Mercredi 11 juillet 2012. Paris, Stade Charléty, il est un peu plus de 19 heures, et Assia El Hannouni vient de remporter haut la main (en 55s11) son 400 m couru face à des athlètes valides. « Ce soir, il y avait deux athlètes handisport présents sur ce meeting (Trésor Gautier Makunda courait lui aussi le 400 m, ndlr). Et ça ne pose aucun problème. Il y a encore quelques années, il fallait faire des pieds et des mains pour participer à une épreuve valide. Les choses ont évolué », sourit la championne.
Pour Assia aussi, beaucoup de choses ont changé. En 2004, le grand public l’a découvert aux Jeux Paralympiques d’Athènes, où elle a raflé quatre médailles d’or. En 2008, elle a connu une expérience « top », « magique » : porte-drapeau de la délégation paralympique française aux Jeux de Pékin. « Moi, personne handicapée, femme, d’origine maghrébine, j’étais la première personne à entrer dans le stade ! C’est ça la France, toutes ces cultures différentes, c’est ce qui fait la force de notre pays ». Sa voix s’emballe à l’évocation de ce si précieux souvenir. « Je me souviens de tout. Il y a une sorte de compétition entre les pays, pour savoir qui aura la meilleure tenue, qui respectera le mieux le protocole. On est beaucoup regardé au moment du défilé ».
Regardée, Assia El Hannouni l’est aujourd’hui un peu moins. Parce qu’elle a 31 ans, et que la nouvelle génération attise davantage les regards. « Mais je ne suis pas jalouse. Marie-Amélie Le Fur (lire son portrait), par exemple, travaille aussi dur que moi. Elle récolte les fruits de son travail. Les gens m’oublient un peu, mais ce n’est pas plus mal, on me laisse tranquille ».
Assia El Hannouni Née le 30/05/1981 à Dijon (21) Palmarès 2011 2008 2006 2004 2003 |
Il n’empêche, elle s’apprête à vivre sa troisième olympiade, à Londres cette fois. « Les Jeux de la maturité », comme elle aime les appeler. Avec toujours la même excitation. « Bien sûr, parce que ce sont les Jeux. Ceux qui disent que l’excitation n’est plus la même mentent. Sinon, on ne s’entraînerait pas autant pour y aller ». A Londres, elle compte même « prendre encore plus de plaisir. Je n’aurai pas de stress particulier, je ne serai pas porte-drapeau ».
Le principal changement vient sans doute de son entraînement. Depuis deux ans, elle a intégré le groupe de Bruno Gajer à l’INSEP. « Je ne me suis jamais sentie aussi épanouie. Mais je n’ai jamais autant souffert. A vomir en fin de séance. Etre dans ce groupe me donne des ailes. Bruno m’a appris la rigueur à l’entraînement. A être autonome. Il n’est pas tout le temps derrière moi, il ne peut pas s’occuper que de moi. A Londres, il ne sera pas à mes côtés pendant l’échauffement. Je vais me gérer de A à Z. Ca veut dire gérer le stress, des éventuels retards, etc… Aujourd’hui, je me sens vraiment athlète de haut niveau ». Une évolution que la quadruple médaillée de Pékin (2 fois en or, 2 fois en argent) résume sobrement : « J’ai grandi ».
Son ambition n’a pas minci. A Londres, elle veut « tout gagner ». Comprenez par là gagner sur les trois distances sur lesquelles elle est engagée : 100, 200 et 400 m. « Je voudrais aussi battre mon record sur 400 m. A Athènes, j’avais réalisé 53s67, avec mon guide (Guy Mormin à cette époque, ndlr). Là, je voudrais courir en 53 secondes, seule ».
Gautier Simounet, son guide depuis 4 ans, l’accompagnera donc uniquement sur 100 et 200 m. Celui en qui elle dit avoir « confiance à 300% » lui offre la possibilité de n’avoir « qu’une seule chose à penser : courir ». Déficiente visuelle, Assia El Hannouni ne voit « pas à plus de 5 mètres », n’a « aucune vision sur les côtés, en haut et en bas » et a « du mal à reconnaitre les visages ». « En course, je ne vois pas les autres. Je les entends, mais ce n’est pas toujours facile de savoir où elles sont précisément. J’y laisse beaucoup d’énergie. Gautier me permet d’avoir un poids en moins sur les épaules. Je n’ai pas à me préoccuper de savoir où j’en suis par rapport aux autres, à essayer de savoir où elles sont ».
Courir avec un guide n’a pourtant pas toujours été facile à digérer pour celle dont la vision s’est dégradée à l’adolescence. « J’avais envie d’y arriver toute seule, mais il faut se rendre à la réalité ». Alors elle l’avoue, elle a « râlé », « été très, très chiante ». Mais le temps lui a finalement « appris à ne plus râler ». « Aujourd’hui, Gautier m’est indispensable ». C’est peut-être aussi cela, la maturité.