Les plus de 30 ans se reconnaitront dans cette introduction.
Si vous appartenez à ce groupe d’âge et pratiquez l’athlétisme, le cyclisme, la natation ou le triathlon depuis plus de 10-15 ans alors vous avez tous eu des carnets d’entraînement papier ou Excel pour les plus avancés technologiquement.
C’était mieux avant ?
A cette époque nous avions pour point de passage nos chronos, potentiellement une fréquence cardiaque (FC) associée, pour les plus investis un ressenti et à la rigueur un taux de lactate sanguin pour les pratiquants à haut-niveau.
L’absence d’algorithmes et la limite des technologies nous obligeaient alors à tout noter. Personnellement et je pense beaucoup se retrouveront dans mon discours, cela m’a permis d’avoir un fort investissement dans ma pratique, puis par la suite dans le suivi de mes sportifs.
Comparer une séance identique réalisée un mois auparavant ou l’année précédente. Noter une FC anormale au réveil ou évoluant dans le temps. Ecouter mes ou leurs sensations ne correspondant pas à celles attendues. Bref, remettre chaque jour l’ouvrage sur le métier.
Comment faire le tri ?
Autre aspect, nous connaissons aujourd’hui une abondance d’informations via les différents canaux de communications. Moi le premier je me prête au jeu de la communication moderne, ne serait-ce qu’au travers de cet article. D’un côté nos appareils connectés nous disent si nous sommes en forme, devront récupérer, etc. et de l’autre nous sommes abreuvés d’éléments explicatifs.
Alors oui, moi le passionné de performance je suis heureux de pouvoir réaliser différents suivis poussés sur des sportifs de haut-niveau. Et si j’avais été jeune étudiant j’aurai apprécié avec quelle facilité nous pouvons désormais trouver des informations sur les domaines de l’entraînement, la récupération, la nutrition, etc.
Mais, n’oublions pas que la capacité d’analyse, critique, de prise de recul et d’expérience de terrain sont des éléments indispensables à la performance en tant qu’athlète ou d’accompagnateurs de la performance.
Un capteur intelligent vous dira-t-il toujours la vérité ? Non car vous êtes unique !
Sera-t-il toujours fiable ? Non car moins de la moitié sont validés scientifiquement (la curiosité pourra permettre d’aller plus loin que les éléments marketings).
Un concept correspondra-t-il toujours à votre projet sportif ?
Non car vous avez votre histoire et cela se saurait si la méthode miracle existait, alors nous serions toutes et tous champion(ne) ou entraîneur de champion(ne).
Ce que je veux dire c’est que tester, essayer, se tromper, analyser, corriger, faire sur soi-même, etc., restent des éléments indispensables pour comprendre, anticiper, retenir, s’adapter plus rapidement, bref se sont les traits souvent communs aux entraîneurs à succès ou des champion(ne)s.
Personnellement et comme beaucoup d’entre vous j’imagine, j’ai pris mon pouls au réveil au départ sans même un cardiofréquencemètre, j’ai noté mon kilométrage, le type de séance, chaque chrono, mes horaires d’entraînement, mes sensations, etc. Avant même de me lancer dans des études supérieures dans le sport cela m’a permis de me questionner sur des périodes de forme, de méforme, de tester des choses, d’interroger les anciens, de lire en conséquence, etc., bref d’essayer de comprendre.
Puis, de réaliser le même travail avec les athlètes que j’ai eu la chance d’accompagner, amateurs puis athlètes olympiques ou professionnels.
Je pense avoir eu cette chance de commencer mon métier lors de la transition de l’arrivée abondante de technologies et d’ainsi faire le tri sur l’intérêt de chacun suivant les projets dans lesquels j’ai évolué et surtout de les utiliser comme des supports d’aide à la décision et en aucun cas de prise de décision directe !
Comment se servir de ces outils pour performer ?
Assez parlé de moi et de mon avis. En effet une étude récente va indirectement nous éclairer sur le positif et le négatif de ces outils.
Celle-ci publiée dans le très respecté European Journal of Sport Science considère deux manières différentes de bénéficier de ce qu’elle appelle la « rétroaction augmentée », définie comme une information provenant d’une source externe que nous ne pourrions pas obtenir avec notre seul système sensoriel.
