– Depuis votre victoire à la finale WTS de Rotterdam, vous avez gagné toutes vos courses (dont 3 étapes de Super League), vous semblez intouchable. A quoi est dû cet état de grâce ?
« Je bénéficie, à mon avis, de trois facteurs. Tout d’abord, j’ai engrangé de l’expérience avec notamment mes anciens entraineurs Farouk Madaci (athlétisme) et Maxime Huteau (natation) et leur groupe d’entrainement. Si j’en suis là maintenant c’est grâce à tout ce que j’ai fait avant. Il y a également le fait d’être avec un vrai coach de triathlon (Joël Filliol), qui connait les spécificités des courses et ce milieu là. Et le troisième facteur, c’est le groupe d’entrainement que j’ai maintenant. Quand tu t’entraines avec un mec qui est triple champion du monde (Mario Mola) et que tu vois, qu’il y a des jours, où il est pas bien, où tu es meilleur que lui, je me dis que je peux y aller aussi. Avant, j’étais un peu dans mon microcosme. Je ne voyais pas trop ce qu’il se faisait à côté. Et du coup, quand tu doutes, tu es tout seul à douter.
« Les mecs me respectent plus »
– Lors de vos dernières prestations, notamment en Super League (voir articles), vous êtes à chaque fois allé chercher la victoire en attaquant vos adversaires. Avez-vous eu un déclic ?
J’ai constaté que je faisais mal à Mola sur les séances. Avant, je me suis entrainé aussi avec Mahiedine Mekhissi (triple médaillé olympique sur 3 000 m steeple), je lui ai fait mal par moment, mais c’est une autre dimension, c’est différent. On se dit qu’il fait du steeple, qu’il était peut-être fatigué. Là, avec Mola, c’est juste le mec qui est le plus fort dans ma discipline, qui a trois titres de champion du monde, et que je viens de faire sauter dans un 10×1000 m. A un moment, tu remets les pendules à l’heure. Et c’est ce que m’a dit mon coach quand je suis arrivé. Il m’a dit : « Vincent tu es le plus fort au monde dans les trois disciplines donc si tu ne gagnes pas, c’est qu’à un moment, tu ne te sens pas capable de gagner. Tu peux gagner dans tous les scénarios. Donc vas-y et fais leur mal. » Maintenant, quand j’arrive sur une course, les mecs me respectent plus. Et c’est un cercle vertueux. Si demain, je devais faire deuxième d’une course, je serais déçu. Du coup, quand tu es le plus fort, tu te mets devant, et si tu souffres, c’est que les autres sont aussi en train de souffrir.
Vous avez donc progressé mentalement.
Il y a deux ans, j’étais moins confiant dans ma capacité à courir vite. A Rotterdam (finale mondiale WTS 2017), l’an dernier, j’étais déjà fort, peut-être pas comme cette année, mais pas loin, mais je n’avais pas pris la course à mon compte. Je suis resté derrière et j’ai attendu les 500 derniers mètres. Je n’avais aucune tactique. Alors qu’à Gold Coast (finale WTS 2018), je suis parti plus tôt. Et là tu te dis que tu es aussi fort que les autres. Et plus je vais gagner des courses et plus ils vont avoir peur de moi.
« Si tu veux prendre un truc, mets quelque chose sur la table »
Est-ce votre entraineur Joël Filliol et votre groupe d’entrainement qui vous apportent cette confiance supplémentaire ?
Joël est un mec qui parle très peu mais c’est un très bon coach de groupe. Il sait gérer des gens qui ont des médailles autour du coup. Il sait très vite déceler les besoins des athlètes. Pour moi, il sait que je n’ai pas besoin de recevoir un message de félicitations par exemple contrairement à d’autres qui ont besoin d’avoir son ressenti sur tout. Il a une capacité à gérer les individualités dans le groupe et il est très observateur. Après des coaches, il y en a plein de très bons, il n’a pas inventé une meilleure recette de mayonnaise mais il sait gérer les gens. Il est différent avec chaque athlète.
Justement, parlez-nous de l’ambiance de ce JFT Crew (pour « just fucking train »), ce n’est pas compliqué de collaborer avec vos adversaires directs comme Mario Mola ou Jake Birtwhistle (3e mondial) ?
La première personne que j’ai interrogée avant de faire mon choix, c’est Mario. Je voulais savoir s’il était d’accord pour que je rejoigne le groupe. Et il m’a répondu : « si tu viens, je sais que tu vas me rendre plus fort ». Ca se passe super bien. Je fais 99% des séances avec lui. Je l’apprécie beaucoup. Après, la course reste la course et il y a toujours un moment où tu joues avec la limite. Mais c’est sur qu’avec Mario, il y a un respect. Mais si demain j’arrive au sprint avec lui, jamais de la vie je le laisserai me battre.
Les séances d’entrainement doivent par moment ressembler à des compétitions.
On essaie évidemment de se faire mal lors des séances. Mais dans la logique de Joël, chaque jour d’entrainement est important. Il n’y a pas de séances phares. Donc le jour où je ne suis pas bien, je vais aider Mario sur une séance, quitte à arrêter avant et peut-être que le lendemain, il m’aidera à vélo. Comme disent les Anglo-Saxons c’est « given taken ». Si tu veux prendre un truc, mets quelque chose sur la table. Par contre, le jour où tu prends plus que ce que tu donnes, bye-bye. C’est un système fragile. Si tu fais rentrer un loup dans la bergerie c’est mort. Mais quand ça fonctionne, tout le monde se tire vers le haut. Les règles sont claires. C’est la même chose pour l’organisation des stages par exemple, où tout le monde est logé et paie la même chose, que tu gagnes 100 000 euros à l’année ou que tu sois un jeune prometteur.
