Les marathoniens ont souvent un chronomètre dans la tête : « Passer à telle heure au semi », « prendre un gel après tant de temps de course ». Les organisateurs, eux, ont un calendrier à la place du cerveau. « Mardi prochain, j’ai une réunion avec la société qui nous fournit les véhicules pour l’épreuve. Mercredi, c’est la journée de reconnaissance avec les dix jeunes et deux adultes qui assureront l’encadrement de la course à vélo. Jeudi, on commencera à couper les cordons pour les médailles. Vendredi, on collectera les cadeaux et dotations qui seront dans les poches remises aux coureurs ». Les yeux sur son agenda, Jean-Marc Giraud énumère la liste des tâches qui vont rythmer ses journées jusqu’au dimanche 15 juin 2014. Les siennes, mais aussi celles de toute l’équipe d’organisation du cinquième Maraisthon, au cœur du marais poitevin, à Coulon.
C’est dans cette charmante commune de 2 800 âmes, à douze kilomètres de Niort et cinq des voisins Vendéens, que la vingtaine de membres actifs de l’association s’active pour accueillir environ 450 marathoniens, 500 coureurs de 10 km et 200 marcheurs. Les inscriptions sont en baisse par rapport à 2013. Jean-Marc Giraud, co organisateur de l’événement avec Alain Giltaire, envisage de « changer la communication » pour l’an prochain. Mais ce sera pour septembre, « après les vacances, quand on commencera à réfléchir à l’organisation 2015, à élaborer la stratégie marketing, les visuels, les supports, pour être opérationnels en octobre, présenter l’événement à la presse et ensuite se rendre au salon du marathon de La Rochelle ».
Une solide logistique
Avant cela, il faut donc boucler cette édition 2014. Et ce mercredi-là, à deux semaines et demi du grand jour, ça commence par une halte dans une jardinerie du coin, dès 10 heures. « Il me manque dix piquets en bois pour le balisage ». Ils sont rapidement chargés dans le coffre de son véhicule et rejoignent le carton rempli de café, sucre et autres éponges qui serviront à l’organisation. Des produits bio, en tout cas choisis dans le respect de la charte éthique de l’épreuve qui pousse à l’extrême la logique du développement durable, sans être menée par des « ayatollahs » de l’écologie. « Un matin à 8 heures, je me baladais à VTT dans le marais en réfléchissant à organiser cette épreuve. La fraîcheur matinale, le silence, un héron cendré qui s’envolait… Tout cela fait que je me suis demandé comment organiser mon événement tout en respectant cet environnement ».
Le point de départ d’une véritable identité pour ce marathon atypique où la rubalise est biodégradable, les sandwichs à base de pain bio, et les déchets triés avec minutie. Des contraintes et exigences supérieures à la moyenne, y compris pour les prestataires.
Il n’empêche, l’épreuve courue à 45% sur chemins blancs, dispose d’un label régional et doit faire faire face aux problématiques de n’importe quelle organisation bénévole. La salle informatique du centre social et culturel de la commune fait office de siège à l’association et Jean-Marc, retraité depuis trois semaines après avoir fini sa carrière dans un grand groupe d’assurance en tant qu’inspecteur sinistre, entasse de la paperasse dans son garage au grand dam de son épouse. Il reçoit aussi des demandes de coureurs toujours plus exigeants : « Une femme qui souhaitait courir avec une autre en relais et ne payer qu’un dossard », une personne qui demandait à « courir avec son chien ».
Ce matin-là, il a envoyé un mail au prestataire buvette et restauration pour lui demander de présenter les sandwichs uniquement dans des serviettes, sans sacs plastiques, et de remplacer les barquettes à frites par des cornets kraft. En début d’après-midi, il répond au journal local et partenaire, le Courrier de l’Ouest : 400 journaux seront déposés à 4 heures le vendredi matin devant son domicile. Puis il appelle l’établissement du Pays Basque avec qui il a négocié un bon cadeau offert par tombola à un coureur, pour tenter de régler un détail.
