Julien Devanne lors de Marseille-Cassis 2019

Julien Devanne : « Être un marathonien en ce moment cela ne veut plus dire grand chose. »

Lepape-info : Julien, comment avez-vous vécu les deux mois de confinement en France?  

Julien Devanne : Je suis plutôt positif et de nature optimiste, le confinement je ne l’ai pas trop vu arriver, je ne m’y étais pas vraiment préparé pour deux mois, au début je me suis dit que cela allait durer trois semaines. J’ai été surpris et puis après il a fallu s’adapter et repenser à un nouveau rythme de vie, de travail, d’entraînement. Si on m’avait dit un jour que lorsque j’aurais 30 ans il faudrait que je signe un papier pour aller faire mes courses je ne l’aurais pas cru. De devoir faire cela en 2020, cela paraissait impensable et on se rend compte que certaines choses peuvent arriver,  changer d’un coup. Ce fut un changement rapide et aussi quand même sur du long terme.     

 

Lepape-info : Un changement qui a réduit à néant vos objectifs du moment  

J.D : Mon vrai objectif de début d’année était le semi-marathon de Barcelone (17 février) pour obtenir ma qualification pour les Mondiaux de semi. Malheureusement en raison d’une grippe et d’un problème familial quelques jours avant, je suis passé complètement à coté. Deux semaines plus tard, je pensais me rattraper lors du semi-marathon de Paris finalement reporté la veille en raison de l’épidémie de Covid-19. Sur le coup, je l’avais un peu mauvaise parce que certains s’étaient qualifiés pour les Mondiaux de semi et pas moi. Après avec le report ou l’annulation de toutes les courses j’ai relativisé. Mais la veille du semi marathon de Paris, je n’ai pas senti qu’il allait se passer quelque chose d’énorme dans les semaines qui arrivaient et qu’on allait être bloqué chez nous pendant deux mois.

 

Lepape-info : Vous habitez en centre-ville de Lyon, comment avez-vous adapter votre entraînement pendant le confinement ?  

J.D : Au début je pensais que le confinement n’allait durer que trois semaines, il n’y avait plus d’objectif, la qualification pour les Mondiaux de semi n’était plus d’actualité. Je me suis dit que prendre du repos, de ralentir pendant quelques temps n’était pas négatif pour la forme, cela permettait de soigner quelques bobos, de prendre du temps pour soi. Après quand le confinement a été prolongé, même si la motivation diminuait au fil des semaines, il a fallu trouver des parades, essayer de maintenir un niveau de forme correct en pratiquant une activité pendant une heure par jour. L’objectif étant de pouvoir reprendre rapidement une fois le confinement terminé. J’ai fait beaucoup de footings avec peu d’intensité puis ensuite au bout d’un mois mon entraîneur sans me donner de véritables plans m’a juste dit de retrouver un peu de cardiaque. Dans mon quartier, près des quais, j’ai fait des séries basiques de 20 fois 30″ / 30″ ou 1′ / 1′  à la sensation avec mon GPS à environ 18-19 km/h, je n’allais pas à fond sur les allures.

 

Julien Devanne : « Il y’a finalement des choses beaucoup plus importantes que de courir un marathon en moins de 2h15. »

 

Lepape-info : Le temps vous a-t-il paru long ? 

J.D : Oui mais ce qui m’a permis de relativiser c’est que j’ai fait une année 2019 vraiment parfaite, je me suis épanoui au niveau sportif avec toute la période septembre-octobre-novembre où j’ai enchaîné les victoires (championnat de France de semi-marathon, Paris-Versailles, championnat de France de marathon) et les belles performances (11ème de Marseille-Cassis). J’avais le sentiment du devoir accompli, cette année je devais surfer sur la vague et peut-être avoir des retombées après mes titres de champion de France de marathon et de semi. Si l’an passé j’avais été plus en difficulté et que je comptais sur 2020 pour me relancer, là oui j’aurais été dans un autre état d’esprit.

 

Lepape-info : Depuis le 11 mai, comment vivez-vous le déconfinement ? 

J.D : J’ai eu un peu le syndrome de la cabane, ce sentiment aussi de se dire que lorsque l’on est sportif on est un peu dans son rythme de vie. En temps normal, mon travail (consultant informatique) et mes amis me permettent de sortir de cette bulle parce que c’est vrai que lorsque l’on fait du marathon c’est intensif on se retrouve vite isolé, deux à trois heures par jour à courir seul avec ses pensées. Pendant le confinement je n’avais plus cette bouffée d’oxygène extérieure pour me changer les idées même si je travaillais chez moi. Au bout de deux mois de confinement vous finissez par vous retrouver dans un univers particulier avec du mal à retourner vers l’extérieur, il a fallu un temps d’adaptation. J’ai besoin de lien social, je le sais et comme tout le monde je m’en suis rendu compte pendant ces deux mois.

 

Lepape-info : L’entraînement a-t-il repris de plus belle ? 

J.D : Pendant le confinement j’arrivais à courir entre 60 et 100 km par semaine, maintenant j’en suis à 150 km par semaine avec deux grosses séances comme celle d’hier où j’ai fait 10 x 1000 m à une allure entre 20 et 21 km/h, preuve que j’ai retrouvé une forme plutôt correcte. Pour ce genre de séance, j’ai gardé mes habitudes cela fait trois ans que je ne cours quasiment plus sur piste. Sur les quais près de chez moi j’ai une piste cyclable avec une ligne droite plate qui fait 1 km, j’ai fait des traces à 500 m, 200 m, et je fais des aller-retour sur cette piste, parfois je double les vélos (rires).

