C’est l’histoire d’un homme qui a encore les yeux qui brillent en évoquant le poster du Mont Cervin (Italie, 4 478m) affiché dans sa chambre d’enfant. L’histoire d’un athlète de (presque) 26 ans qui a gagné toutes les courses dont il rêvait. L’histoire d’un amoureux de la montagne qui avoue avoir bien du mal à rester plus de 24 heures en ville. Kilian Jornet vient pourtant de passer 48 heures à Paris. Ce dimanche 23 juin il a ainsi participé aux 10 km l’Equipe (voir les résultats) sous les couleurs de Mécénat Chirurgie Cardiaque. Et le lendemain il a présenté son film, « A fine Line » lors de deux séances en soirée au MK2 Bibliothèque.
Plus à l’aise sur les chemins que micro en main devant 600 personnes, l’Espagnol avoue qu’il ne s’est pas entraîné ce lundi « pour la première fois depuis longtemps ». Mais il a aussi pu mesurer sa cote de popularité qui dépasse définitivement les frontières de la Catalogne, de l’ultra trail ou du ski alpinisme. « C’est surprenant. Dans une grosse ville comme Paris, les gens courent surtout sur la route même s’il y a aussi des sentiers pas très loin. Et je m’aperçois qu’ils aiment aussi le trail running, ça fait plaisir ».
Lui qui a remporté trois fois l’UTMB (2008, 2009 et 2011) et deux fois le Grand Raid de la Réunion (2010 et 2012) ne fait pas mystères de l’origine de son projet « Summits of my life ». « Je n’avais pas la motivation pour refaire les mêmes choses, les mêmes courses juste pour essayer de faire mieux. Il fallait que je pense à d’autres choses qui me motivent. Ces rêves, je les ai depuis toujours. C’était le moment de se dire « on y va » ».
Lancé en 2012 (voir la présentation), ce projet d’ascension des plus grands sommets du monde court a priori jusqu’en 2015. Avec l’Everest en point d’orgue. « Même s’il est banalisé depuis quelques années, je crois qu’il y a la possibilité de faire quelque chose d’intéressant là-bas, avec notre philosophie ».
Ce que Kilian Jornet martèle, ce sont ces valeurs que lui et son équipe souhaitent véhiculer. Des valeurs qui ne sont « ni bonnes ni mauvaises, mais qui sont les nôtres ». « L’idée, ce n’est pas seulement de battre un record ou un temps. C’est une façon d’aller en montagne. Très légère, tant en matière d’équipement que d’assistance. Je veux une montagne très pure. On n’est pas là pour faire un show ».
Le Catalan a pourtant bien conscience que son film – « A Fine Line » – qui revient sur la première année de son projet, suscite quelques interrogations quant aux moyens mis en place pour le tournage. « C’est vrai que les images sont spectaculaires. Les gens s’imaginent qu’il y a plein de caméras. Mais Sébastien (Montaz, ndlr) est le seul à filmer. Il est capable de bouger à mes côtés en montagne avec un appareil et de sortir des images incroyables. C’est vrai qu’on utilise parfois un hélicoptère. Mais on se limite ».
Kilian Jornet a grandi dans un refuge et fait de la montagne l’un de ses premiers terrains de jeu. « Mais plus tu acquiers d’expérience, moins tu connais la montagne », lance-t-il, encore marqué par la mort de son ami Stéphane Brosse lors de leur tentative de traversée du Mont-Blanc il y a un an (voir plus d’informations). « La montagne nous apporte beaucoup de bonheur, mais nous enlève aussi beaucoup ». Il l’affirme, cet accident l’a amené à se poser une question : « Et-ce que ça vaut le coup de continuer ? ». « La réponse est oui. Parce que c’est ce qu’on aime. On était conscient que ça pouvait arriver. Si tu t’interdis de faire la montagne comme cela parce que tu as perdu des amis, alors tu perds aussi une partie de toi… et d’eux ».
2013 sera donc l’année des sommets européens, avec les tentatives de record d’ascension et de descente de trois sommets : le Mont-Blanc, le Mont Cervin et l’Elbrouz (Russie). Mais Kilian Jornet ne déserte pour autant pas les pelotons. Le marathon du Mont-Blanc, la Kilian’s Classik, l’Ice Trail Tarentaise, les championnats d’Europe de Skyrunning dans les Dolomites et le Grand Raid de la Réunion sont notamment à son programme. « Mon entraînement ne change pas vraiment par rapport aux autres années. Il reste toujours anarchique, mais pas inconscient ! Je m’entraîne au feeling, aux sensations. La seule chose que je prévois, c’est si la semaine va être plutôt courte ou longue, et ensuite je vois comment je me sens ».
Pressé de retourner chez lui, à Chamonix, après deux longues journées d’urbanisme, Kilian Jornet sait que ses performances suscitent admiration et envie. Mais l’Espagnol insiste sur la nécessité de ne griller aucune étape : « Aujourd’hui, on a tendance à croire que la liberté, c’est de pouvoir tout tester. Faire de la plongée, conduire une voiture sur un circuit, monter au sommet du Mont-Blanc,… Tout cela sans prendre le temps d’apprendre. Mais la liberté, ce n’est pas ça, c’est le contraire. C’est de choisir une ligne et de la suivre ». Reste ensuite à chacun de trouver « ses propres rêves » et de « se donner les moyens pour y arriver ».
Pour plus de renseignements sur le film » A fine line » : le site de Summits of my Life