Menthon Saint-Bernard. 70ème kilomètre. Troisième et dernier ravitaillement avant l’arrivée. Dawa Sherpa s’avance vers la table de l’équipe de France. « Ca va ? », lui lance Gilles Guichard. « Ca va, c’est moins fatigant de ravitailler ! », celui qui a troqué sa casquette de coureur pour celle de chef de la délégation népalaise. « Oui, mais… y’a du stress quand même », enchaîne Gillles Guichard.
C’est que dans le staff tricolore, on s’active depuis le petit matin. La pleine nuit, même. Voire plus. « Avec Philippe (Propage, ndlr) on n’a quasiment pas dormi de la nuit. Au plus, une demi-heure », confie Gilles Guichard.
Lorsque l’équipe de France se retrouve à quelques encablures de la ligne de départ des championnats du monde de trail, peu avant 3 heures du matin, la quantité de sommeil est une question légitime. « Impossible de fermer l’œil, comme d’habitude avant une grande épreuve », souffle Sylvain Court. « Non, pas dormi », lâche Julien Rancon avant de nuancer : « Enfin, en fait, je ne sais pas vraiment ». Pour Xavier Thevenard, il y a de bons indices : « J’avais laissé mon portable en mode vibreur. J’ai eu des appels à 20h30, je n’ai rien entendu ».
Au fond, qu’importe, l’heure n’est plus à dormir. Les dix-huit athlètes portant la tunique bleu-blanc-rouge s’élancent à 3h30. Derrière eux, un staff tricolore réparti en quatre voitures. Deux sont déjà en route vers les postes de ravitaillement numéro deux et trois. Deux autres prennent la direction du Semnoz. « Espérons qu’il n’y ait pas de couacs », lance le manager Jean-François Pontier. « Ni de blessés », complète Guillaume, l’un des kinés.
Là-haut, à environ 1 700 m d’altitude, pour le premier ravitaillement (18ème kilomètre), la machine est déjà bien rodée. « Ça, c’est pour Julien ». « Ça, pour Ludo ». « Ça, c’est la veste de Xavier ». Les sacs de ravitaillement sont déchargés. Chaque athlète a donné des consignes précises : ce qu’il veut manger et boire, et à quel moment. « Il faudrait détacher quelqu’un qui se mette un peu en amont et gueule quand les athlètes arrivent », demande « Jeff ». Dans la nuit, les coureurs ont été briefés : ils crient leur prénom pour aider le staff à anticiper au mieux leurs besoins. Parfois, ce sont des questions matérielles. « Tu veux de l’eau ? ». « Pas de coca ? ». Et parfois, c’est du registre du coaching. « Allez, Nico, c’est bien, fais ce qu’on t’a demandé », encourage Philippe Propage à Nicolas Martin, 14ème à ce moment-là. Lorsque les neuf Français ont pris leurs victuailles et poursuivi leur route, le coach bouscule gentiment ses collègues : « Allez, faites-nous de la place, on installe le ravitaillement pour les filles ». Anne-Lise Rousset, Caroline Chaverot et Nathalie Mauclair déboulent à toute vitesse. « Doucement, ne vous affolez pas ! ». On tempère les ardeurs, on rassure… mais on s’active !
Une première voiture lève le camp. Direction Doussard, kilomètre 43,5, pour le deuxième poste de ravitaillement où Laurence est déjà en place depuis 4 heures du matin. Dans la voiture, le téléphone sonne. C’est Philippe Propage. « Sébastien (Spehler) a mal à la cheville, il faudra peut-être prévoir un strap », explique « Jeff » à Guillaume. Sur place, la même mécanique se met en place, dans la bonne humeur. A quelques minutes de l’arrivée des premiers, Marilyne, l’autre kiné, chambre : « Allez, Jeff, sois concentré dans ce que tu sais faire. Tu l’as travaillé à l’entraînement ! ».
Sébastien Spehler débarque en trombe. « Ta cheville ? ». « On s’en fout ! ». En quelques secondes, le ravitaillement est embarqué. Ca va tellement vite qu’on se demande parfois qui a déposé quoi. « C’est à qui cette frontale ? ». « Allez, tant pis, on la range, de toute façon, ils n’en auront plus besoin ». Il est 8 heures. Philippe Propage plaisante : « Oui, j’espère bien qu’ils seront arrivés avant la nuit ! ».
« Tout le monde a mal ! Allez, y’a le titre en jeu »
On est à mi-parcours, mais la seconde partie est réputée difficile. La première voiture arrive au dernier ravitaillement de Menthon Saint-Bernard vers 9 heures. On réactualise (très) régulièrement le classement live de la course. Des membres d’autres délégations se massent autour de l’ordinateur portable de Jean-François Pontier. Rien n’est joué pour les podiums individuels. Et on ne s’enflamme pas pour les classements par équipes.
9h53, le staff apprend que Sylvain Court et Sébastien Spehler approchent… et sont dans les pas de l’Espagnol Luis Alberto Hernando, présenté comme l’homme à battre. « Allez, on y va, y’a du boulot à faire là », serine Philippe Propage. Le coach sait que le mental va beaucoup compter dans les 15 derniers kilomètres. Alors, à Sébastien Spehler qui se plaint de sa cheville, l’encadrement rétorque « tout le monde a mal ! Allez, y’a le titre en jeu ». Entre eux, les responsables de la délégation s’organisent : « Peut-être que ça va se jouer au sprint et qu’on va se répartir dans les deux derniers kilomètres pour les encourager ».
10h45, coup de théâtre. Gilles Guichard raccroche son téléphone, mine sévère : « De sacrées nouvelles. Sébastien a fait un malaise et abandonné. Sylvain est à la lutte avec l’Espagnol. Et Patrick Bringer est troisième ». Le staff s’active. La première voiture file vers l’arrivée. Coincés dans les bouchons, Jean-François Pontier et Gilles Guichard se renseignent comme ils peuvent. Téléphone. Live sur Internet. Enfin garés, ils apprennent que Sylvain Court a pris les commandes de la course. Sourires immédiats. Et coup de file à Philippe Propage, par ailleurs entraîneur de l’intéressé.
11h45. Déjà dix heures depuis le réveil très matinal. Mais les quelques secondes durant lesquelles Sylvain Court s’arrête pour taper dans les mains du staff, à quelques mètres de la délivrance, sont précieuses. « Un vrai bon moment », pour Jean-François Pontier. La médaille de bronze de Patrick Bringer, la victoire de Nathalie Mauclair, la médaille d’argent de Caroline Chaverot et les deux titres par équipes viendront compléter un tableau de chasse rempli au-delà des espérances.
Sous le soleil annécien, l’équipe de France a rempli son contrat. Le staff aussi. On adresse les félicitations de rigueur. Les encouragements mérités – « Bravo, tu t’es bien battu Benoît ». Sans oublier les mots de consolation : « Désolé », souffle un Julien Rancon effondré par sa 19ème place. « Ne le sois pas », lui rétorque-t-on d’emblée dans le camp français. Et Jean-François Pontier de conclure : « On va fêter ça ce soir. Mais il va falloir être là pour soutenir ceux qui sont un peu moins bien et faire en sorte qu’ils en profitent aussi. On est une équipe ».
Quelques photos de l’équipe de France sur les Mondiaux de trail 2015
1 réaction à cet article
christiane
Très beau résumé !!!! bravo aux Français !!! et surtout un hommage à /SYLVAIN COURT , pour cette belle bataille qu,il nous a livrée ( pendant toute la course ) !!! à la hauteur de l, évènement ; merci champion et respect . / mondiaux 2015 /