Les 24 h est une course très particulière puisqu’il y aura une ligne de départ pour tous et une ligne d’arrivée pour chacun. Il appartiendra donc à chacune et à chacun de définir cette ligne finale, à l’issue de 24 heures d’efforts que chacun gèrera comme il le voudra, comme il le pourra. Le 24h est la plus longue des courses horaires officielles car il existe également des courses plus « courtes » de 6h et de 12h.
Devenir circadien, un défi unique
Soyons honnêtes, le 24h est une course totalement à part dans le monde de l’ultra endurance, et tout d’abord dans le monde de l’athlétisme. Alors, faut-il admirer ces stakhanovistes du bitume ou simplement les considérer comme des marginaux de la course à pied ? Car même si l’ultra trail a repoussé les frontières du « physiologiquement correct » avec des durées d’effort allant parfois de 24 à 48h, le 24h demeure une épreuve très particulière de par son organisation.
Certes, il est devenu commun de voir des athlètes femmes et hommes parcourir de longues distances pendant une journée et plus, mais cela se passe généralement dans les montagnes alpines, pyrénéennes, voire réunionnaises dans quelques jours également, et sur une unique boucle. Ces courses se caractérisent par des dénivelés importants (+/- 10 000m pour 160 km) et par des paysages somptueux. Le 24h se caractérise lui par l’absence de dénivelé et par la répétition incessante d’une même boucle courte (1100m à Albi) dans un décor peu emballant avec passage obligé par la piste. Les motivations sous-jacentes sont donc différentes et les pratiquants ne sont pas les mêmes, à quelques rares exceptions près.
De plus, si le trail fédère plusieurs centaines de milliers de pratiquants en France (20 000 dossards en 3 semaines de courses ultra de fin août à mi-septembre), le 24h ne regroupe que peu de pratiquants. Les bilans 2018 présentent à ce jour 199 entrées masculines et 78 entrées féminines, ce qui en fait certainement la discipline la moins courue. Pour autant, elle n’en reste pas moins une discipline intéressante sur le plan de la gestion et des déterminants de la performance.
Capacité aérobie ou endurance ?
Actuellement, pour la grande majorité des pratiquants, il faut plutôt parler de capacité aérobie comme facteur premier de la performance, c’est-à-dire la capacité à courir, voire à marcher, pendant un jour entier. Cela implique des qualités cardiovasculaires et musculaires, mais également une stratégie nutritionnelle et des habiletés mentales bien particulières pour résister à la monotonie de l’épreuve. Si on parle d’endurance, il faut alors se référer au pourcentage de VMA (nous sommes à plat) que l’athlète est capable de soutenir pendant 24 h, et nous allons voir que ce pourcentage est bas. Pour autant, les meilleures performances, comme celles du recordman du monde Yiannis Kouros, sont réalisées par des coureurs ayant de solides bases sur marathon : 2h24 pour le coureur grec qui possède tous les records du monde de longue distance, avec notamment 290 km sur route et 303 km sur piste.
Il est fort à parier que si la discipline attirait plus de coureurs, comme l’a fait le trail, la fraction de VMA serait en constante augmentation et deviendrait le facteur numéro 1 de la performance. Mais la nature répétitive de l’épreuve lui donne une dimension particulière, bien mise en valeur par les propos de Yiannis Kouros : “Pour moi, la course de fond n’est pas seulement un exercice physique, mais plus un acte métaphysique. J’ai besoin de méditer avant de m’élancer sur la route. Et cette méditation, je la travaille en peignant, en jouant de la musique ou en écrivant des poèmes. Quand on court une épreuve de plusieurs jours, la plus grande difficulté est d’arriver à quitter mentalement la course pour s’échapper vers ses propres pensées; Il faut être capable de ne pas écouter son corps, ne pas entendre la douleur, sans quoi il est vite impossible de continuer. Pour cela, j’ai besoin de quitter mon enveloppe corporelle et d’atteindre un état presque second. Je cours alors en pensant à des tas de choses, mon enfance, mon avenir, ma famille mais surtout jamais à mon corps.”
Ces propos souligne la nécessité impérieuse d’adopter des stratégies dites dissociatives, correspondant à de l’auto-hypnose, pour finalement oublier que l’on court, et estomper les souffrances physiques.
Quelle stratégie pour quelle performance ?
Pour un athlète qui a déjà développé une expérience sur 6h, 12h ou 100 km, l’affaire paraît moins complexe que pour le néophyte car il aura déjà observé la baisse de vitesse au fil des heures. Il aura également développé des stratégies pour que le temps passe plus vite tout en avalant les kilomètres. Par exemple, ne surtout pas compter les tours mais plutôt les heures ou les dizaines de kilomètres. Bref, se fixer des sous-objectifs mais qui ne soient pas trop nombreux non plus. Se concentrer sur sa vitesse de déplacement, son aisance respiratoire et musculaire, et sur sa stratégie nutritionnelle (hydratation-nutrition).
Au regard des bilans des coureurs cumulant les 100 km et les 24h, on remarque que le circadien (et la circadienne) sont capables de maintenir entre 70 et 80% de leur vitesse sur 100 km. Par exemple, si je cours mon 100km en 10h, soit à une vitesse de 10 km/h, je peux envisager de courir mon 24h entre 7 et 8km/h, pour réaliser une performance finale comprise entre 168 et 192 km. Pour un cent-bornard à 12 km/h (soit 8h20), la distance finale pourrait atteindre 230 km. Pour info, les records de France actuels sont détenus par Anne-Cécile Fontaine avec 243.644 km et Alain Prual avec 268.859 km, soit des moyennes respectives de 10.15 km/h et 11.20 km/h, et un écart de performance H-F d’environ 10%.
Plus de 11km/h pour le record de France
Maintenant, comment gérer sa course au-delà de cette donnée de vitesse moyenne ? Faut-il partir vite parce que de toute façon la fatigue musculaire et générale nous rattrapera, ou faut-il au contraire veiller à un pacing régulier ? L’examen des meilleures performances montre au contraire de ce que l’on observe en ultra-trail : un départ prudent et maîtrisé, environ 1 km/h plus vite que la moyenne estimée. Par exemple, si je veux parcourir 180 km en 24h, soit 7.5 km/h, je devrais partir à 8.5-9 km/h maximum. Cette vitesse de course est inhabituelle et doit faire l’objet de séances spécifiques afin d’améliorer son économie de course. L’athlète doit se sentir bien à l’allure choisie et être en totale aisance. Mais bien entendu, il est trop tard à présent pour parler de préparation à ce championnat de France, nous y reviendrons ultérieurement.
Cette allure relativement basse et régulière va faciliter la nutrition et l’hydratation même si les troubles gastriques sont une cause importante de baisse de performance et assez souvent d’abandons lorsque l’individu n’est plus en mesure de s’alimenter.
De samedi à dimanche prochain 10h, nous serons sur place pour analyser cette course et observer les stratégies des coureurs hommes et femmes, et pourquoi pas assister à de nouveaux records ?