« L’équipe doit être autonome. Si tout le monde me tombe dessus le jour J, c’est que j’aurai mal fait mon boulot »
L’heure tourne et le co-organisateur file vers la salle des fêtes, accompagné de Maud, jeune étudiante en BTS qui effectue un stage de 10 semaines à l’association. Elisabeth, qui assurera en partie l’animation –franco-anglaise – durant le week-end, vient recevoir quelques consignes. « Ca m’épate, je n’avais pas conscience que le Maraisthon monopolisait autant de monde », confie cette traductrice alors que depuis 18 heures, de nombreux bénévoles défilent dans cette salle des fêtes.
C’est la dernière grosse réunion avant l’événement. Chacun est affecté à une mission précise et Jacques, le responsable des bénévoles, rappelle à tous la grande soirée remerciements du 27 juin autour d’un couscous royal, avant de les orienter. « Toi, tu vas voir Nadette ; toi, Patrick ! ». « On a un organigramme comme dans une entreprise, explique Jean-Marc. Avec des commissions. L’équipe doit être autonome. Si tout le monde me tombe dessus le jour J, c’est que j’aurai mal fait mon boulot ».
Jacques est bien rodé. Il déroule son fichier Excel : « Depuis le début de l’aventure, on a eu 333 bénévoles que l’on relance chaque année. Il en faut au moins 160 le jour J, sinon l’événement n’existe pas ». Sa femme, Nadette, est responsable de la commission restauration. « Le bénévolat, on connaît, sourit-il. On est très attachés au territoire. Dès que des gens ont besoin de nous, on est disponibles. Personnellement, je consacre environ 10 heures par semaine au Maraisthon les deux derniers mois avant l’épreuve », confie celui qui travaille dans l’expertise comptable. A côté, Pierre, ancien directeur d’une mutuelle d’assurance et aujourd’hui formateur dans le même domaine, explique son engagement : « J’ai conscience que dans leur vie, mes enfants ont par exemple plus réaliser certaines activités grâce à des bénévoles qui ont donné de leur temps. On renvoie ce qu’on a reçu ».
Une équipe complémentaire
Antoine, 83 ans, responsable du marquage du parcours la veille et le matin du marathon, s’enflamme en évoquant ses souvenirs d’ancien organisateur de la Coulée Verte à Niort. « Une année, un arrêté préfectoral n’était pas passé pour la coupure d’une route. Les signaleurs avaient eu du boulot… », raconte celui qui courait à la belle époque les 42.195 km en 3h09 et prend aujourd’hui soin de « couper les ronces qui pourraient dépasser sur le chemin et gêner les coureurs ».
Principale angoisse de Jean-Marc Giraud : la météo, parce qu’il ne « la maîtrise pas ». Pour le reste, l’équipe est dynamique, volontaire, et complémentaire. Alain, co-président, le décrit à sa manière : « Je suis informaticien, pour moi c’est blanc ou noir, pas gris. Jean-Marc, lui, il est multicolore ! ». « C’est mieux, on se complète », sourit son acolyte.
A 20 heures, les responsables des commissions se retrouvent autour d’un buffet campagnard, puis d’une table. On évoque longuement un point chaud : le marais poitevin vient de récupérer le label Parc Naturel Régional et l’officialisation sera faite à l’occasion du Maraisthon, en présence de Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Il faut donc adapter le dispositif. Puis on enchaîne sur les problématiques plus habituelles. Il faudrait davantage de bottes de paille pour baliser le parcours. On se briefe sur les dotations données dès le retrait des dossards et celles remises à l’arrivée. On débat sur l’opportunité de mettre en place un système de consignes pour les gobelets. 23 heures approche, un consensus sur le démontage du village après l’événement est trouvé : « On pourra en fin de journée, mais seulement jusqu’au match ». Car ce dimanche 15 juin, ces passionnés se lèveront aux aurores pour assurer la réussite du Maraisthon, mais n’ils oublieront pas l’autre événement de la journée : l’entrée en lice de l’équipe de France dans la Coupe du monde de football 2014, à 21 heures contre le Honduras.