« Depuis six mois, je n’ai passé que quelques heures chez moi »
Vous parlez des stages, votre nouvelle structure d’entrainement vous amène à beaucoup voyager. Est-ce un mode de vie que vous appréciez alors que vous étiez basé à Reims ces dernières années ?
Au début je me suis posé la question car j’étais vachement casanier, j’aimais bien être chez moi. Et en fait, je le vis bien. Déjà, je suis entouré de gens qui sont géniaux. Et quand je suis chez moi, j’ai trop de choses à faire. Voir mes potes, amener la bagnole en révision, régler telle ou telle chose… Quand tu es en stage, tu ne penses qu’à ton entrainement. Maintenant, je suis limite à me dire que je ne veux pas rentrer chez moi car je sais que je vais avoir plein de galères. Là, j’ai juste à me focaliser sur l’entrainement. Et pour les courses, je me déplace avant, comme-ça je suis habitué aux conditions atmosphériques. Mais c’est vrai qu’au début c’était bizarre. Tu vis dans une valise. C’est une vie différente. Depuis six mois, je suis passé que quelques heures chez moi à Reims. Ma maison c’est plutôt une laverie. Je repars dimanche en vacances à New York, avant de réattaquer l’entrainement à Los Angeles au début du mois de décembre. Je ne reviendrai pas chez moi avant fin février.
2018 se termine et on pense déjà à 2019. Quels seront vos objectifs pour cette future saison ?
Ma priorité ça va être de me qualifier (les modalités de sélection ne sont pas encore connues) aux Jeux en triathlon. Si tout se passe bien, le 20 août ça sera normalement acté (jour du test Event à Tokyo). C’est ce que je souhaite faire pour avoir mon année de préparation avant les JO et être tranquille.
Avec vos derniers résultats, vous allez avoir la pancarte de favori dans le dos au Japon.
Là j’ai gagné la Grande finale, c’est la grande course d’un jour en triathlon. Après les Jeux, c’est la référence dans notre sport. Il y a deux ans, je me disais que je pourrais peut-être gagner les Jeux. Là, je me dis que si je ne fais pas une médaille aux Jeux, c’est que j’aurai merdé à un moment. Et je n’ai pas envie de merder. Si je peux être le premier double champion olympique (en individuel et en relais mixte) dans l’histoire du triathlon ça serait cool. Ca ne me dérange pas plus que ça d’avoir ce statut car je sais quand même gérer cette pression là. Avant, dans les courses, j’étais plutôt suiveur et j’essayais de saisir ma chance. Maintenant, j’arrive sur les courses et les mecs ont peur de moi. Ils savent qu’il faut essayer de me sortir avant le sprint car sinon je les bats.
« Si je vois que je suis largué je n’irai pas aux JO de Paris »
Finalement, à la vue de votre niveau actuel, la question est de savoir comment vous allez le maintenir jusqu’à Tokyo ?
Une semaine avant Gold Coast (grande finale WTS), je suis allé voir Joël car je sentais que j’étais trop fort, trot tôt. Je me sentais indestructible. Ca me faisait peur d’être prêt trop tôt. Une fois la course passée, j’ai compris que c’était mon nouveau standard de niveau de forme. Il faut que je m’y habitue. Si j’arrive à prolonger cette dynamique, je n’aurai pas peur d’aller sur les courses. Je vais avoir 30 ans. Je commence à me connaitre. Quand, sur une séance, ça accélère sur le dernier 1 000 m, je me laisse décrocher. J’ai appris à le faire. Surtout dans un groupe comme ça. Car si tu veux jouer, tu pourras toujours en trouver un pour le faire. Je n’ai rien à prouver à personne. Ca crée de la sérénité.
Comment jaugez-vous la concurrence en vue des Jeux de 2020?
Je pense que ça va être compliqué pour Alistair (Brownlee, double champion olympique) qui est encore blessé. Jonathan (Brownlee, 3e en 2012, 2e en 2016) est également moins en confiance qu’avant. Il y a Javier Gomez (2e en 2012) qui va sûrement revenir sur le circuit ITU. Puis il y Henri Schoeman, Mario Mola, il faut toujours se méfier aussi de Richard Murray. Les Norvégiens aussi, s’ils n’explosent pas d’ici là. Le Belge Marten Van Riel sera également très fort. Il y a 7 mecs qui peuvent gagner les Jeux.
Si on regarde plus loin, est-ce que les JO de Paris en 2024 sont dans un coin de votre tête ?
Si vous m’aviez posé la question il y a un an, j’aurais dit non. Pour moi, j’allais faire Tokyo et arrêter quoi qu’il arrive. Mais là, d’avoir changé de groupe et de voir que je peux encore progresser, je me dis que ce n’est pas fini. Je croyais être à ma limite mais je ne le suis pas. 2024 on verra. Si je vais à Tokyo ça sera mes troisièmes Jeux (après Londres en 2012 et Rio en 2016). Voir du Coca partout je connais (marque partenaire du CIO). Si je vais aux JO c’est pour faire une perf. Et ça sera pareil pour Paris. Si je vois que je suis largué, je n’irai pas. Ce que je veux c’est que la France ait une médaille olympique, que ça soit avec moi ou avec un autre. »
1 réaction à cet article
Jérémy Morel
Belle ITW!