’une hernie inguinale ou autres anomalies musculaires.
On l’a compris, il faut faire le bon diagnostic et cibler la cause précise pour donner le bon traitement, la meilleure stratégie thérapeutique.
Il est clair aussi que nous sommes face à une pathologie chronique (surmenage ; accumulation de micro traumatismes). Le traitement sera donc long (pas de coup de baguette magique). Il est tout aussi évident qu’il faudra faire une éducation thérapeutique du sportif qui souffre (car les mêmes causes entraînent souvent les mêmes effets). Pour cela, il faudra analyser :
- Les charges d’entraînement
- Le travail musculaire fait en plus ou en moins (erreur technique ? mauvais ratio abdominaux / muscles des cuisses, etc.)
La base du traitement passera par :
- Une réduction de l’activité sportive ce qui ne veut pas dire inactivité. Les sports sans asymétrie podale seront bien évidemment privilégiés : le vélo en premier, puis la course à pied, dans l’axe, sur terrain plat, en raccourcissant un peu la foulée.
- Une correction de certaines erreurs (musculation inadaptée ; travail des abdominaux inapproprié).
- Une amélioration de la souplesse loco régionale (on pense surtout aux étirements des adducteurs et des ischio jambiers) ; une rééducation est alors prescrite.
- Les antalgiques et anti-inflammatoires en fonction de l’étiologie.
Et la chirurgie ?
Elle est de plus en plus rare, de nos jours, contrairement aux années 80-90 où des footballeurs se faisaient beaucoup opérer. En fait, si le diagnostic est fait tôt et, de ce fait, si une adaptation des charges d’entraînement est rapidement programmée, le traitement médical est toujours un succès. C’est une constante en traumatologie du sport, devant tout syndrome de surcharge, il faut rapidement intervenir (« ne pas laisser le vers entrer dans le fruit ») en séquençant des plages de repos, en réalisant un bilan médical sérieux pour bien identifier la cause et adapter la prise en charge thérapeutique.
La prévention ?
Faut-il, en prévention primaire, systématiquement renforcer les adducteurs ? Faut-il, en prévention primaire, systématiquement renforcer la sangle abdominale ? On ne sait pas vraiment. Les preuves scientifiques sérieuses manquent.
Il faut surtout être vigilant dès le début de douleurs pubiennes chez un sujet à risque, c’est-à-dire pratiquant une sport à latéralité podale.
Conclusion
La pubalgie est un terme courant dans le langage sportif mais trop généraliste car il s’agit d’un syndrome (ensemble de symptômes) touchant le complexe « abdominopubofémoral », tant anatomique que biomécanique, surmené par les sports asymétriques (latéralité podale). L’origine des douleurs peut être articulaire, musculaire, herniaire, etc. Seul un bon bilan clinique par un médecin expérimenté permettra d’approcher la cause et de guider le traitement qui passera toujours par une adaptation de l’entraînement.