 

Lepape-info : Difficile de se fixer un objectif à plus ou moins long terme, vu la situation sanitaire ? 

J.D : J’ai coché des courses comme tous les ans mais c’est la première fois où il n’y a rien de concret. Je m’entraîne mais il n’y a pas d’objectif précis pour l’instant. Cette année je voulais réaliser un gros chrono sur marathon mais l’épidémie de Covid-19 a un peu changé mes plans. Je pensais aller à Berlin (marathon reporté puis annulé), refaire Paris pour un chrono sous les 2h15 voir les 2h13 ou alors opter pour Valence début décembre même si c’est un peu loin dans le temps et que l’on ne sait pas comment la situation va évoluer à l’étranger, pareil pour Londres où les organisateurs envisagent peut-être de faire un marathon que pour les élites. Finalement au lieu de chercher un chrono sous les 2h15 sur un gros marathon à l’étranger je vais peut-être finalement changer de stratégie et retourner au Championnat de France à Rennes (25 octobre) pour un chrono correct et si possible un nouveau titre national.

 

Lepape-info : Vous parliez du Marathon de Londres reporté au 4 octobre peut-être qu’avec les élites, cela vous conviendrait-il ?    

J.D : Je comprends la frustration du grand public, des anonymes qui vont se dire pourquoi les élites vont peut-être pouvoir courir et pas eux ?  Si cela se passe ainsi, je trouve que l’on perdrait l’essence même du sport et surtout l’ambiance si particulière qu’il y’a sur et autour de ce genre de grand marathon qui n’est pas un championnat du Monde, d’Europe ou les Jeux Olympiques. C’est beaucoup moins excitant, peut-être sur une courte durée pour les athlètes intéressés pourquoi pas mais si cela devait durer des mois et des mois avec à chaque fois seulement une poignée de coureurs élites au départ l’engouement pourrait vite s’essouffler.

 

Lepape-info : De ne pas savoir encore avec certitude quand vous allez pouvoir recourir un marathon ou une autre course cela vous angoisse, vous y pensez ? 

J.D : Cela ne m’empêche pas de dormir mais c’est vrai que d’entendre certaines personnes dirent qu’il n’y aura peut-être pas de retour à la normale avant un an ce n’est pas rassurant. J’ai 31 ans, je ne me sens pas pourri je pense que j’ai encore pas mal d’années devant moi mais comme pour tout le monde en un an il peut se passer beaucoup de choses dans une vie. En plus j’avais envie de surfer sur la vague de l’année 2019 mais bon pour l’instant la situation est ainsi. Je me suis souvent demandé si je courais parce que j’étais un compétiteur ou si parce que la course à pied était un style de vie sans que je m’en rende vraiment compte ?  Et là je vois que sans compétition je vais à l’entraînement, cela me plait bien sur parce que j’ai encore l’espoir qu’il y’ait des courses cette année. Je me suis toujours dit que si un jour j’arrêtais la compétition en cherchant le meilleur de moi-même, je pense que je continuerai à m’entraîner pour rester en forme. Cela m’a toujours passionné d’aller au bout de son potentiel, même si l’on est pas le meilleur d’avoir cette impression de se sentir fort, d’arriver à maîtriser son sujet c’est quelque chose qui me permet de m’épanouir.

 

Lepape-info : Quel est votre état d’esprit actuellement ?  

J.D : Parfois cela m’arrive de repenser ma pratique. Il y’a des faits, des événements qui vous enrichissent personnellement et moi qui me permettent de relativiser la période actuelle. On réalise que le sport est secondaire, on est amené à se demander pourquoi on fait telle chose, dans quel but et cela fait cogiter. On se rend compte qu’être marathonien en ce moment cela ne veut plus dire grand chose. Il y’a finalement des choses beaucoup plus importantes que de courir un marathon en moins de 2h15. Cela me permet de m’épanouir en tant que personne mais ce n’est pas seulement le chrono qui compte, le but est de se dire est ce que tu as donné le meilleur de toi-même en essayant de t’entraîner le mieux possible avec toutes les contraintes que tu peux avoir dans ta vie ? Que vous courriez un marathon en 2h15, 3h30 ou plus … en fait que signifie le chrono ? Ce qui est intéressant c’est de savoir si vous avez donné le meilleur, c’est cela qui est valorisant. Ce que je retiens de cette période c’est cette prise de recul par rapport à ce qui est le plus important entre la performance en elle-même et le processus pour en arriver à un résultat. Pour moi c’est le travail, le chemin accompli qui prime. Vous voyez actuellement même s’il n’y a plus de compétition je continue à m’entraîner et à m’épanouir dans ce que je fais au quotidien.

 

Lepape-info : D’autant que vous avez un travail en plus de la course à pied comme vous l’avez dit …    

J.D : J’ai la chance de travailler, j’ai toujours fait le pari d’avoir une activité professionnelle à coté de ma carrière d’athlète. J’estime que je ne suis pas assez talentueux pour vivre correctement de la course à pied (2 marathons et un record en 2h17’21 à Paris en 2019). Parfois il y’a de belles primes sur certaines épreuves mais cela ne fait pas tout. Je pense que certains athlètes Français doivent surement actuellement se poser des questions sur leur avenir, j’ai lu les craintes de quelques uns d’entre eux sur les réseaux sociaux, faire en ce moment le pari de la course à pied est risqué. Je plains ceux qui comptent sur cela pour vivre d’autant plus dans ces moments comme la pandémie que nous vivons.