Nice, ses plages, sa Riviera, ses hôtels de luxe et sa prison. Cette maison d’arrêt, l’une de plus vieille de France (édifiée en 1887) est le théâtre depuis dix ans maintenant d’une initiative appelée PSS et lancée par David Barois, moniteur de sport.
Permissions sorties sportives (PSS), ca veut dire quoi ?
Derrière ces trois initiales se cache un programme permettant à certains détenus de faire du sport de façon suivie et encadrée durant leur détention, ce sont les permissions sorties sportives.
Un programme couronné de succès avec, par exemple, une participation à l’Iron Man de Nice en 2013 pour un détenu, après 7 ans d’incarcération.
Dans la maison d’arrêt de Nice, sur 650 détenus, 300 sont inscrits à la salle de sport et une centaine se montrent assidus dans leur pratique. Pour les adeptes de course à pied, seuls quelques tapis de course sont disponibles ainsi qu’une piste de 135 mètres de circonférence seulement…
Malgré ces installations et équipements qui peinent à encaisser ses cadences soutenues, David Barois s’est donc mis en tête de dénicher des détenus qui pourraient tirer un enseignement bénéfique d’une pratique sportive plus intense et encadrée. «On repère des gars qui nous semblent avoir le profil que l’on recherche et on s’assure aussi de leur sérieux. Après, c’est à eux de venir nous solliciter, on fait du repérage, pas de la recherche de sportifs», explique-t-il. En temps normal, les détenus en maison d’arrêt, on droit à quatre heures de sport par semaine comprenant deux heures en salle et deux heures en extérieur. S’ils intègrent le programme mis en place par David Barois, c’est une heure de sport quotidienne qui leur est accordée.
Une opportunité qu’a décidé de saisir Nabil après son incarcération en 2013.
Nabil, footballeur, volleyeur et coureur à pied débutant
Sur sa condamnation et son passé, Nabil ne s’étendra pas. On apprend tout juste qu’un permis de conduire supprimé lui fait perdre son emploi. « J’ai décidé de me tourner vers de l’argent facile » explique-t-il, parfaitement conscient de son choix. « J’ai fait des études supérieures de psychologie et j’aurais pu choisir une voie honnête. Mais j’ai choisi la facilité. Je suis tombé deux jours avant de reprendre le boulot… » souffle-t-il.
Alors quand on entame la discussion, Nabil n’y va pas par quatre chemins : « Quand tu rentre en prison, c’est comme si on te mettait dans un frigo ». Façon de dire que le temps s’arrête et que l’on perd totalement ses repères. Les 20 heures d’enfermement quotidiens ont vite raison des plus endurcis et les détenus sont totalement déresponsabilisés. « On t’ouvre et on te ferme les portes, on te dit quand manger, quand dormir… tu ne contrôle même pas le moment où tu éteins la lumière » développe Nabil.
Le sport est donc devenu pour lui, comme pour beaucoup, un exutoire. Déjà sportif avant son incarcération, il fréquentait régulièrement les terrains de football et de volley. Avec David Barois, il découvre la course à pied et les exigences d’un entraînement quotidien. « Quand tu t’es donné à fond pendant une séance, au moins tu dors bien » glisse-t-il dans un sourire un peu désabusé.
« On ne peut pas tricher dans le sport, il faut aller au bout des choses »
Place donc à des séances concoctées par David Barois, avec un objectif clair et précis sous forme de chrono dans le cas de Nabil. Le suivi est quotidien mais l’équilibre entre accompagnement et favoritisme est aussi délicat à trouver. « Il ne faut pas que les autres détenus voient ça comme des avantages. On est vraiment dans le cadre d’une préparation sportive et c’est plus de sacrifices et de sueur que de récompenses, encore plus lorsqu’on est en prison » confirme David Barois.
A la clé, un chrono de 1h58 sur le Semi-marathon de Nice en 2015, deux minutes en dessous de son objectif de 2h.
« Je n’étais pas spécialement un adepte de la course à pied » enchaîne Nabil, « mais c’est un des seuls sports que tu peux pratiquer de façon intensive en prison. Et puis tu t’entraine seul, donc ça à aussi ses avantages dans le milieu carcéral. Tout dépend de toi et de ta volonté. On ne peut pas tricher dans le sport, il faut aller au bout des choses ».
Après la route, il décide donc avec David de se lancer sur un trail, et sans ironie aucune, s’engage sur le 32 km des Gendarmes et des Voleurs de temps. Pas d’encadrement spécifique et visible pour Nabil et les trois autres détenus qui prennent eux aussi le départ. « On n’est pas là pour faire du fliquage » assure David Barois, « chacun courra à son rythme sur la course et on se retrouvera à l’arrivée pour se raconter tout ça! »
« Les gens du milieu de la course à pied sont vraiment généreux »
Et des choses à raconter il y en aura. Car le trail, c’est une ambiance, des coureurs chaleureux mais aussi du dénivelé et des cailloux. Autant de choses qui intriguaient et attiraient Nabil à la fois. « Avec David, on se lance des nouveaux défis. On avait commencé par de la rando-raquette avant le Semi de Nice. Aujourd’hui, c’est du trail et demain qui sait… »
Un renouvellement nécessaire pour son entraîneur et encadrant car le but recherché est avant tout de responsabiliser à nouveau les détenus qu’il suit au quotidien. « Il faut leur proposer de nouvelles expériences pour qu’ils se remettent en permanence en question » explique-t-il.
David a donc fixé un objectif de 4h sur le parcours de 32 km, et Nabil compte bien s’y tenir. Au delà de cette marque chronométrique, le voyage en terre limousine est également humain. « Le centre de la France c’est pas un coin qui m’attirait particulièrement » plaisante Nabil, « mais j’ai découvert des gens vraiment généreux. Tous ces bénévoles qui donnent de leur temps, les spectateurs au bord des chemins qui encouragent tout le monde, ça fait du bien de voir ça aussi quand tu es en prison. C’est vraiment un milieu très agréable ».
Dimanche 24 mai 2015, Nabil franchit la ligne après 3h56mn d’efforts, épuisé mais ravi. « Je suis rincé… Moi qui n’avait jamais couru plus de deux heures, je viens de doubler l’effort. Et avec quelques côtes dont je me souviendrais! » lâche-t-il dans un souffle.
David Barois le rejoint quelques minutes plus tard, après une course compliquée. « Je me suis fait opéré du ménisque il y à trois mois » explique-t-il, « je ne pense pas que ma préparation était optimale et j’ai vraiment souffert. Mais on est là pour Nabil et les autres, notre course n’a pas vraiment d’importance. »
Les deux hommes se congratulent, et déjà les plaisanteries par rapport aux temps de chacun fusent.
L’espace d’une course, chacun est devenu un coureur comme les autres, anonyme perdu dans le peloton, et c’est sans doute la plus belle des réussites pour ce programme de permissions sorties sportives.