Mehdi Frère (en bleu à gauche) dans le premier groupe de poursuivants à Valence (Crédit photo : @mehdifrere)

Mehdi Frère : « J’ai voulu m’attaquer au record de France. »

Lepape-info : Mehdi, comment avez-vous vécu votre marathon ?  

Mehdi Frère : J’étais plutôt en confiance avec les chronos que j’avais réalisés récemment. Je savais que la forme était à priori optimale. J’avais des références officieuses à l’entraînement qui me permettaient d’espérer un temps inférieur à 2h10.

Je n’avais pas trop de stratégie de course, je savais juste que faire les minima olympiques ne m’assurait pas du tout une qualification olympique. Je me suis dit quitte à ne pas être inscrit aux Jeux Olympiques, fais-toi plaisir et cours comme tu aurais envie de courir dans un marathon de rêve, sans pression.

 

Du coup, j’ai voulu m’attaquer au record de France (2h06’36 établi par Benoît Zwierzchiewski en 2003). Je voulais voir ce que cela faisait d’être à cette allure, même si je pouvais me « manger le mur » du 30ème kilomètre. Au final, je me suis fait plaisir.

 

Lepape-info : Entre le 30ème et le 35ème kilomètre vous avez du logiquement lâcher prise avec le groupe parti sur des bases de 2h06’30 à l’arrivée 

M.F : Je savais qu’à cette allure j’avais peu de chances d’arriver au 35ème kilomètre en bon état, je m’étais préparé psychologiquement à beaucoup souffrir après le 30ème. J’avais étudié le parcours et calculé avec la direction du vent qu’après le 33ème kilomètre j’aurais le vent dans le dos avec un faux-plat légèrement en descente jusqu’à l’arrivée. Je savais qu’en tenant jusqu’au 33-34ème kilomètre même en explosant j’arriverai à limiter la casse et maintenir à peu près l’allure. Je ne vous cache pas que cela a été très très dur, j’ai commencé à avoir des crampes et peur pour la fin de course.

 

Lepape-info : Votre chrono de 27’24 sur 10 km à l’entrainement en novembre visible sur votre compte Strava avait beaucoup fait réagir, c’était un bon indicateur de votre forme    

M.F : Oui mais ce n’était pas le meilleur indicateur, ce superbe chrono ne voulait rien dire sur marathon. Plus tôt dans ma préparation j’avais un test de vitesse sur 30 km et j’étais assez largement sur les allures du record de France en faisant environ 1h29’30, cela m’avait mis en confiance, je m’étais rendu compte que j’étais capable de tenir les 20 km/h de moyenne pendant au moins une trentaine de kilomètres. C’est également l’ensemble de la préparation qui était de bonne facture qui m’a surtout donné confiance.

 

Mehdi Frère : « La sélection pour les Jeux est censée être actée mais je n’aimerai pas être à la place de la Fédération Française d’athlétisme. Je me sens légitime pour demander le droit d’être sélectionnable pour les Jeux Olympiques de Tokyo. J’ai couru, j’ai fait les minima maintenant il va falloir en rediscuter. La situation est assez inconfortable pour la FFA. J’ai envie d’avoir aussi le droit de rêver aux Jeux Olympiques. »

 

Lepape-info : En l’espace d’un an, vous avez globalement doublé votre volume kilométrique hebdomadaire. C’est considérable, cela explique notamment votre progression ?   

M.F : Oui en effet, une moyenne de 159 km par semaine toute l’année sans vacances. L’an dernier je faisais seulement quelques semaines à 150 km avec une ou deux à 200 km pour la préparation marathon mais sur l’ensemble de l’année je tournais à 70-80 km hebdomadaire. J’ai eu la chance de ne pas me blesser, cela m’a permis de mener à bien ma préparation. Après il n’y a pas de secret, pour courir vite il faut sprinter, pour courir longtemps il faut faire des kilomètres.

 

Lepape-info : Au final, vous améliorez votre record personnel de 5’30 

M.F : Je me rends compte de ce que j’ai fait mais il faut relativiser par rapport à l’an passé. Les 2h14 réalisés à Valence étaient biens mais ma préparation n’avait rien à voir. Cette année, c’est la première fois que je fais une préparation aussi complète. L’an passé c’était mon premier marathon et je m’étais économisé je ne me pensais pas capable de courir à 100% tout du long sur une telle distance. J’aurais pu faire 2h12 c’était un premier essai. Cette année j’ai tout optimisé, j’ai couru à 100% sans retenue et tant pis si jamais cela n’avait pas tenu jusqu’au bout.

 

Lepape-info : Petit frisson au moment de passer la ligne d’arrivée ?  

