Lepape-info : Xavier, dans quel état êtes-vous quelques heures après votre arrivée ?
Xavier Thévenard : Je suis démonté, j’ai les pieds gonflés avec 2-3 ampoules, j’ai mal aux articulations, je suis surtout fatigué mais sinon tout va bien. De mon aventure sur le GR 20, je retiens de la souffrance mais aussi et surtout les beaux moments avec mes compagnons de cordée autour de moi pour m’aider (30 coureurs dont 27 coureurs locaux répartis tout au long du parcours étaient présents pour assister Xavier Thévenard). C’était super parce que c’était une grosse virée en montagne avec des passionnés du même sport avec cet aspect de partage, de convivialité. En plus, les conditions météo étaient pas mal malgré la chaleur, il y’avait une super lune le soir avec de beaux paysages.
Xavier Thévenard : « Je garderai des images et des souvenirs jusqu’à la fin de mes jours. En pleine nuit je me suis retrouvé à croiser des gens au bord de la route qui jouaient de la guitare et chantaient des chants corses, c’était très fort. »
Lepape-info : Pas de record mais vous avez signé le 3ème chrono sur cet exigeant GR 20
X.T : Je n’ai pas eu que des moments faciles, j’étais tellement content d’arriver. Ce fut un soulagement parce que c’était un projet qui me tenait à cœur depuis un an. Mes parents bien impliqués dans le milieu sportif habitent en Corse et ont œuvré pour la mise en place de l’organisation avec les pacers sans oublier la logistique avec un ami Thomas Michaud qui gère tout la partie partenariats, nous y avons mis beaucoup d’énergie. Le fait que tout se soit bien passé avec une super météo, c’est une réussite. Même s’il n’y a pas eu de record, le but était de faire quelque chose de sympa avec du monde. Quand j’ai annoncé que j’allais faire la traversée du GR 20, beaucoup se sont un peu excité en disant que j’allais battre le record de François d’Haene, moi je n’ai jamais dit que j’allais battre ce record parce que ce n’est pas dans ma nature et puis parce que je trouve cela super prétentieux. Dans l’ultra-trail on a pas cette démarche axée sur la compétition, c’est un sport contre soi-même avant d’en être un contre les autres, c’est une discipline déjà assez exigeante comme cela. Il faut rester humble, garder la tête sur les épaules, dans ce milieu nous sommes sur la même longueur d’onde. J’ai déjà couru avec François d’Haene, il a toujours été devant moi mais je me suis dit que je pouvais essayer de me rapprocher un peu de son chrono. Jusqu’à 30 km de l’arrivée j’étais dans ses temps mais à la fin j’ai eu un coup de chaud terrible, les 15 derniers kilomètres ont été vraiment très douloureux, je n’ai jamais vécu cela en 10 ans de sport de haut-niveau en ultra-trail.
Lepape-info : Vous avez ressenti beaucoup d’émotion tout au long du GR 20
X.T : Je garderai des images et des souvenirs jusqu’à la fin de mes jours, tout le monde a joué le jeu, l’engouement suscité, je n’en reviens pas. J’avais l’impression d’être sur une course alors qu’il n’y avait pas de compétition, j’étais seul à courir avec des pacers et des coureurs du coin, aux ravitaillements il y’avait des centaines de personnes, des randonneurs étaient là aussi sur le parcours. En pleine nuit je me suis retrouvé à croiser des gens au bord de la route qui jouaient de la guitare et chantaient des chants corses, c’était très fort.
Lepape-info : La Corse est un endroit à part pour vous
X.T : Je suis licencié dans le club de trail de Prunelli di Fium’Orbu, je viens presque chaque année pour voir mes parents, j’ai des amis liés à la course à pied. C’était fou de voir comment j’étais suivi alors que ne suis pas né en Corse, je suis Jurassien, être soutenu par les Corses c’est un message très fort, cela veut dire qu’il m’accepte parmi eux. Ce n’est pas si simple avant d’en arriver là, il faut du temps, le fait que mes parents habitent ici cela m’a aidé. Mon histoire avec la Corse est à présent différente, j’ai vécu une incroyable expérience de 32 heures avec des moments de partage enrichissants. Je pars du principe que nous sommes que de passage sur Terre et qu’il faut vivre des instants sympas avec les gens que l’on apprécie pour pouvoir raconter de belles histoires ensuite.
Lepape-info : Vous avez déjà d’autres projets en tête ?
X.T : Je vais plutôt penser à me reposer pendant 10 jours, je suis lessivé. La Corse est un endroit où le terrain est particulier, tellement exigeant avec des cailloux de partout, il faut constamment être lucide, vigilent, concentré. Cela demande un engagement plus important que d’habitude, cette traversée fut une épreuve mentale qui m’a fait grandir.
Parmi les pacers qui ont accompagné Xavier Thévenard, Guillaume Peretti, qui en 2014 avait fait tomber le record de Kilian Jornet (32h54) en bouclant le GR 20 en 32 h, avait lui aussi tenu à apporter son aide dans ce projet où le Jurassien avait souhaité associer un maximum de coureurs corses: « Ça m’a vraiment fait plaisir d’être là, commente le « pacer » de luxe, présent aux côtés de Xavier pendant une soixantaine de kilomètres. C’était important de l’accompagner et de montrer que dans notre sport, nous sommes solidaires, que l’esprit trail existe vraiment. Et puis c’est mon île alors c’était cool. Il a eu le cran de partir sur des bases de 30 heures, c’était audacieux, il a eu ce courage. Mais le GR 20, c’est vraiment différent de tout le reste. Il a quand même réussi une superbe performance. Il s’est accroché et a montré qu’il avait un mental d’acier. Il m’a vraiment impressionné. C’est un très grand champion. »
« Je sais ce que ça représente d’abnégation, poursuit Pierre Santucci, « légende » du sentier dont il fut longtemps recordman, en 36h53, présent lui aussi sur le bord des chemins. Il faut tout le temps être présent sur deux fronts : la fatigue musculaire et la fatigue mentale. Alors quand il y a une tentative de record, je viens apporter mon soutien car c’est important de sentir les gens autour. »