Cette nouvelle étude publiée dans PLOS One : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0278067 évalue les pouvoirs intéroceptifs des athlètes.
L’intéroception, explique l’étude, est « la détection et la perception de stimuli provenant de l’intérieur du corps ». Elle est donc la capacité que nous avons à percevoir notre état interne, du battement de notre cœur aux mouvements de nos intestins.
On découvre un peu plus chaque jour l’étendue de son rôle, de la régulation de notre température corporelle à la perception de nos émotions. Bref, de façon assez logique on peut percevoir le pouvoir qu’elle aura le jour J pour performer.
Est-ce toujours productif de s’écouter ?
Les résultats se sont avérés plus complexes que ce à quoi on pourrait s’attendre. En fait, ils soulèvent des questions intéressantes quant à savoir si l’écoute de notre corps est aussi importante que nous le pensons, et si cela pourrait même être contre-productif dans certaines circonstances.
L’étude a été dirigée par Hayley Young, psychologue à l’Université de Swansea en Grande-Bretagne. Elle et ses collègues ont comparé des sprinteurs, des coureurs de fond et des sédentaires dans deux sous-études distinctes. Les athlètes ont ensuite été divisés en deux groupes : élite (classés dans le top 100 en Grande-Bretagne) et non élite.
Dans la première étude, 213 participants ont rempli un questionnaire en ligne évaluant leur conscience intéroceptive auto-déclarée. Cela impliquait divers éléments distincts comme être conscient des sensations corporelles confortables et inconfortables, être capable de diriger son attention sur ces dernières et être conscient des liens entre les sensations corporelles et les émotions.
Les résultats globaux ont montré que les athlètes ont obtenu des scores plus élevés que les non-athlètes, ce à quoi vous vous attendez, et les sprinters devant les coureurs de fond, ce qui est plus surprenant compte tenu du lien supposé entre l’intéroception et la gestion de l’effort.
Lorsque l’on regarde les éléments individuels de l’intéroception, les résultats le sont encore : les athlètes élites montraient en moyenne une conscience émotionnelle, une autorégulation et une écoute corporelle plus faibles.
L’auto-déclaration a ses limites, bien sûr. Peut-être que les athlètes élites sont simplement plus conscients de leurs propres lacunes intéroceptives car ils écoutent leurs sensations au quotidien.
Ainsi, la deuxième étude a testé plus directement l’intéroception dans un échantillon plus petit de 58 sujets. Une tâche impliquait de s’asseoir tranquillement et de compter les battements de leur cœur pendant une période de temps prescrite.
Cela semble vraiment facile car nous en avons l’habitude à l’effort ou en phase de récupération. Mais au repos, cela peut s’avérer beaucoup plus difficile que prévu et le biais est qu’il est possible de simuler un résultat car nous savons toutes et tous quelle est notre fréquence cardiaque au repos.
Le deuxième test évite ce problème : tout en étant connecté à un ECG, il fallait regarder un cercle clignoter sur un écran et déterminer s’il était synchronisé ou non avec son propre rythme cardiaque.
Les résultats étaient une nouvelle fois mitigés. Dans des conditions normales, les athlètes et les non-athlètes ont obtenu des scores similaires aux deux tests, bien que les athlètes aient eu tendance à être plus confiants dans leurs réponses que les sédentaires.
Lorsqu’ils ont répété le deuxième test avec un bruit de foule simulé comme distraction, les athlètes faisaient mieux que les sédentaires. Mais lors du test de de relevé des battements de cœur, les athlètes élites étaient encore une fois nettement moins bons que les non-élites.
On fait quoi de tout ça pour la performance ?
Comment donner un sens à tous ces résultats ? Le premier constat est déjà cette confirmation que quelque chose est différent avec les athlètes, mais nous ne savons pas quoi ni pourquoi. Néanmoins, il est intéressant de considérer certaines explications possibles.
Une option serait qu’être hypersensible à ce que votre corps ressent pourrait finalement être un inconvénient dans les sports d’endurance, où la majorité de ce que l’on ressent est une mauvaise nouvelle.
Autrefois, nous avions l’habitude de diviser les stratégies cognitives en deux groupes : les coureurs loisirs ont tendance à se dissocier (c’est-à-dire à se distraire) tandis que les coureurs élites auront tendance à s’associer (c’est-à-dire à se concentrer intensément sur la tâche à accomplir et sur ce qu’ils ressentent).
Certains psychologues du sport ont trouvé une image plus nuancée, dans laquelle les coureurs expérimentés passeraient de la distraction à l’auto-surveillance en fonction du contexte, car trop se concentrer sur la façon dont vous vous sentez pendant une course pourrait rendre l’effort plus difficile.
Il existe également un consensus dans la littérature sur l’apprentissage moteur qui indique que les actions familières se déroulent plus facilement lorsque l’on ne se concentre pas en interne sur les mouvements ou les actions que l’on pourrait réaliser mécaniquement. En clair, savoir se mettre en pilotage automatique à des moments clefs.
Dans une action technique comme le tir au panier au basket, nous savons tous que le ballon rentrera plus souvent en pensant au ballon rentrant dans le cerceau qu’en pensant à garder son coude plié à un angle spécifique.