Les auteurs, dirigés par Matteo Bugnon de l’Université de Fribourg en Suisse, considèrent cette question dans le contexte du contrôle moteur et de l’apprentissage : l’exemple qu’ils fournissent est de montrer la vitesse précise d’un service de tennis au joueur. La plupart des données utilisées par les athlètes d’endurance, même le chronométrage de vos tours sur une piste, entrent déjà dans cette catégorie.
Il existe de nombreuses preuves depuis plus de 40 ans montrant que la rétroaction augmentée peut améliorer les performances. Et cela peut fonctionner presque instantanément.
Affichez sur votre compteur de vélo la puissance que vous venez de réaliser sur un sprint, et vous produirez presque toujours plus de puissance sur le sprint suivant, et dans certains cas, vous obtiendrez même des gains plus importants au cours des semaines d’entraînement à venir.
La question sans réponse est de savoir dans quelle mesure cette amélioration est le résultat des informations contenues dans les commentaires, et dans quelle mesure est-elle simplement le résultat d’efforts plus intenses en raison d’une version de l’effet Hawthorne : l’idée que les gens se comportent différemment lorsqu’ils savent qu’ils sont observés.
La nouvelle étude propose une manière intelligente de faire la distinction entre les effets de la motivation et de l’information.
Si vous donnez aux participants des informations erronées, tout avantage motivationnel devrait toujours apparaître, mais tout avantage informationnel devrait être effacé.
Pour tester cette idée, ils ont utilisé deux tests différents d’explosivité du quadriceps : un de force maximale (produire le plus de force possible en redressant la jambe, donc avec la plus grande charge) et un autre de puissance maximale (produire autant de force que possible le plus rapidement).
Après chaque contraction, il était montré aux participants leur performance réalisée en fonction de l’essai précédent avec comme information : le couple pour l’exercice de force (en clair la charge) ou le taux de développement du couple pour l’exercice de puissance (les watts), en donnant pour les deux tests la performance réalisée et le pourcentage de différence avec l’essai précédent.
Mais petite cachoterie des scientifiques, dans le groupe « informations incorrectes », le pourcentage était inversé : si vous produisiez 5 % de force en plus, on vous dirait que vous avez produit 5 % de force en moins.
Dans le contexte du contrôle moteur, produire une force maximale est assez simple, tandis que produire une puissance maximale nécessite une coordination beaucoup plus complexe de contractions des fibres musculaires. En conséquence, les chercheurs ont estimé que la différence entre les informations correctes et incorrectes aurait plus d’importance pour la puissance que la force.
Effectivement, c’est exactement ce qu’ils ont trouvé. Dans les tests de force, les sujets ont obtenu de meilleurs résultats lorsqu’ils ont reçu une rétroaction augmentée, que la rétroaction soit correcte ou incorrecte.
Les mesures EMG ont montré une plus grande activité musculaire lorsque la rétroaction était fournie, soutenant l’idée qu’ils essayaient de pousser plus fort lorsqu’ils avaient un score à battre.
Dans les tests de puissance, une rétroaction correcte a amélioré les performances, mais une rétroaction incorrecte l’a aggravée, suggérant que les sujets prenaient bien en compte les informations fournies par la rétroaction et alors modifiaient la façon dont ils exécutaient la tâche, mais visiblement avec moins de réussite.
Trouver le bon message
Bien entendu il s’agit de tests que l’on pourrait croire éloignés de nos activités d’endurance. Or pas tant que ça. Nous avons toutes et tous vécues des courses où cela ne s’est pas passé comme prévu, un jour sans, un retard au départ, un problème matériel, un moment compliqué mentalement, etc. Très souvent ces informations auront pu avoir un impact négatif sur notre comportement en compétition, notre stratégie, notre allure de course, etc.
Autre exemple concret. J’imagine que nous sommes beaucoup à courir ou nager plus vite lorsque notre entraîneur chronomètre nos séries ? L’effet de cette rétroaction sur le chrono donc la vitesse est principalement motivationnelle.
A l’inverse si l’on fait une séance en eau libre, un fartleck en nature ou une sortie vélo aux sensations, donc avec peu d’indicateurs de rétroaction augmentée, je vais devoir me fier à mes sensations internes et donc gérer mon effort en fonction des signaux renvoyés par ma physiologie, mes muscles, mon cerveau.
Or, la science/l’art de l’entraînement réside justement dans la capacité à ne pas empiler des séances « au carton » mais à enchaîner des séances permettant différentes adaptations nécessaires au progrès et à la performance à long terme.
