« Droit ». « Humain ». « A l’écoute ». Dans le milieu de la course à pied et particulièrement du trail, ils sont nombreux et nombreuses à vanter ses qualités. Mais Philippe Propage n’a pas encore le don d’ubiquité. Pour ce dernier week-end de mai 2015, il ne sera pas chez lui, à Bonson, dans la Loire. Son fils vient pourtant de Perpignan. Sa fille, sa petite-fille de quatre ans, seront là aussi. Le « repas de la fête des mères », un incontournable, chez les Propage. « C’est peut-être la première fois que je ne serai pas là ». Derrière sa célèbre moustache noire et sa voix forte et claire, on devine un pincement au cœur.
Mais l’entraîneur a rendez-vous avec l’équipe de France de trail, qu’il encadre depuis qu’elle est née, environ sept ans plus tôt. Direction Annecy-le-Vieux, pour ses « dixièmes championnats du monde » dans l’encadrement, toutes disciplines confondues. « Et je ne suis encore jamais revenu bredouille », sourit celui qui côtoie aussi les athlètes spécialistes de 100 km et de 24 heures.
Il a fait ses gammes avec un ballon au pied plutôt que sur le tartan. « Quand j’ai arrêté le foot vers 30 ans, je suis passé devant la glace et je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose », rigole-t-il avec son accent du Forez. « Il y a une course, les Lieues Foréziennes, à Bonson. Les deux premières années, j’étais bénévole sur un carrefour. Et puis à force de me faire engueuler, la troisième année je me suis dit que j’allais courir. Le 10 kilomètres. J’ai souffert le martyre et marché la moitié du temps ». Du haut de son mètre 90 et de ses (presque) 56 ans, il raconte aujourd’hui comment il a finalement « mis les pieds » dans l’athlétisme… « et le bras est parti avec ».
« J’ai épluché les revues, tout ce qui se disait. J’ai perdu dix kilos. La première année, j’ai pris le calendrier hors-stade de la Loire, il y avait 60 courses, je les ai toutes faites. Ça m’a permis de progresser très vite ». Il a aussi rejoint le club d’Andrézieux-Bouthéon. « J’étais le seul senior, je me suis entraîné avec les deux cadets ». Et puis il a intégré le premier cru de formation d’entraîneur hors-stade. « Au foot aussi, j’entraînais. J’ai toujours aimé savoir pourquoi on faisait les choses ».
A son actif : quelques marathons, « sans jamais avoir réussi à passer sous les 3 heures. C’aurait été mon rêve. Et pourtant, cinq minutes, qu’est-ce que ça peut faire ? Ça ne change pas la face du monde ! ». Mais lui qui gère aujourd’hui une quarantaine d’athlètes, sait que quelques minutes peuvent parfois beaucoup compter. Reste les lois de la nature : « 3 heures, je crois que c’était ma limite physiologique. En trail, J’ai fait des courses de 70/80 kilomètres. Mais je pense que j’étais plus fait pour 40/50. Au-delà, j’étais toujours en difficulté pour finir. Physiologiquement, on n’est pas tous égaux. Comme je dis souvent aux athlètes, ils doivent d’abord remercier papa et maman avant leur entraîneur ». D’ailleurs, s’il sourit en confiant qu’il a gagné presque toutes les grandes classiques du trail, il rappelle : « Les courses que j’ai gagnées, c’est avec mes athlètes. Et c’est beaucoup plus facile ! ».
Lui, le coureur « du ventre mou du peloton », qui a connu la naissance du trail, « un autre siècle », avec « 300 à 400 personnes au départ des Templiers », et découvrait « parfois dans le journal » qui avait gagné les courses auxquelles il participait. Ce coureur-là, qui n’a « plus vraiment le temps de courir » mais « essaie d’aller au club une fois par semaine », en se « greffant à la séance du jour », martèle que les entraîneurs doivent faire preuve « d’humilité ». « Quand un coureur me remercie, ça me fait plaisir, bien sûr, mais je dis toujours : « c’est vous qui courez, moi je suis devant mon ordinateur ». Les champions sont champions avant qu’on les prenne en charge. On essaie juste de les emmener au maximum de leurs propres qualités, quel que soit le niveau d’ailleurs ».
« Mon salaire, ce sont les résultats des athlètes »
Il gère – ou a géré – entre autres Thierry Breuil, Maud Gobert, Gilles Guichard ou Sylvain Court, mais « continue à entraîner des gens de tout niveau. C’est important. Sinon, on oublie les bases de l’entraînement, de la course en elle-même ».
Certains le surnomment « Big Moustache ». Pour beaucoup, c’est « Phil ». Voire « Papa Phil ». Parce que dans sa maison où il trouve un peu de temps pour s’occuper de son jardin – « mais pas des fleurs, ça c’est ma femme » – le téléphone est « ouvert tout le temps ». Il ne déconnecte jamais. « J’essaie d’être le plus réactif possible. Ma belle-mère vit en Haute Loire, et chez elle, même avec la clé 3G c’est impossible d’avoir un accès internet. Alors je prends ma voiture, et je descends au village », sourit-il.
Pour ses activités avec les équipes de France, Philippe Propage est bénévole. Au même titre qu’il l’était sur une course caritative près de chez lui dernièrement. « Avec ma femme, on était aux inscriptions. On les a clôturées cinq minutes avant le départ… et j’ai ensuite couru le 20 kilomètres. Sans chrono. En prenant le temps de discuter avec les gens. Et de demander, aux ravitaillements, qui était en tête ». Sourire. « C’est Gilles Guichard qui a gagné ».
Donner de son temps, il a ça dans le sang. Quand on lui a confié l’organisation des Mondiaux de cross 2005 à Saint-Galmier, il a mis toute son énergie dans l’affaire, pendant deux ans. Et posé « un mois de congés sans solde » avant l’épreuve. Les stages des équipes de France, il s’arrange pour les organiser pendant les vacances scolaires.
Parce qu’on pourrait l’oublier, mais Philippe Propage a un métier. Il encadre les équipes techniques dans un lycée d’Andrézieux. Les vacances scolaires, ce sont donc ses congés… qu’il utilise pour bichonner ses athlètes. « Mon salaire, ce sont leurs résultats. C’est leur façon à eux de me dire merci ».
Ses journées « officielles » de travail s’étalent de 8 à 18 heures. Mais sa casquette d’entraîneur, il la chausse dès 5 heures du matin. C’est à ce moment-là, et aussi le soir, qu’il « corrige les devoirs » devant son ordinateur. En découvrant les observations de ses poulains, en retour de leurs séances d’entraînement. Etre à l’écoute, et s’adapter, c’est son credo. « Le pire serait de dire « moi j’entraîne comme ça, alors tu vas faire comme ça » », soutient-il. Ce qui implique une relation de confiance avec ses athlètes. « Je veux tout savoir d’eux, explique-t-il. Un surcroit de travail, un problème personnel, peuvent avoir des incidences sur l’entraînement. Le triptyque famille/sport/travail est essentiel. Il faut que les trois maillons fonctionnent ». Ca vaut aussi pour lui. « J’essaie d’impliquer ma femme au maximum. Elle a couru. Et encadre un groupe de marche nordique quatre fois par semaine. Elle sait ce que c’est. Si elle ne s’y intéressait pas, ça ne marcherait pas ». Et les concessions vont aussi dans les deux sens. Cet après-midi-là, juste avant le jour férié de l’Ascension, Philippe Propage confiait : « Jeudi, j’aurais pu aller courir, mais on ira ensemble repérer un circuit de marche ».