Ce constat se fera également en course à pied, vélo ou natation, nous serons plus efficaces en évitant d’être hyper concentrés sur la façon dont nos membres se déplacent dans l’espace à partir du moment où notre geste peut être automatisé. Cette ligne de pensée s’applique à la fois aux sprinteurs et aux coureurs de fond, offrant une explication de la raison pour laquelle les deux groupes pourraient être moins à l’écoute de leur corps.
À l’inverse, il se pourrait que l’entraînement et la compétition interfèrent avec l’intéroception. Peut-être que pousser notre corps régulièrement au-delà de ses limites de confort nous oblige à ignorer tous les signaux de détresse qui bombardent le cerveau.
Au fil du temps, les ignorer devient une habitude et vous êtes moins en mesure de juger de ce que vous ressentez car cela est plus commun que pour un sédentaire.
Bien sûr, il vaut la peine de se demander si s’asseoir sur une chaise en comptant les battements de cœur est un test pertinent des capacités intéroceptives d’un athlète élite.
Les signaux auxquels les athlètes d’endurance sont vraisemblablement attentifs sont ceux qui affectent les performances et révèlent si un niveau d’effort donné est durable dans l’effort projeté.
Lorsque je suis au milieu d’une course, je ne compte pas les battements de cœur, ni n’estime les niveaux de lactate ou la température centrale.
Je suis à l’écoute d’une évaluation globale plus générale de l’intensité de mon effort par rapport à l’intensité à laquelle je m’attends à être à ce moment de la course. Ce que les chercheurs appellent mon effort perçu.
Qu’est-ce que l’effort perçu ? Une vue d’ensemble de tous ces autres signaux : fréquence cardiaque, niveaux de lactate, température centrale, etc. C’est ce point de vue qui nous amène à croire que les athlètes d’endurance élites devraient être meilleurs en intéroception que les sprinteurs et les non-athlètes.
Mais un autre point de vue, exposé dans une nouvelle revue de littérature de la référence Sport Medicine (https://link.springer.com/article/10.1007/s40279-022-01762-4) vient apporter des informations essentielles. Elle nous renseigne sur le fait que la perception d’effort ne reposerait pas exactement sur les réactions du corps.
Au lieu de cela, elle serait entièrement générée dans le cerveau et quantifie essentiellement la « puissance » d’un signal que votre cortex moteur envoie aux muscles.
Si les muscles de vos jambes sont fatigués, ils ne fonctionneront pas aussi bien, le cerveau doit donc envoyer un signal plus fort pour maintenir l’intensité souhaitée. Subjectivement, vous ressentez cela comme un niveau d’effort plus élevé ou inversement donc si vous drivez votre course au ressenti.
On pourrait trouver ce point de vue surprenant, mais les preuves sont intrigantes. Cette nouvelle revue, dirigée par Benjamin Pageau de l’Université de Montréal, regroupe les données d’études où les signaux entrants du muscle au cerveau sont bloqués par des médicaments périduraux et l’effort perçu ne diminuait pas.
Alors peut-être que les athlètes d’endurance ne sont pas à l’écoute des signaux intéroceptifs parce qu’ils n’ont pas besoin de l’être : ils obtiennent toutes les informations dont ils ont besoin à l’intérieur de leur cerveau.
Pour l’instant, la seule véritable conclusion que nous pouvons tirer est que le sujet n’est pas aussi évident que nous aurions pu le supposer. L’un des points clés de Young est que l’intéroception est un concept trop large.
Il est très peu probable que nous finissions par conclure que l’écoute de votre corps est globalement « mauvaise », car ce sujet demande encore beaucoup de travail de recherche pour des conclusions claires. Mais nous pouvons constater que certaines façons d’écouter, dans certains contextes, sont plus utiles que d’autres, et certaines pourraient même être contre-productives pour les athlètes.
Il est donc important dans certains de vos entraînements et vos compétitions d’analyser vos capacités d’écoutes et savoir quoi en faire.
On voit par exemple beaucoup de sportifs amateurs mal gérer leurs stratégies d’allure en compétition.
Il est primordial d’intégrer cet aspect dans votre préparation pour savoir écouter et surtout analyser les signaux de notre cerveau.
Savoir faire le tri entre une information bonne et mauvaise. Lorsque mon cerveau me demande de ralentir quelle en est la raison ? Si par exemple à tel instant de la course il me dit que je risque une surchauffe à continuer à cette allure alors je devrais analyser si oui avec le kilométrage restant, la météo ambiante, mon niveau hydrique il a raison et que ralentir devrait même me permettre de regagner des places plus tard dans la course.
À l’inverse s’il me donne cette information alors que différents éléments me suggèrent que je pourrai tenir jusqu’au bout, alors c’est peut-être simplement que l’effort est désagréable, qu’il va falloir serrer les dents jusqu’à la ligne d’arrivée et même le voir positivement car il doit aussi l’être pour mes adversaires.
En clair, retenez que la capacité à écouter ses signaux aux moments clefs et à bon escient pourra être une arme très puissante et surtout bien trop souvent oubliée ou mal utilisée.
Et donc qu’à l’inverse il faut savoir se mette en pilotage automatique la majorité de la compétition et cela aussi se travaille en préparant sa course physiquement, mentalement et stratégiquement. Bons objectifs estivaux.