Des séances proches de l’échec seront nécessaires à certains moments mais en aucun cas à chaque séance d’intensité. Et encore nous ne parlons ici que des séances intenses. Aujourd’hui il ne sera pas rare de voir un athlète regarder régulièrement sa montre ou son compteur sur une séance de seuil par exemple et alors de la finir 10% plus rapidement que prévu.
Pire, un footing ou une sortie aéro sera forcément réalisé à la data…sois tout l’inverse de ses objectifs !
1 + 1 n’a jamais fait 2 dans l’entraînement !
On touche ici au concept du « champion de l’entraînement » qui sera capable de faire mal à ses équipier(ère)s de fortune à chaque séance…mais pas forcément en compétition. Et oui car le jour J, la performance sera multifactorielle et alors d’autres auront pu tirer parti d’une planification mieux gérée, d’un apprentissage mental de l’effort, d’une capacité tactique, etc.
D’autre part, pour notre exemple du chrono, que l’on pourrait également associer au cycliste menant le coureur à pied à chaque séance, la motivation et la capacité à performer dans un environnement changeant (comme en compétition), voire difficile, restera un facteur central de la performance en compétition quel que soit notre niveau.
Dans mon milieu du sport de haut-niveau, l’utilisation des analyseurs de lactate devient un passage obligatoire…car des athlètes performants, notamment les Norvégiens les utilisent au quotidien et communiquent dessus. Déjà il n’a pas fallu attendre Instagram et YouTube, dans certaines disciplines, pays, groupes d’entraînement, cela fait 20 ans !
Mais surtout retenir qu’il les utilise avant tout pour relever des évolutions qui aideront à la prise de décision sur un état de fatigue ou des progrès. Mais en aucun cas uniquement pour décider du sort d’une séance.
La grande question ces jours-ci, la question à plusieurs millions, est de savoir quelles sources de données ont un contenu informatif précieux. Les partisans du modèle d’entraînement Norvégien actuellement en vogue pourraient donc affirmer qu’un analyseur de lactate fait l’affaire.
Mais que l’on parle d’un analyseur de lactate ou de glycémie, d’une montre GPS, d’un actimètre du sommeil, d’un cardiofréquencemètre ou d’un simple chronomètre ils viendront surtout confirmer ce que nous avons déjà en face des yeux : une séance réussie ou non, une progression au seuil ou non, une fatigue dont il faut récupérer ou non, etc.
Il faut alors en faire une aide à la prise de décision !
Récemment j’ai croisé un athlète de l’équipe de France d’athlétisme qui rentrait de son stage de présaison et me dit : « Anaël je viens de battre mon record de lactate max, mon coach m’a dit que je vais pouvoir prendre des risques sur 800-1500 m ». Bonne pioche il se qualifia dès sa première course aux mondiaux sur 1500 m et explosa son record sur 800 m. Rétroaction positive ? Oui son coach venait de lui dire « tu n’as jamais passé les séances spécifiques que tu as réalisée au stage et en plus tu bas ton lactate max toi qui vient du long et dont c’est le point faible ».
Battre son record de lactate max sans être bon sur le spécifique n’aurait sans doute rien apporté alors qu’ici ces indicateurs de datas peuvent être utilisées à bon escient pour renforcer mentalement la confiance en soi de l’athlète et sa tactique de course.
Mais, encore une fois la simple vue de son stage suffisait à comprendre que sauf à mal courir les chronos allaient suivre en compétition. En clair, si vous êtes honnêtes avec vous-même, vous le savez déjà.
On sait si l’on a mal dormi, on sait si l’on doit mieux manger, etc. Si la technologie nous aide à évoluer et prendre les bonnes décisions, tant mieux ! Si elle gouverne notre projet sportif sans prise de recul, honnêteté et vision multifactorielle alors elles pourront potentiellement devenir un frein à la progression.
Comme cet athlète on peut donc les utiliser comme une étincelle de motivation, un effet placebo et du coaching vertueux pour l’entraîneur et/ou l’athlète.
L’étude de Bugnon rappelle que la motivation a aussi de la valeur, ce qui peut se traduire par de meilleures performances.
C’est une bonne raison de ne pas être trop dédaigneux lorsque quelqu’un insiste sur le fait que son nouveau gadget portable l’aide vraiment.
C’est aussi une bonne raison de ne pas vous soucier de ce qui vous manque, car vous bénéficiez peut-être déjà des mêmes avantages de votre ancien gadget, de la confiance dans ce que vous faites et dans votre environnement.