M.F : Eh bien je ne m’en souviens pas ! (rire) Je suis tombé dans les vapes après l’arrivée. Je me souviens sur la dernière ligne droite d’avoir sprinté pour descendre sous les 2h09 et puis après ça s’est déconnecté. J’ai réalisé ce que j’avais fait dans la tente des secours une bonne quinzaine de minutes après. C’est drôle parce que j’ai eu le reflexe d’arrêter ma montre en franchissant la ligne mais après plus rien. Le sprint final fut l’effort de trop.

 

Lepape-info : Que répondez-vous aux éventuels sceptiques au sujet de votre progression ?  

M.F : À leur place, je penserai la même chose. Quand vous voyez un gars qui bat à ce niveau son record de plus de 5 minutes, j’aurais été le premier à trouver cela bizarre et à dire oui il faudrait peut-être regarder de près cet athlète. C’est normal nous vivons dans un sport gangréné par le dopage et par les affaires. Je les comprends tout à fait, c’est logique de se poser des questions, ce n’est pas une progression anodine. Comme je l’ai dit précédemment il y’a des explications (augmentation volume kilométrique, préparation optimisée, nouvelles technologies des chaussures) si elles suffisent aux gens tant mieux et d’ailleurs il y’en a pas d’autres. Si cela ne leur suffit pas il faut respecter leur pensée, cela leur appartient.

 

Lepape-info : Quel est le sentiment qui prédomine ? 

M.F : Du soulagement parce que la pression était assez énorme. C’est bien beau de montrer mes séances sur Strava et de fanfaronner sur les réseaux sociaux mais du coup il y’a une attente qui s’est crée autour de ce marathon. Cela n’a pas été facile à gérer, ce fut de la pression un peu inutile. Là maintenant il y’a tout qui retombe.

 

Lepape-info : En cette année particulière, vous étiez comme les autres en manque de repères en compétition et avec cette envie d’enfin valider votre longue préparation 

M.F : La préparation fut totalement orientée du début à la fin sur ce marathon à Valence. Nous avions du temps  et nous avons pu faire de grosses séances sans avoir peur de la blessure parce que nous n’avions pas d’échéance à court terme. Nous avons pu mettre en place tout ce que l’on a voulu. Ce fut une année compliquée à gérer émotionnellement, nous étions un peu dans le flou mais cela nous a permis de se concentrer sur le peu d’échéances  que nous avions.

 

Lepape-info : Vous étiez 4 Français et tous les 4 vous avez battu votre record personnel 

M.F : C’est assez représentatif de la dynamique actuelle sur les longues distances et le marathon en France. Nous avons tous pour objectif les Jeux Olympiques de Paris 2024, une émulation s’est crée. On se suit sur les réseaux sociaux, sur ce que chacun fait à l’entraînement mais de manière bienveillante. On se connait, on s’encourage tous,  c’est une super aventure que nous vivons au sein du groupe marathon Français. C’est le résultat du travail mis en place depuis un petit moment.

 

Lepape-info : Vous avez fait les minima pour les Jeux Olympiques de Tokyo vous venez même de réaliser le meilleur chrono Français du moment (6e meilleure performance Française de tous les temps) alors qu’avant cette course nous connaissions la liste complète des présélectionnés pour les Jeux (Amdouni, Chahdi, Navarro et Choquert en remplaçant)   

M.F : La sélection pour les Jeux est censée être actée mais je n’aimerai pas être à la place de la Fédération Française d’athlétisme. Je me sens légitime pour demander le droit d’être sélectionnable pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Je peux ne pas être retenu mais je veux avoir la même chance que les autres. Prenons les choses dans l’ordre, j’ai couru, j’ai fait les minima maintenant il va falloir en rediscuter avec la Fédération. La situation est assez inconfortable pour la FFA, je ne sais pas encore comment cela va se passer mais je vais demander d’être sélectionnable. Je ne sais pas si cela va se décider sur le test de 30 km déjà prévu en mai qui était uniquement prévu à l’origine pour prouver la bonne forme des présélectionnés et que finalement ils prennent les 3 premiers, chacun aurait sa chance de manière équitable, nous verrons. Je n’avais pas eu la chance de courir un marathon avant en m’exprimant comme je le souhaitais, maintenant nous sommes 6 à avoir fait les minima pour 3 places. Je trouverai cela équitable de faire ce test et de prendre les meilleurs à ce moment-là. J’ai envie d’avoir aussi le droit de rêver aux Jeux Olympiques.

 

Lepape-info : Les Jeux Olympiques sont forcément un rêve absolu

M.F : J’adore le Japon, depuis mon enfance je suis bercé par l’univers des mangas, la culture japonaise. Le Japon est un pays qui m’attire et que je rêve de visiter. Si j’y vais bien sûr ce n’est pas pour faire du tourisme. En plus disputer un marathon à Tokyo dans un pays qui considère cette discipline un peu comme une religion ce serait fantastique.