On n’a encore jamais vu, et on ne verra jamais, un sportif suspendu pour avoir porté le même tee-shirt (ou slip, ou short…) à chacune de ses compétitions. Et heureusement. Car comme le rappelle le Dr Alain Duvallet : « Ça fait 30 ans que je suis dans ce milieu et il y a toujours eu des modes ». Ce médecin du sport, qui consulte à l’antenne médicale de prévention dopage d’Ile de France, développe : « Ce sont des sortes de TOC et je ne connais pas de sportifs qui n’en ont pas. Avoir les bonnes chaussures, le bon maillot, c’est un besoin d’être rassuré. Les sportifs ont besoin de se raccrocher à quelque chose parce qu’ils ne sont pas sûrs de réussir. Tant que ça reste dans ce genre de registre, ce n’est pas très méchant ».
Le spécialiste distingue toutefois des marches, des « étapes » qu’il est important de repérer. Et notamment celle de l’utilisation de compléments alimentaires. « Là, on commence à entrer dans une autre dimension ». Attention, il ne s’agit évidemment pas d’évoquer ici des compléments alimentaires prescrits par un professionnel du corps médical, pour des raisons de santé (carences réelles, etc). Il ne s’agit pas, non plus, d’associer compléments alimentaires et dopage, en tout cas certainement pas de manière systématique. Non, il s’agit avant tout de pointer du doigt la vigilance indispensable dans un domaine parfois obscur. « Environ la moitié des sportifs que l’on reçoit et qui ont été contrôlés positifs l’ont été à cause de compléments alimentaires. Souvent, ils rétorquent qu’ils n’avaient pas vu dans la composition que tel produit faisait partie des produits dopants. Mais le sportif est responsable de ce qui est introduit dans son organisme ». Et le professionnel d’insister : « Faites attention, apprenez à lire ce qu’il y a dedans ». Et d’inciter ceux et celles qui rechercheraient des produits – notamment sur Internet – à ne pas se contenter de lire entre les lignes (volontairement ou non).
Peu de signes avant-coureurs
Pour autant, entre le fait de ne pouvoir se passer d’un objet fétiche, de prendre un complément alimentaire, et celui de s’administrer un produit dopant, il y a bien sûr une marge. Or « tout le problème, c’est de comprendre ou d’essayer d’endiguer le passage » entre une conduite que l’on peut qualifier d’addictive et une conduite dopante. « Il y a peu de signes avant-coureurs. On a donc beaucoup de mal à voir ce passage », explique le Dr Duvallet.
La « soumission à l’entourage », la pression de « la famille », peuvent notamment être des terrains favorisant ce passage à l’acte. Et ce quels que soient les niveaux et sports pratiqués. Car croire que seuls les sportifs de haut niveau sont concernés, serait avoir une vision bien trop réduite de la problématique et des enjeux. Et le médecin du sport de citer l’exemple d’un cross interne à une entreprise, où grignoter des places, arriver avant les autres, peut revêtir une importance particulière pour certaines personnes. Par souci « de reconnaissance », en l’occurrence « de type professionnelle ». Force est de reconnaître également que la société actuelle tend à « inciter à la pratique sportive », plaçant le sportif souvent en tête des personnalités à prendre pour exemple. Quitte à franchir des limites ? Parfois, hélas…
Peut aussi intervenir dans un passage à l’acte, une volonté d’aller « au-delà de la sécrétion d’hormones. On se dit alors : « Tiens, si j’allais un peu plus loin ? » », précise le Dr Duvallet. Une recherche de sensations nouvelles qui peut conduire à enfreindre des règles – consciemment ou non – auxquelles on s’était jusque-là tenu.
Reste une question : au vu par exemple de l’évolution actuelle de la course à pied et de la tendance au toujours plus long, quid des gels, pâtes de fruits et autres produits de l’effort qui seraient devenus quasiment indispensables pour réussir une performance (quel qu’en soit la nature et le niveau) ? Ces produits étant parfaitement légaux, on ne parle bien sûr pas de dopage, mais d’une sorte de conduite addictive qui tendrait à raisonner ainsi : je ne réussirai que si j’ai ceci, ou cela. « On sait que quand on fait un sport de longue durée, il faut aider l’organisme, concède le Dr Duvallet. C’est physiologique, c’est incontestable. Mais le deuxième niveau qui intervient, c’est l’industrie. A partir d’une notion physiologique de base, on a complètement perturbé tout cela ».
Alors quoi ? Faut-il arrêter de consommer des gels ? Non, bien sûr, surtout si vous y trouver votre compte. Mais faut-il se poser des questions sur son propre comportement ? Oui, surtout si vous faites partie de ceux et celles (et il y en a !) qui en viendraient à ne pas prendre un départ sous prétexte de ne pas avoir un « équipement » jugé indispensable. « Avoir un cadre, c’est très rassurant. Pour tout le monde : le sportif, l’entraîneur, l’entourage, souligne le Dr Duvallet. C’est presque comme une conduite addictive psychologique. On peut essayer de casser ce cadre, mais seulement si le sportif est soutenu dans cette démarche. Et dans ce cas, essayer d’en sortir en douceur, et de rééquilibrer tout ça ».
En clair : et si vous tentiez, ne serait-ce que de temps en temps, de casser votre routine ? De ne compter que sur vos propres qualités, votre entraînement, et votre mental, pour atteindre votre objectif ? Vous n’en seriez peut-être que plus satisfait et vous vous éloignerez un peu de cette spirale addictive qui, sans être systématiquement néfaste, peut le devenir.