Dans le hall de son hôtel de Nogent-sur-Marne où il est arrivé ce vendredi matin, Stephen Kiprotich montre du doigt la photo accrochée sur sa gauche. Une photo de la Tour Eiffel en noir et blanc. « De quand date sa construction ? ». « C’est loin d’ici ? ». « Et comment s’appelle celui qui l’a construite ? ». Il a du mal à comprendre le nom de Gustave Eiffel, et demande à ce qu’on le lui écrive sur un bout de papier. On l’aurait compris rien qu’à ses yeux qui pétillent, il a « très envie » de voir le monument payant le plus visité au monde.
Logiquement, on l’interroge alors sur Paris, à deux jours de sa participation au 22èmesemi-marathon de la capitale. « J’ai été heureux d’être invité ici. Parce que Paris, c’est un rêve ».
Il ne le cache pas, ce dimanche 2 mars 2014 n’est toutefois pas l’objectif premier de sa saison. C’est un chemin vers Londres, dont il courra le prestigieux et très relevé marathon le 13 avril prochain. « Mon objectif à Paris, c’est de faire un bon résultat. Si je termine aux alentours d’1 heure ou 59 minutes, je serai content. Ce sera de bon augure pour Londres. Et bien sûr, la victoire serait un plus ». L’an dernier, l’Ougandais a porté sa référence chronométrique personnelle sur 21.1 kilomètres à 1h01mn15s à Granollers (Espagne). « J’ai battu mon précédent record de plus d’une minute. Et j’étais tout seul. A Paris, il y a un gros plateau. Et j’aime ça. Alors, si toutes les conditions sont réunies, je me dis que je peux encore faire mieux ».
De même, il se connaît une marge de progression sur marathon, SA véritable spécialité depuis maintenant trois ans et ses débuts à Enschede, aux Pays-Bas. « Au départ, je ne devais courir qu’en tant que lièvre. Mais les organisateurs m’ont dit : « si tu peux et veux terminer,vas-y ». A un moment, je me suis retourné, il n’y avait personne derrière ». Bilan : une victoire en 2h07mn20s, toujours son record personnel.
Comme tout champion de son rang, il court évidemment après le chrono. Mais entre le record du monde et un titre olympique, il est catégorique : « Les titres sont plus importants. Un record peut être battu tous les jours. Alors qu’un champion olympique, il n’y en a qu’un tous les quatre ans ».
Il en sait quelque chose. Lui qui, à la surprise générale, a décroché la médaille d’or aux Jeux Londres en 2012, au nez et à la barbe des grandissimes favoris Kényans et Ethiopiens. Lui qui, un an après, a récidivé en devenant champion du monde à Moscou. « C’était important pour moi de confirmer », avance-t-il.
« Tout le monde croit que je suis Kényan », lance celui qui s’entraîne d’ailleurs au Kenya. Mais à l’entendre lancer dans un grand sourire « il faut venir visiter l’Ouganda ! », ses origines ne font aucun doute. Et dans son pays, son titre olympique l’a propulsé au rang de véritable star. « C’est vrai, tout le monde voudrait être ami avec moi aujourd’hui ! Et je suis invité partout. Mais je dois rester concentré sur mon objectif et ne pas me disperser ».
Il se souvient que plus jeune, il ne « rêvait pas vraiment de devenir marathonien. Ce que je voulais, c’était devenir le meilleur athlète du monde. Mais sur la piste, je n’étais pas assez bon pour ça. Alors j’ai décidé de passer au marathon. Ca s’est révélé assez facile pour moi, donc j’ai continué ». Son palmarès plaide déjà en sa faveur.
Mais Stephen Kiprotich vient tout juste de fêter ses 25 ans (le 27 février 2014). Autant dire qu’il a l’avenir devant lui. Spontanément, il évoque ses objectifs à long terme : « les Jeux Olympiques de 2020… et 2024 ! ». On se permet de lui rappeler qu’il y aura Rio, avant, en 2016. « Ha oui ! Mais ça, c’est demain ! La question ne se pose même pas ! ».
Ses ambitions ne l’empêchent pas de programmer ses saisons avec mesure. « Le corps n’est pas une machine. Beaucoup d’athlètes se blessent parce qu’ils ne se laissent pas assez de temps de repos. En ce qui me concerne, l’an dernier, après les championnats du monde (en août, ndlr), j’ai fait l’erreur de repartir sur une préparation pour New York. Résultat : je n’ai pas été performant (il termine 12ème en 2h13mn05s, ndlr). C’était une leçon ».
En 2014, après son marathon d’avril, il envisage une autre destination à l’automne. « Mais on verra en fonction de ce qui se passe à Londres », tempère-t-il, avant de partir pour un footing de 40 minutes le long de la Marne. Une courte sortie qui ne devrait pas lui permettre d’apercevoir la Tour Eiffel. Mais ce n’est peut-être que partie remise.